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Messieurs les veufs
– Une supposition qu’on retrouve Berthe vivante, rêvasse le Gros. Il commence à avoir le visage et l’esprit secs comme le rosé de dame Merluche. L’homme, sa qualité dominante, c’est de récupérer coûte que coûte. Le flot impétueux de sa propre vie l’entraîne vers le futur vorace. Chagrin ou pas, faut qu’il descende le fleuve impassible, même si les Peaux‑Rouges criards le prennent pour cible. – Une supposition, reprend‑il en dodelinant le chef, je me réclame dare‑dare un mois de congé et j’embarque cette poulette adorée sur la Côte d’Azur, manière de lui faire achever l’hiver loin des instants péris. Un vrai voyage de noces, San‑A. Bouillabaisse et ailloli à tous les repas… Il renifle des senteurs de safran, avale une salive déjà parfumée d’ail et soupire. – Et une supposition qu’on ne la retrouve pas vivante… – Tais‑toi donc, le coupé‑je, il ne faut jamais envisager le pire. Puisque le pire est la conclusion de notre vie, nous n’avons le droit d’envisager que le meilleur. L’être humain, il est comme la chèvre de M. Seguin, Gros. Attaché à un pieu par une corde, il broute l’herbe grasse on galeuse de l’existence en tirant sur cette garcerie de corde. Et puis quand il la casse, il va se faire becqueter par le loup. La liberté, c’est un loup aux yeux de braise et aux dents acérées qui guette dans l’ombre. – J’ai tout de même l’obligation de penser à si on retrouvait pas Berthe vivante, s’obstine le Buté. Il cherche à s’extirper une larme de ponctuation, mais ça ne perle pas. Il a trop sollicité ses glandes lacrymales. Maintenant, pour qu’elles fournissent, faut qu’il s’engrène le chagrin avec des images bien pénibles, des souvenirs bien saignants, des hypothèses bien horribles. Chacun a une dose de larmes à verser. Quand le réservoir est vide, faut qu’il attende qu’il se remplisse. De même les rires, et l’amour, et tout le reste… Oui, une pile, un réservoir. Le quidam, il a une capacité, un point c’est tout! Une autonomie comme un avion. Il peut chialer deux on trois jours, une semaine… Mais faut qu’il se ravitaille. Qu’il rigole un bon coup dans l’intervalle pour laisser se recharger les accus. Béru, désespoir vivant depuis la veille, voit la lampe rouge de son tableau de bord s’allumer. Elle dit «achtung», «caution», «fais gaffe». Elle avertit qu’on brûle les dernières ressources. Faut faire roue libre dans la descente, maintenant, pour économiser le carburant. On alors se payer une escale dans la sérénité. – Si on retrouve pas Berthe vivante, je me remarierai pas, affirme cet homme intègre. Je dis pas que je me filerai pas à la colle avec une mémé un jour dans longtemps, deux ou trois mois au moins… Mais le cœur n’y sera plus. Je me maquerai juste pour qu’elle me fasse la tortore. L’opération reprise‑chaussettes. Et puis, naturellement, pour me calmer la viandasse avant de roupiller. Je m’en choisirai une un peu tapée de manière qu’elle eusse des complexes vis‑à‑vis de moi et que je puisse assurer ma suprême assise. Une dodue, avec des roploplos en capot de Jaguar vu que j’ai habitude du rembourrage. Ce que j’insisterai, c’est sur le caractère. Je la veux aimable, pas rechigneuse et tolérante. Faut que je puisse porter du chrysanthème à Berthy sans qu’elle en prisse ombrage, regarder sa photo sans qu’elle fasse la gueule et m’envoie des coups de sarcasme dans le culte de Berthe. Tu piges? Je pige. Combien forte est la vie! Quelle belle sève vivace! Comme c’est dru, impétueux! Ça me fait penser