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LA TOURNÉE DES GRANDES‑DUCHESSES 3 page





Je claque des doigts en direction du barman.

– Un glass pour tout le monde! dis‑je, pour une fois que c’est aux frais de l’Etat…

Elles commencent à se divertir, les donzelles. A trouver que pour un salaud de flic je suis plutôt marrant. Elles ont pas l’habitude. C’est fonctionnaire, habituellement, un Royco, ça sait le SMIG sur le bout du doigt, ça connaît le prix de la viande, le prix du vice, le prix du sang, le Prisunic de son quartier. Ça porte des chaussettes de laine, des pull‑overs, des cravates à rayures, des imperméables à épaulettes. C’est marié à une dame qui lui secoue les plumes, ça a des enfants, une Dauphine, un jardin, ça raconte les blagues d’Ici‑Paris ou de France‑Dimanche mais ça ne manie cependant pas l’humour tout à fait aussi bien que Daninos. Alors je les déconcerte, je les divertis, je les sidère. Ce sont des demoiselles sidérables, de bonnes clientes pour la rifouille. Faut les comprendre; dans leur honorable profession, l’organe qu’elles utilisent le moins c’est leur rate. Avec le charcutier de Poitiers ou l’industriel de Tourcoing qui viennent s’esbaudir et se congestionner au Red Dog, elles n’ont pas tellement l’occasion de s’écarteler le grand zygomatique. Ces messieurs sont là pour être pelotés, complimentés, régalés de madrigaux. Car le turbin d’entraîneuse consiste essentiellement à faire la cour aux bonshommes. L’homme en goguette vient dans un cabaret pour bénéficier de la compagnie d’une fille bien roulée et bien fringuée, avant tout! Il éprouve un puéril plaisir à boire du champagne aux côtés d’une pin‑up qui lui assure que son complet est bien coupé, que les tempes grises il n’y a que ça de vrai, que la calvitie est un signe de virilité et qu’on ne peut tomber réellement amoureuse que d’un sexagénaire. Il arrive de sa province pour frôler, pour humer, pour écouter. Mémère est restée dans sa bourgeoise demeure aux meubles suintant de cire, avec ses mouflets, ses bonniches et ses chats. M. Julot, fort de sa solitude d’un soir, se grise de Paris. Il rentrera au patelin fortifié. Ça lui permet, à la prochaine réunion du Rotary ou du Lions (de Belfort) de raconter, entre les liqueurs et le discours du président, que lors de son dernier voyage à Paris, il a fait la connaissance d’une gamine de toute beauté sur qui il a produit une très forte impression. Et, à ce moment‑là, il le croit. Il en oublie ses varices, sa brioche, son bec verseur minable, son asthme, son maillot de corps, son coton dans l’oreille. Il a gardé des boniments stéréotypés d’une fille de nuit, la certitude qu’il était Apollon, qu’il méritait d’être aimé, qu’il pouvait encore, si l’envie lui en prenait, changer sa vie et celle des autres. Car c’est de cela qu’il a besoin, le bourgeois de province, de cette certitude délicate de pouvoir recommencer. Il s’imagine portant des complets clairs, des chemises de couleur, s’achetant des bagnoles sport et partant à l’autre bout du monde pour y vivre une nouvelle existence de don Juan enfin accompli. Il se croit prédestiné, il se persuade que son destin n’a été jusque‑là qu’une erreur, mais que tout peut changer. Au fond de lui, il sait bien qu’il ne bronchera pas, qu’il restera à l’établi, debout devant son râtelier comme un bourrin soumis, mais dites, les gars, le rêve, c’est permis, non? Ça aide à supporter le mesquin quotidien. Alors vive les entraîneuses perspicaces, les belles flatteuses peintes en guerre en dentelles qui savent si bien effacer les bourrelets et les rides, faire repousser des tignasses sur les crânes polis, arracher les ans accumulés et rafraîchir les cœurs flétris.

– Je comprends pas que dans la Rousse, on n’engage pas des inspectrices, dis‑je. Car enfin, une nana, c’est autrement plus futé qu’un mecton, faut l’admettre. Et comme force de persuasion, pardon, y aurait du rendement! Pas moyen de les berlurer! Chaque prévenu se laisserait tirer les vers du naze en louchant dans les décolletés. Ah, si un jour, comme il est probable vu mes capacités, je deviens ministre de l’Intérieur, je créerai illico une brigade de policières.

