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Prenez le train fantôme
L’intrigue se corse décidément. Le manège en question se trouve juste en face de la roulotte de Mme Lola. C’est un vaste baraquement à l’intérieur duquel gronde un bouzin de tous les tonnerres. Ça hurle, ça pouffe, ça glapit. Hystérique, cet endroit. On prend deux biftons et on s’installe à bord d’un petit chariot. Illico le système à crémaillère s’enclenche et c’est le départ. Nous v’là happés littéralement; catapultés dans des intérieurs vénéneux, dans un univers de sorcière soufreuse, dans une fausse nécropole pour musée Grévin. Le chariot virevolte, fonce sur des murs de brique qui se révèlent mous. Des figures grimaçantes nous bondissent au visage… Des squelettes de plastique surgissent dans le faisceau merdeux d’un projecteur et s’escamotent. Des chauves‑souris bidons nous décoiffent… Des mains vertes nous claquent… On pique sur un miroir où fulgurent nos deux bouilles éclairées façon outre‑tombe. Au suprême moment, le chariot pivote pour éviter l’obstacle… Nous franchissons un rideau de perles noires et débouchons alors en enfer… C’est le clou du voyage. Sa grande escale prestige! Là, le chariot marque un arrêt. On est environnés de flammes… Des suppôts de Satan activent les brasiers… Ils ont des capes rouges et des têtes de mort vertes… Les péons de l’épouvante! Une bande sonore émet un vacarme savamment composé de hurlements de damnés et de danses macabres de Saint‑Saëns. – Baisse‑toi, Gros! hurlé‑je tout à coup… Il obéit d’instinct. Se joignant au vacarme, le crépitement d’une mitraillette retentit. Faut avoir l’œil san‑antonien pont mater le canon d’une Thomson au milieu de ce décor fantasmagorique, non? Il y avait un trou dans la toile de la baraque et j’ai tout de suite vu les deux mains gantées de noir qui braquaient la seringue sur nous. J’aurais pu regarder ailleurs, notez bien… Mais non! San‑Antonio, c’est ça… Tout de suite, le truc culminant. L’œil infaillible, il a. Sinon il ne serait pas San‑A. Et reconnaissez que ce serait dommage, toute immodestie mise à part – et en équation. Ça praline du tac‑tac au tac‑tac, les gars… La salve d’honneur. Vive le président! Et la fête continue! J’avise alors un gus terrorisé, blotti dans un renfoncement. C’est un abri préposé à la manœuvre du train. Il est chargé d’actionner la manette du courant pour stopper les wagons ou, au contraire, leur filer de la vitesse. Prompt comme l’éclair dont parlait Franklin (pas Roosevelt, celui qui était intelligent) je lui saute dessus sans qu’il réagisse, trop chocotteur qu’il est, et je bloque la manette. Le train repart en grande vitesse. J’ai juste le temps de sauter en marche dans un compartiment fumeurs! Quelle allure, ma doué! Un vrai bolide, mes filles. Une sarabande éperdue! Une guirlande aérolithique. Les passagers des autres wagons hurlent comme des steamers en brume! Ils croient que c’est voulu, cette vitesse grand V, et ça leur excite les glandes. Plus question pour le mitrailleur de nous assaisonner, ou alors c’est la partie de pok! Il n’a qu’à balancer le potage au petit malheur la malchance! Le convoi fou prend de plus en plus de vitesse. A la fin, ce qui ne devrait pas arriver arrive: il déraille comme notre ami Pinaud après son quatorzième muscadet. Les wagonnets optent pour la ligne droite, alors que leur mission, justement, c’était le méandre. Ils avaient un destin en coquille d’escargot et les voilà offerts à la liberté rectiligne des trajectoires. Ils crèvent les parois de toile et de planches. On traverse à l’air libre une zone heureusement déserte pour catapulter une autre baraque. Manque de pot, il s’agit de celle des lutteurs, le wagon à Béru déboule au bas d’un ring où le «Tombeur du Calvadoslance un défi au public. Béru est éjecté malgré