à la frêle pousse de lierre qui finit par étrangler l’orgueilleux sapin. Vous avez jamais vu grimper du lierre après un sapin? Au début c’est joli. Ça pare le tronc. Ça lui ôte son côté futur poteau télégraphique. Et puis, quand le lierre est bien haut, bien fourni, bien luisant, on s’aperçoit que les branches basses de l’arbre jaunissent. C’est irréversible chez le sapin. C’est comme les tifs des bonshommes. Quand ça crève ça repousse plus. Un jour, le sapin, il lui reste plus que son cône, tout là‑haut. Il est clamsé dans la verdure. On le croit toujours vivant, à cause du lierre exubérant qui, lui, est plus vert que l’été et que les oiseaux font frissonner. Mais c’est du fard sur la frime d’un cadavre. Mort, le sapin! Etouffé par le beau boa suave aux écailles vernies. Je zieute ma breloque. Dix minutes qu’Odile est partie en mission et elle n’est toujours pas revenue. – Tu t’inquiètes pour elle? demande Béru. Je hausse les épaules. – Non, tout de même… – Fais‑t’en pas pour elle, elle doit être en train de manœuvrer le barbe de première. – En tout cas l’affaire se rassemble bien, remarqué‑je. – Tu trouves? – Couchetapiane et sa Rita sont dans le coup avec Hildegarde. Laurenzi aussi était dans le coup. – Dans quel coup? – Nous finirons bien par le découvrir. Ce joli monde cherche un type mystérieux, ça, nous le savons. Un type qui doit frayer dans les milieux de la prostitution. En outre ces messieurs‑dames se préoccupaient d’un dénommé Bérurier… – Moi‑même personnellement? demande Alexandre‑Benoît. – Ou ton oncle. Qui sait? Le cher homme avait peut‑être découvert l’usage qu’on faisait de son immeuble de la rue Legendre et ruait dans les brancards. Le Mastar opine. – C’est très possible. Tonton, c’était un futé. Mon ami se met à pianoter la table. – Au lieu d’essayer de lui faire tirer les vers du nez par ta camarade, au maquereau, tu aurais dû me laisser agir. Ce pèlerin, tu l’as remarqué, a peur des gnons. Je te parie qu’en trois mandales, j’y fais raconter toute sa vie et celle de sa famille depuis l’époque des Gaulois. – Un quart d’heure, dis‑je. Il brumasse dehors. La rue est maussade, poisseuse, fatiguée. Il y a des jours où l’on a l’impression que Paris a trop servi et qu’il en peut plus! C’est l’heure de la bouffe, mais le public aimé ne semble pas s’en réjouir comme à l’accoutumée. Il reste prostré, l’estomac pas joyeux, l’appétit seulement organique. Les loufiats du troquet se mettent à croquer au fond de l’établissement, tandis que le patron, un gros zig chauve à gilet de laine, s’occupe du rade et la patronne de la caisse. Les patronnes s’occupent toujours de la comptée. A la table voisine de la nôtre, deux marchands de bagnoles se racontent leurs dernières arnaques, comment qu’ils ont maquillé en carrosses somptueux des tires promises à la casse et combien ils étaient fiers, leurs clients, de s’en aller au volant d’une guinde dont le pont était plus bourré de son qu’un ours en peluche… Vous croyez qu’ils sont heureux de leur bon tour? Même pas. Ils en parlent pour essayer de s’affirmer par la triche, pour faire le pied‑de‑nez à leur sens moral, mais contents, non. Ils font du vol plané dans leur destin. Fatalitas! Vingt minutes qu’Odile… Cette fois le tracsir me prend. Je sens que nous avons affaire à des gens pas comme les autres. A des gens impitoyables… Le rôle d’un simple marlou dans tout ça, je l’ignore. Mais ce marlou appartient à l’équipe d’Hildegarde. Il a des trucs graves à cacher et… – Allons‑y, Gros! – Pas dommage, soupire‑t‑il en enfilant