Elles s’esclaffent bien fort, me déclarent impayable, me font leurs mirettes de velours. Alors je continue:

– Regardez déjà, au départ, comme dans chaque cœur de frangine un flic sommeille. Elles te vous détectent les parfums sur le complet, les rouées! Les traces de rouge sur le mouchoir! Et pour vous éplucher l’emploi du temps d’un mari, quel brio!

Je lève mon verre à la ronde.

– A votre beauté, mes ravissantes! Continuez de pousser le cave à la débauche.

– Ah ben, vous, au moins, pour un poulardin vous êtes pas bêcheur, déclare l’une des demoiselles, une grande platinée au rouge à lèvres violet.

Vous le voyez, les z’enfants, la plus parfaite harmonie se met à régner entre nous. Je défrime trois béohefs, flanqués de trois jeunes filles de bonne famille, attablés non loin du bar. Ces messieurs sont vachement partis et ne se sentent plus, leurs dames de compagnie n’ont plus d’efforts à fournir pour alimenter la converse. Ils se racontent complaisamment et donnent tous les détails sur leurs vies professionnelles et privées. Y en a un qui est dans les machines‑outils et qui explique à une brunette indifférente son planning de l’année, un autre confie à une mignonne mulâtresse qu’on vient d’opérer sa mémère des organes. Il est gommé sévère et ça le rend triste. Il dit que sa mégère, avec tout ce qu’on lui a effacé comme bas morcifs, elle est pratiquement vidée. Creuse comme un sifflet, elle est devenue, la pauvre. Au point qu’on aurait quasiment envie de lui bourrer le baquet de paille d’emballage pour lui redonner quelque consistance. Le troisième, c’est les Baléares qu’il raconte, le palace avec piscine de ses dernières vacances, et comment son fils aîné est champion pour la plongée sous‑marine. Des méduses grosses comme des couvercles de lessiveuse il ramène, ce petit intrépide. C’est l’auditrice de l’heureux père qui semble médusée. Faut décidément une fameuse dose de patience pour être entraîneuse, on plutôt il faut… de l’entraînement. Elles sont groggy, les pauvres rates. Ensevelies sous les machines‑outils, les fibromes, les tarifs hôteliers. Elles se sont farci déjà la vie de famille et les débuts difficiles de ces messieurs. Elles savent comment qu’ils ont fait fortune, combien ils paient leurs ouvriers et leurs femmes de ménage, elles connaissent leurs frais généraux, leurs accidents de ski, leurs tiers provisionnels, leurs chasses, leurs liaisons, leurs autos, les journaux qu’ils lisent, leurs religions, le parti politique auquel ils appartiennent, pour qui ils ont voté, pour qui ils voteront, leur conception de la vie, leurs voyages, leurs pilules pour le foie; leurs guerres, leur paix, leurs pets, tout! Et elles s’obstinent stoïquement à sourire, à hocher la tête, à risquer même une exclamation ou un bout d’interjection de temps à autre pour faire sincère, pour que l’illuse soit complète et que messieurs les bavasseurs, les raconteurs de‑sa‑garce‑de‑vie, se sentent bien écoutés, bien compris, admirés (encore et toujours). Et chaque soir elles recommencent.

– Vous permettez qu’on vous tienne compagnie?

Les tam‑tams tam‑tamarrent à tout‑va. Personne ne les écoute. Les danseuses nombrilent sans trop se forcer. Uns scène éclairée nécessite une salle pénombreuse. Le champ’ discrètement et continuellement versé chauffe les esprits. L’odeur parisienne des filles, leur délicate compréhension facilitent l’accouchement. Alors les chefs d’industrie, les patrons intraitables, les pères sévères, les époux tyranniques se débrident, mollissent, parlent, disent tout… Faut qu’elles s’évacuent, ces années de gravité, d’acharnement, de devoir accompli! Faut qu’ils s’en vident un soir, qu’ils les transvasent dans des oreilles brandies vers eux comme des entonnoirs sous le robinet d’un tonneau. Ils font le bilan de leur vie. Ils chatoient, ils lamentent, ils larmoient, ils mélancolisent. Tout ce qui grouille en eux de prérogatives se disperse. Y a dislocation du cortège des préoccupations. Ils délacent le corset de la dignité. Ils aèrent leur sens du devoir. Ecoutez‑les, les filles, écoutez‑les bien, c’est leur mal de vivre qui soupape. Tout ce que je vous cause, je le dis aux grognasses assemblées en termes z’humoristiques. Elles sont étonnées de découvrir que leur métier frelaté est en fait une belle mission humaine, qu’elles sont des prêtresses, dans leur genre, des infirmières de l’âme, des purges du standing.