son nombre respectable de kilogrammes qui devrait le confirmer dans les principes de l’attraction terrestre. Il décrit une courbe assez gracieuse et choit entre les cordes. Le Tombeur du Calvados l’accueille d’une manchette sévère qui décroche le râtelier du Mastar. Il n’en faut pas plus pour faire oublier à Son Excellence le canardage et le déraillement. C’est pas le genre de gars qu’on peut saluer d’une manchette au placard, Alexandre‑Benoît. Oh mais non! Les prises vicelardes, les double Nelson, les placages en force, il n’en a rien à branler, le Valeureux. Sa rogne accumulée, dorlotée par les événements, explose et c’est ce rigolo de catcheur qui en fait les frais. Un vrai gorille, le Tombeur du Calvados! Une bouille à foutre le hoquet à un chirurgien esthétique. Le naze en pied de marmite, of course! Les étiquettes dodues comme des groins de cochon! Des arcades comme des entrées de grottes et des jambes en forme de pilotis pour cités lacustres! – Dis donc, le chimpanzé, c’est à moi que tu causes? gronde Bérurier en ramassant, puis en empochant, ses tabourets. Le catch, Béru, c’est pas son fort. Il déteste les simagrées. Pour lui, c’est toujours le franco qui paie. Il y va au gnon d’autorité. Il entreprend le Tombeur avec un crochet au foie qui filerait la jaunisse à un cabillot. Le crack du Calvados exhale un profond soupir et ses yeux font «Y a bon Banania». Béru lui place alors un coup de boule dans le portrait, puis un doublé à la mâchoire, et le Tombeur tombe comme un arbre sous la cognée. Sa lourde carcasse fait un bruit de ressac. La populace applaudit. Un petit bonhomme jaunâtre et mal rasé qui rit comme une entaille dans une courge grimpe alors sur le ring et, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, proclame Bérurier vainqueur et lui remet la coquette somme de dix nouveaux francs. – Quelle histoire! lamente le Dodu en me rejoignant. On les verra toutes, c’t’année! – Pas trop de bobo après ce petit Verdun en miniature? m’inquiété‑je. – Mon bitos est transformé en passoire, j’ai une estafilade à la main et l’autre truffe m’a faussé mon râtelier, énumère Sa Majesté, mais à part cela, Gars, je suis toujours là. Qu’est‑ce que tu penses du coup de la baraque? – C’était supérieurement combiné. Le mitrailleur a fendu la toile à l’endroit où le train marque l’arrêt, en pleine lumière, il ne lui restait plus qu’à t’attendre et à te flinguer. – Conclusion: on en veut à ma peau? résume le Sentencieux. – On le dirait. Il se torche l’humidité du regard d’un revers de manche, selon sa belle habitude. – C’est mauvais signe et ça me file du pressentiment rapport à ma Berthy. Quel turbin ils ont bien pu lui faire subir, à mon petit bouquet de printemps, hein, à ton avis? Je m’abstiens de répondre. A quoi bon donner dans le funeste? Moi aussi je suis inquiet. Du diable si je pige quelque chose à ce galimatias! – Selon moi, tout est lié à cette histoire d’héritage, murmuré‑je. – Je m’en tamponne, de l’héritage, ennoblise le Gros. Ce que je veux c’est qu’on me rende mon brancard, San‑A. Sans ma gravosse, je suis en manque. – T’inquiète pas, Béru, on la retrouvera. – Je préférerais que nous la retrouvassions vivante, objecte mon ami, c’est comme ça qu’elle me fait le meilleur usage. Certes, elle a ses défauts comme toute une chacune, mais sans elle je me sens drôlement faiblard, Mec. Je tire de ma fouille le portrait de Fräulein Hildegarde. – Cette fois, on va sonner la charge, Fiston. Nous devons coûte que coûte retrouver cette fille du diable. – Comment? geint le Dodu… Je réfléchis… – En commençant par le commencement, Béru. Suis‑moi! Il est plein d’espoir. L’action le réconforte comme toutes les natures d’élite. – Je me relie à ton panache blanc, Henri‑quatretise‑t‑il.
Date: 2015-12-13; view: 364; Нарушение авторских прав |