son vieux pardingue perforé. Cette fois, c’est Alfred qui ouvre la porte. Il réprime une grimace en nous apercevant. Il va pour s’exclamer «Encore vous?», se rend compte que ça ne serait pas civil et s’abstient. – Besoin d’un autre renseignement? il soupire. – Tout juste, Auguste, versifie Béru en le refoulant d’un coup de genou dans les castagnettes. Nous pénétrons d’autor dans l’appartement. Imaginez‑vous que le cher Alfred était occupé à faire le pli de son pantalon. Une vraie petite femme d’intérieur, mes choutes. La table à repasser est dressée, le fer électrique branché repose sur un support métallique et il a préparé sa pattemouille. – Je me gaffais que t’étais bon à tout, mais homme à tout faire, alors là, tu me la coupes, ricane le Mastar. – Faut bien que je mette la main à la pâte puisque, par votre faute, je me trouve sans personnel, rechigne Couchetapiane. Cette vieille carne m’a rendu son tablier, vu qu’elle ne veut travailler que dans la Haute Société! Sans lui répondre, je me mets à investiguer. Je visite tour à tour le livinge, la chambre, la salle de bains, la cuisine et leurs placards respectifs sans découvrir ma mignonne Odile, ce qui me rassure. Probable que tout se sera bien passé avec le marlou. Seulement pourquoi n’est‑elle pas venue nous rejoindre, sa mission accomplie? Toujours discret, mon féal s’est abstenu de poser à Alfred les questions qui lui brûlent les lèvres pendant ma brève absence. Aussi est‑ce moi qui attaque: – Je crois que tu viens d’avoir une visite, Freddo? l’à‑brûle‑pourpoints‑je. Il ouvre des yeux ronds sous ses sourcils épais. – Une visite? La beigne dont le gratifie Béru le fait chanceler. – Simple avertissement, pour t’apprendre à pas chambrer les bourres, petit canaillou! déclare mon compagnon… Sa marotte, à Béru, quand il gifle un malfrat, c’est de replier ses doigts, si bien que ses gifles ressemblent à s’y méprendre à des coups de poing. Illico, voilà la pommette tuméfiée de Couchetapiane qui se met à enfler. – C’est trop fort, pleurniche‑t‑il. Puisque je vous donne ma parole d’honneur que je n’ai reçu personne! Deuxième parpaing béruréen, mais sur l’autre pommette. Alfredo se met à ressembler à un accident de chemin de fer. – On te dit qu’une jolie petite dame est venue te voir, fesse de rat! tonne le Tonitruant. Alors brise‑nous pas les pendeloques avec ta parole d’honneur. C’est plutôt une parole de donneur, oui! Vous dire s’il a de l’esprit, ce matin, le Gros! Un vrai Vermot à lui tout seul. Cette fois, Alfred se tord les mains. – Messieurs, vibre‑t‑il, messieurs, je ne peux pas vous dire qu’une dame est venue puisque personne n’est venu! Ne me croyez pas si vous voulez, mais ne m’obligez pas à avouer une chose qui n’est pas. Curieusement, nous sommes touchés par un accent de grande sincérité. Ce type‑là est pourri jusqu’à l’os, pourtant il y a dans sa voix un ton de vérité qui ne trompe pas. J’arrête le bras matraqueur de Béru. – Minute, Gros, laisse‑nous bavarder, tu le finiras après si besoin est! – Besoin sera! prophétise Sa Matraque qui ne demande qu’à distribuer de la purée de cartilages. – Ecoute, Alfred, enchaîné‑je, puisque tu répugnes à avouer ce qui n’est pas, avoue au moins ce qui est… J’allume un cigarillo et, classiquement, je lui balance la première bouffée dans les trous de nez. – Tout à l’heure, petit père, tu nous as baladés en barlu au sujet d’Hildegarde… Il rougit. – Moi!!! s’écrie‑t‑il avec les trois points d’exclamation que je viens d’avoir l’honneur de faire reproduire scrupuleusement par