Elles me raffolent, me cerclent au plus juste. Je les restitue à leur dignité femelle. Béru, quant à lui, se consacre à la petite Noire déguisée en Sénégalaise. Il joue les touristes et lui sanglote ses misères sur le corsage. Il fuit comme une chasse d’eau d’hôtel, mon brave Gros, depuis la surprenante disparition de sa bergère.

Je mate l’heure brusquement et fais mine de retrouver la dure et exigeante réalité.

– Oh, mes chéries, je sursaute, quatre plombes vont bientôt sonner au clocher de mon bracelet‑montre et je ne vous ai pas encore déballé l’objet de ma mission!

Exhibition de miss Hildegarde clichée pour la postérité. Je tiens la photo devant ma robuste poitrine.

Lookez ‑moi ce minois, c’est celui d’une petite crâneuse qui a travaillé quelques jours dans vos rangs. Elle a disparu et il faut coûte que coûte que je lui remette la pogne dessus…

Je deviens grave. Ça contraste avec ma séance de risettes. Les filles pigent que c’est du sérieux et me dévisagent.

– C’est une question de vie ou de mort! laissé‑je tomber.

– Oh que oui! sanglote l’Impérissable en enfouissant son nez morveux de peine entre les seins de sa négresse.

L’instant est dramatique.

– J’aurais pu jouer les Judas, chiquer au clille et vous extraire les vers du nez en souplesse, mais, poursuis‑je avec aplomb, ça n’est pas mon genre… Alors, voilà, mes poules, je compte sur vous toutes pour obtenir des tuyaux intéressants à propos de cette garce, car croyez‑moi, c’en est une, et qui déshonore votre profession!

Bien joué, hein, les mecs? Quelle science du verbe! Quelle profondeur psychologique! Y a des moments, ça me flanque le vertige. Je suis penché au‑dessus de mes dons comme sur le grand cañon du Colorado. Je crie «tac! Et l’écho me renvoie une salve de mitrailleuse, tellement c’est vertigineux comme gouffre!

– Vous êtes d’accord pour m’aider, mesdemoiselles? interpellé‑je collectivement. Mettons‑nous bien d’accord. C’est pas la police que vous rencarderez, c’est une œuvre de salut public que vous accomplirez! Vous ne serez pas des indicatrices, mais les participantes d’une battue!

Faut croire que je suis convaincant, car les voilà déguisées en Jeanne of Arc brusquement. C’est la puissante levée de boucliers, la flambée du peuple souverain qui s’avance. Elles prennent les armes, elles forment leurs bataillons, elles marchent. Ça gronde. Un vent de Fronde souffle sur le bar.

– On le savait que cette fille n’était pas franco… Ces manières de pimbêche! Une crâneuse! Elle avait quelque chose de cruel… Elle… Elle… Elle…

Elle! Hildegarde est devenue Elle! La pelée, la galeuse, le cas pendable! Je les endigue, les canalise, les démiasme.

– Pas toutes à la fois! Je vais poser les questions par ordre d’urgence. Y en a‑t‑il, parmi vous, qui soient susceptibles de me dire où habite Hildegarde?

J’espère, j’attends, je guette. Je me dis que sur le nombre de mes auxiliaires, il y en aura bien au moins une qui pourra m’éclairer. Mais mon espoir est vain. Le bide! Rien! Elles s’entredévisagent avec indécision, ce qui est mauvais signe. Puis alternativement elles secouent leur tête bien coiffée en réponse à mon regard quémandeur.

– Vous ne voyez aucune indication pouvant me mettre sur la voie?

Re‑négation. On dirait que leurs têtes de linottes sont montées sur une aiguille de métronome.

– Tant pis, soupiré‑je, maintenant pouvez‑vous me signaler une particularité quelconque à propos de son comportement?

Comme une élève à l’école, la blonde platinée au rouge à lèvres parme lève le doigt.

– Je vous écoute, ma toute belle.

– Elle porte un tatouage au côté, révèle la nana.

Du moins croit‑elle faire une révélation. Pour ne pas décourager les bonnes volontés, je m’abstiens de lui dire que je savais la chose. Elle fournit des explications complémentaires:

– J’ai découvert ça aux toilettes. Elle changeait un pansement sous son bras droit.

– Un pansement? dis‑je, surpris.

– Je crois que son tatouage s’était un peu infecté! Les chairs étaient rouges et boursouflées tout autour. Il représente un bouquet de fleurs je crois bien. Je dis «je crois», car je l’ai très peu vu, elle s’est détournée tout de suite en m’apercevant dans la glace…

– Merci du renseignement. Et avec la clientèle, comment se comportait‑elle?

– Elle snobait! répondent en chœur les entraîneuses.

– N’avez‑vous pas l’impression qu’elle cherchait quelqu’un?

Cette question les rend silencieuses. Elles y puisent matière à réflexion. Certaines hochent le chef (elles n’osent le branler en public), d’autres font la moue… Une troisième catégorie opine. C’est celle‑ci (composée de deux filles) qui m’intéresse.

– Dites‑moi tout, mes enfants, supplié‑je.

Parmi les deux demoiselles se trouve la négresse de Béru. Elle prend la parole:

– Hildegarde choisissait les messieurs de cinquante ans, gazouille le petit oiseau des Iles, j’avais remarqué que c’était automatique chez elle. Et plusieurs fois, avant de s’approcher de leur table, elle a ouvert le médaillon qu’elle portait au cou et a regardé la photographie qui se trouvait à l’intérieur… Elle paraissait comparer la photo avec les clients…

La camarade de la petite Noire confirme. D’autres, pour le coup, s’exclament.

– Mais oui, en effet… On avait remarqué ça aussi…

Voilà donc qui est net. Hildegarde cherchait un homme. Un homme qu’elle soupçonnait de fréquenter les lieux de plaisir de Paris. Bonne indication.

– Une dernière question, mes adorables, et ensuite je vous fiche la paix: vous l’avez vue quitter l’établissement avec des hommes qu’elle venait de lever, je suppose?

– C’est arrivé une ou deux fois, elle semblait pas très coucheuse.

– Connaissiez‑vous les messieurs qui ont eu la bonne fortune de l’embarquer?

Ces chéries secouent la tête. Non, sorry, elles ne connaissent pas. C’étaient des gars de passage, des touristes, pas des habitués. D’ailleurs, les habitués ici on peut les compter sur les douze doigts de la main, comme disait Bouddha.

Je leur donne une chiquenaude amicale à toutes avant de prendre congé et je leur assure que, si mon travail me le permettait, je deviendrais volontiers un habitué à part entière du Red Dog. C’est pure gentillesse de ma part, car j’ai horreur de ce genre d’endroit.

Sur la piste, les emplumées du dargif achèvent de se contorsionner l’abdomen et les rétam‑tameurs de se foutre la paume des mains en cal‑sec. Béru caresse doucement les bras de la jeune Noire. Il lui dit qu’un de ces soirs, lorsque la vie se remontrera clémente, il viendra la chercher pour lui faire visionner les estampes japonaises de la maison de rendez‑vous du coin. Il semble avoir surmonté sa grosse défaillance de tout à l’heure. Nous quittons la boîte d’une démarche évasive. Notre fatigue est immense, notre amertume aussi.

– Viens dormir à la maison, Gros, proposé‑je. Tu ne vas pas finir la nuit seulâbre!

Il refuse sobrement.

– J’ai pas le droit, San‑A. Une supposition qu’on me recontacte au sujet de Berthe?

– D’accord, mais si on essaie de te recontacter avec une mitraillette, ce sera autre chose!

– Inquiète‑toi pas pour mécolle, un homme prévenu en vaut cent. Bien malin le zig qui pourrait me composter! Crache‑moi seulement à mon domicile et t’occupe pas du reste.

Sentant sa décision inébranlable, je prends donc le chemin du Béru’s office.

– On piétine, Mec, on piétine, soupire Pépère. Il me semble qu’y a des mois, l’enterrement de tonton avec tout ce qui est arrivé… Et puis on a l’air de rechercher l’Hildegarde comme un écureuil cherche la liberté en galopant sur la roue de sa cage. On n’a rien de positif, positivement, hein? C’est la maison Lion Noir sur toute la ligne, le combat de négus dans le tunnel! Comment qu’elle a fait, cette frangine, pour tapiner aux quatre coins de Paname sans laisser de traces?

Elle allait déguster des quinquagénaires et puis, v’louf, elle plongeait dans l’ombre. En dehors de ses activités, c’est le mystère et boule de gomme le plus complet.

Je file un coup de patin. Quelque chose vient de bouger dans mon sube. Y a pas gourance, c’est bel et bien une idée qui bâille et s’étire, qui remue, qui veut sortir…

– C’est à propos de quoi t’est‑ce? s’inquiète le Morose.