le valeureux linotypiste qui se farcit mes élucubrations et auquel j’adresse toute ma sympathie[23]. Marrant, les inflexions d’une voix. Il a voulu être sincère, mais cette fois, n’y est pas parvenu. – J’ai interviewé Mme Merluche, mon pote. Elle prétend qu’il y a eu à sa connaissance deux raouts chez toi et qu’Hildegarde y participait… – M’en souviens pas, ergote le don Juan de Rita… Possible après tout, se hâte‑t‑il d’ajouter en voyant frémir le poing du Mastar. – A ces soirées participait notre camarade Laurenzi, pas vrai? Et puis aussi le Prince, si je me goure pas? Il tord le nez et se tait. – C’est oui ou c’est non? insiste Béru en lui plaçant son panard dans le creux de l’estomac. – Oui, oui, fait précipitamment Couchetapiane. – Bon, alors tu vas m’affranchir gentiment sur ce que cette joyeuse bande maquillait, bonhomme… Il se reprend, Alfred. Il se dit que le temps se couvre mais qu’il doit se montrer homme, ne pas céder aux sollicitations pressantes de deux poulagas. Il pense que si je le questionne, c’est parce que je ne sais rien de précis. Alors, pas locdu, il conclut que si je ne sais rien de précis il peut me mentir, ou en tout cas battre à Niort. – Qu’est‑ce que vous allez imaginer, dit‑il, d’un ton bien frais, bien matinal, bien décidé, il s’agissait de réunions purement amicales. – Parole d’homme, Alfred? Il étend le bras du serment, sa main ne frémit pas. – Alors, là, parole d’homme! Je souris et m’assieds sur un tabouret de la cuisine. Un beau tabouret formiqueux, avec des chromes étincelants. – Béru, soupiré‑je, je crois que tu avais raison; faut lui mettre une danse pour l’assouplir, on vient de toucher un menteur, je déteste… – Tu permets que je prisse mes zaises, déclare le Dodu en tombant pardingue et veston. En manches de chemise sale, avec son vieux bada ravagé sur le dôme, il est à la fois grotesque et sublime, mon Bérurier. Quelque chose de majestueux et de puissant émane de son individu. Bestial et serein, obtus et terrible! Il est aussi implacable qu’un robot. C’est le robot pensant, Béru. – Ah non, merde avec vos manières! grince Alfred, révolté, survolté, virevoltant. Il tombe en garde. Ça ne déplaît pas au Gros. Alexandre‑Benoît, il affectionne l’opposition. Ça le dope et le justifie. Un passif, il le mailloche sans y mettre son âme. Des poings sans âme, c’est bête comme les pistons d’une locomotive, ça n’improvise pas, ça se contente de fonctionner. Une rébellion, au contraire, pousse à l’ingéniosité. Ça fait chatoyer l’imagination. Ça vous contraint au génie, ça vous oblige à construire. Un type sans réactions, c’est une victime et une victime rend sadique. Tandis qu’un adversaire vous ennoblit. Je sais, rien qu’à mater la garde d’Alfred, comment Béru va s’y prendre avec lui. Un faux coup bas pour l’obliger de tomber un peu les bras, mais le Gros va garder toute son assise et, recta, lui nougater les mandibules. Ça ne fiarde pas! Le poing gauche du Fracasseur pique sur le foie de Couchetapiane qui s’y laisse prendre et veut bloquer. Ce faisant, il découvre un menton aussi visible que le perron de l’Opéra quand on se place à la sortie du métro. Le poing droit de mon féal jaillit. Pas possible d’être si gros et si prompt! Oh! ce pain de trois livres, ma pauvre dame! Ça fait «tiafff». Les yeux d’Alfred deviennent cloaqueux, ils se vitrifient, on dirait qu’on lui a cloqué des verres de contact en vitre dépolie. Il clapote des mâchoires comme s’il mangeait de la purée trop chaude. Et puis Alfred nous donne le bonjour et s’affale, faisant