Comment ça vous arrive, quand on est flic, un sursaut de ce genre? Qu’est‑ce qui le motive? Ça ressemble à une résurgence, à un filet d’eau souterrain qui veut brusquement faire surface.

– Le tatouage! croassé‑je.

– Quoi, le tatouage?

– L’entraîneuse a dit qu’Hildegarde portait un pansement dessus parce qu’il paraissait s’infecter!

– Et après, y a pas de quoi se la couper en rondelles pour en faire des conserves! objecte Bérurier.

– Tu ne piges pas que si le tatouage s’infectait, c’est parce qu’il était récent?… Tout récent, tout frais.

– Ce qui veut dire?

– Elle a fait rebricoler un tatouage ancien, ça nous le savons, c’est indiqué sur sa notice… Seulement elle l’a fait rebricoler à Paris.

Il trépigne, le Gros. Alléché, surexcité. Il a pigé.

– Et à Pantruche les tatoueurs ne sont pas légionnaires, San‑A. Pour ma part, j’en connais qu’un: Jeannot, à Pigalle, un garçon très bien avec qui je suis en bons termes. Allons lui dire bonjour!

– T’es pas louf, il est quatre heures!

Béru hausse les épaules.

– Quatre plombes, c’est son heure de pointe, au Jeannot. Il reste ouvert toute la noye, jusqu’aux aurores…

Je me fourbis les gobilles pour en chasser le sommeil. Les veilles, c’est ce qui nous détériore le plus dans le métier.

– Allons‑y toujours, Gros, consens‑je.

Maintenant la neige est bien installée dans les rues. Ça patine comme notre enquête, les gars.

 

MON CŒUR EST TATOUÉ

 

De l’extérieur, on prendrait l’officine de l’ami Jeannot pour une petite épicerie, sauf que dans la vitrine, au lieu de bocaux de cornichons, il y a la photo du roi de Danemark. Sa Majesté est torse nu et ressemble à une colonne Morris.

D’un geste péremptoire, Béru enfonce le bec‑de‑cane. Nous pénétrons dans un étroit local évoquant, quant à lui, un salon de coiffure. Les murs sont tapissés de motifs en couleurs proposés à la convoitise des aspirants tatoués. Il y a de tout et du reste: l’aigle américain, le Christ, des pinupes, des fauves, des cœurs, des catastrophes aériennes, des fleurs, des initiales, des prénoms, des devises, des slogans, des fers à cheval, des frères à cheval, Defferre à cheval, des couchers de soleil sur l’Adriatique, des Etna en éruption, des nuits sur le mont Chauve, des séances à la Chambre, des automobiles de course, des oiseaux, les signes du zodiaque, des têtes d’Indien, des têtes de comte, des têtes de neutre, des têtes de veau, des têtes à claques, des têtes‑de‑loup, des tête‑à‑tête, des as de pique, des pics du Midi, des Midis rois des étés, des étés et fumée, des fumées sans feu, des feu la mère de Madame et des Madames Sans‑Gêne. Un banc d’essai court le long de la cloison. Dans le fond, une espèce d’établi supporte le matériel de Jeannot, à savoir: des encres de couleur et des appareils de pyrogravure. Dominant le tout, en grand, en pas majestueux, Sa Majesté le roi de Danemark encore, plus couvert de graffitis qu’une pissotière en période électorale.

Jeannot est un fort sympathique garçon brun, au sourire cordial, vêtu d’une blouse bleue.

– Tiens! Les archers du Roy! s’exclame‑t‑il joyeusement en nous voyant rappliquer.

Il abandonne le Nordaf, qui achève de rouler sa manche de chemise en vue d’une intervention imminente, pour nous congratuler.

– Ça fait une paie que je ne t’ai vu, dit‑il à Béru. Ça boume, la santé?

Le Mastar joue les beaux hermétiques. Il me présente et murmure:

– Pardonne du peu si on vient à la relance à cette heure industrielle, Jeannot, mais on aurait besoin de tes lumières…

Le tatoueur nous désigne son patient.

– Le temps d’opérer monsieur et je suis à vous. Vous m’attendez au troquet du coin?

– Je préfère assister à la séance, refusé‑je, j’ai jamais vu tatouer, ça m’intéresse…

– Alors, posez votre baigneur sur cette chaise, vous allez assister à du grand art.

Lors, il se consacre à l’Arabe qui l’attend bien sagement.

– C’est bien décidé pour ce modèle, m’sieur? il lui demande en désignant un motif extrêmement discret représentant une panthère étouffée par un boa.

– Oui, assure fermement le client.

– Vous avez raison, approuve Jeannot, c’est de bon ton et ça va bien recouvrir votre précédent tatouage.

Nous nous penchons. Effectivement, le patient porte à l’avant‑bras un croissant de lune avec garniture d’étoiles. Le dessin est comme dilué car, explique l’homme, il a tenté de se le gommer, mais comme il n’y parvenait pas, il a opté pour les grands moyens: se faire tatouer par‑dessus un dessin plus important et plus moderne. Jeannot, c’est le supercrack de l’encre de Chine. Il exécute de vrais Rembrandt sur les peaux de toute race. Il félicite encore le Nordaf pour son choix judicieux. Le boa panthéricide, c’est comme qui dirait son cheval de bataille, le modèle‑choc de sa nouvelle collection. Il prédit que l’été prochain ça fera fureur. Y a déjà une demande folle. L’ancre marine, la tête de mort, la femme à poil, ça se démode à toute vibure. Les prénoms aussi, et encore plus les déclarations. De nos jours, les tatoués deviennent prévoyants. Les «A Valentine pour toujours», ils font gaffe. Ils prennent conscience de l’avenir incertain, il nous explique ça, Jeannot, en décalquant la panthère emboatée sur le bras du client. Y a plus que certains veufs pour se faire indélébiliter leur chagrin sur le cœur, prenant leur poitrine pour une pierre tombale et y faisant graver leur pathétique amour. Quelques mois plus tard, ils reviennent trouver Jeannot, ces inconsolables. Ils ne sont plus en noir et ils ont l’air gêné. Ils ont trouvé l’âme sœur, alors, n’est‑ce pas, par délicatesse… Jeannot, il est paré pour la nouvelle manœuvre. Il y va d’une grande fresque par‑dessus l’inscription désespérée: le combat aéronaval, Pearl Harbor, carrément, avec naufrage du porte‑avions au premier plan. C’est fou ce qu’il marne dans la retouche, Jeannot, l’homme est d’humeur si changeante. Un jour, tiens, il a tatoué Bardot sur le bide d’un jeunot. Par la suite, le petit gars est revenu, sévère, il avait lu des trucs sur la B.B. nationale, il était déçu, il voulait plus la coltiner entre son nombril et son pubis, y a fallu lui exécuter un grand machin hors commerce sur le baquet, une scène tropicale, avec des porteurs noirs et des palétuviers géants[18]. Pour en revenir, la panthère au boa, c’est appelé à faire de l’usage, ça ne conduit pas aux remords; c’est décoratif, artistique, même. Et quand on se cantonne dans l’art, on est fatalement gagnant. C’est comme une robe noire: on peut la mettre en toute circonstance sans faire de faute de goût.

– Fumez une cigarette, m’sieur, au départ, ça risque de vous faire un peu mal, les contours c’est toujours plus sensible, explique Jeannot à son patient.

Docile, l’Arabe se pique une cousue dans le bec. Il ne frémit pas… Il veut nous montrer qu’il a du courage à solder. Le courage, faut bien avoir l’occasion de le déballer de temps en temps, ou alors à quoi ça servirait de le laisser macérer en soi inutilement?

Jeannot lui a nettoyé le brandillon à l’alcool à 90°. Il a décalqué son beau motif. Maintenant, il ajuste l’aiguille encrée de noir dans son appareil électrique. Il va le faufiler, l’ami Singer! Ça tic‑tic; ça tac‑tac. L’aiguille crache noir sur les contours du dessin. Des gouttes de sang perlent à travers l’encre. Une vraie dégueulasserie. Tous les trois on quatre centimètres, Jeanne stoppe son compostage pour essuyer sa gravure d’un coup d’éponge…

– Regardez un peu mon album pendant ce temps, nous propose‑t‑il. Il contient les photographies de mes plus surprenants tatouages.

Passionnés, nous empoignons son livre d’or. Il n’a pas menti. C’est une plongée pas croyable dans les limbes de l’humain, là où ça floflotte, là où ça fait des bulles et où la cervelle ressemble à de la gomme arabique chauffée au bain‑marie. On y découvre de l’inimaginable, du démentiel, du supraterrestre, du chancelant. On prend peur de l’homme brusquement, à mater ces clichés.

Date: 2015-12-13; view: 436; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



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