dans sa chute basculer la cuisinière à gaz. Ça tintamarre dans la cuisine. Le Gros considère son poing sans piger. – Tu parles d’une mauviette, j’y avais pourtant mis que la dose nourrisson. – Faut croire qu’il supporte mal les barbituriques! J’attrape l’assiette d’eau servant à humidifier le falzar en cours de repassage et je la flanque sur la devanture du voyou. Couchetapiane rouvre les vasistas. Il geint, se redresse et me met à cracher du sang agrémenté de perles blanches: ses dents. Quand il en a glavioté quatre, il peut pointer sa langue hors de sa bouche tout en gardant les mâchoires crispées. – Excuse mon ami, interviens‑je, il est tellement gauche, qu’il ne connaît pas sa droite! S’il t’avait placé un doublé de ce calibre, tu dormais jusqu’aux actualités télévisées de dernière heure! Alfred hoquette: – Il m’a cassé les dents! Ça le fait zozoter. – Te plains pas, j’ai repéré la plaque d’un dentiste dans l’immeuble, déclare Béru en se frottant les phalangettes sur le pantalon. – C’est à la Santé qu’il se fera repaver le boulevard! tranché je, tu ne penses pas qu’on va le laisser en liberté! Je m’incline sur Couchetapiane. – Je suis pas pour les voies de fait, camarade, seulement tu n’as que ce que tu mérites. Tout à l’heure, si tu as remarqué, mon ami ici présent est parti d’ici avant moi, tu te rappelles? Il est allé faire mettre ta ligne téléphonique à la table d’écoute, si bien qu’on a enregistré ta converse avec Rita lorsque tu l’as appelée, au tabac d’abord et à l’hôtel ensuite pour lui recommander de ne rien dire au sujet d’Hildegarde. Alfred a le regard battu, comme, après l’amour, l’homme qui s’est trop dépensé. – Alors, continue Bérurier le Vaillant, Bérurier l’Intrépide, Bérurier 1e Sanguinaire, en administrant un coup de pompe dans les côtelettes d’Alfred, alors, y te reste plus qu’à accoucher, mon petit homme, autrement sinon je te pratique une césarienne que j’ai le secret. Couchetapiane suce son sang. Ça fait des bulles rouges au coin de sa bouche. – Allez demander à Laurenzi, dit‑il. Nous, Rita et moi, on n’a fait que de les mettre en cheville… – Momento! dis‑je. Je passe dans le livinge pour ramasser le canard que lisait cet enfant de sagouin lors de notre première visite. Le meurtre de Jérôme Laurenzi n’y figure pas. Probable que la presse a été rencardée trop tard pour les premières éditions de la matinée. Donc, selon toute vraisemblance, Alfred ignore le décès de Laurenzi… Je retourne dans la cuisine. – Tu es un ami de Laurenzi? – Ami, enfin, oui, je le connais… – T’es un petit réticent dans ton genre, gouaillé‑je, on dirait que la vérité est pour toi un siccatif qui te brûle la bouche au passage. Je te préviens que si tu t’affales pas complètement, quand on te bouclera tu ressembleras à un tas de chiffons. Raconte! Il mate avec détresse le décor qui l’environne. Tout cela lui était naguère familier, et brusquement tout cela devient menaçant, hostile. C’est toujours pareil dans la vie. Quand tout va bien, on trouve son home bénéfique; mais dès que ça se gâte, il apparaît vachement louche. – Raconter quoi? – Hildegarde et Laurenzi… – Hildegarde était une copine de tapin de Rita. On a lié connaissance. Je l’ai trouvée sympa… J’ai essayé de la prendre comme doublarde, mine de rien, mais c’était pas son genre. Elle m’a expliqué que le turf, pour elle, représentait un moyen d’action pour mener à bien une mission qu’elle avait entreprise. – Quelle mission, Alfred? – Je l’ignore, c’était pas une causeuse… Elle voulait connaître des caïds de la prostitution. Elle expliquait qu’il y avait gros d’artiche à gagner… Comme je me trouvais plutôt pote avec Laurenzi, je les ai présentés… – Et qu’est‑ce que ça a donné? – J’en sais rien. – Pourquoi recommences‑tu à nous chambrer? – Je vous chambre pas! – Oh que si! Alors mon ami va de nouveau s’occuper de toi! J’adresse à Béru un signe d’intelligence qu’il comprend malgré tout. Le Gros regarde Couchetapiane, puis son poing. Il décide que la partie de cogne manque d’imprévu et il se rabat sur le fer à repasser toujours branché. Il arrache la prise et s’empare de l’objet. Pour montrer à quel degré d’incandescence il se trouve, Béru le pose sur le superbe pantalon d’Alfred. Ça fait un bruit de fer à cheval chauffé au rouge qu’on plonge dans un baquet d’eau. Une moche odeur nous grimpe dans les trous de nez. – C’était du pure laine, ton costard, apprécie le Gros. A l’odeur, je reconnais la qualité. Le fer a traversé les quatre épaisseurs du futal et imprimé profondément son empreinte dans le bois de la table. – Si tu ne craches pas le morceau tout de suite, je te repasse! affirme cet être énergique et plein d’inventions. Ce disant, il approche le fer de la joue d’Alfred. Ça le fait bronzer, Couchetapiane, cette source de chaleur. – Deux gifles avec c’t’ outil, fait le Gros, et tu trouveras plus à maquer que des aveugles; seulement, grouille‑toi de jacter avant qu’il refroidisse. – Oh bon, ça va, je vais tout vous dire, consent le cher garçon dont la joue roussit nettement. Il va effectivement tout nous dire, j’en mettrais ma main au fer à repasser; seulement il se produit comme un début d’incident technique. Quelque chose dégringole dans la cuisine. C’est lourd, c’est rond et ça roule au pied de Couchetapiane. Mort de mes os! Je reconnais une grenade. Une main on ne peut plus criminelle vient de la jeter par l’entrebâillement de la lourde. Je fonce comme un fou dans le couloir en entraînant Béru. On vient à peine de débouler dans l’entrée qu’une explosion formidable retentit. Je pourrais essayer de vous l’exprimer avec des «rrraôumdes «vlangggget des «tziboum‑badaboum(les meilleurs), mais à quoi bon? Et surtout à quoi bonds? Et même, à quoi James Bond? Ça plâtrarde partout. Y a une brèche dans la cloison. Par icelle, je coule un z’œil dans la cuisine. J’aimerais bien savoir ce qu’il est advenu (des Champs‑Elysées) d’Alfred. Au milieu de ce bigntz il a dû être décoiffé, le coquet. Je le vois pas, biscotte la fumaga. Le plaftard continue de faire des petits. Ça remue‑ménage dans l’immeuble. Ça déménage! Ça change de rue! Les bouillaveurs changent de rut! Les marchands de bagnoles changent de ruses! (Je peux vous en pondre commak à la pelle, ça ne me fatigue pas.) Béru a été commotionné par l’explosion. Il a pas lâché son fer et, en chancelant, il court à un divan pour s’abattre dessus. Hurlement prolongé et pathétique du Gros qui s’est assis sur le fer! Son costard à lui n’est pas pure laine; en revanche, ses miches sont pure viande. Ça sent (évidemment) le cochon carbonisé. Le Gros se roule sur la moquette en poussant des cris tous plus abominables les uns que les autres. Je veux ouvrir la porte palière afin de m’élancer sur les traces de l’agresseur. Hélas! hélas! hélas! le malin (ou la maligne) a bien calculé son affaire. Pendant qu’on entreprenait Couchetapiane dans la kitchen, il a retiré la clé de la serrure pour la placer à l’extérieur, si bien qu’en partant il n’a eu qu’un tour de clé à donner! L’audace et la promptitude de l’attentat sont proprement confondantes. J’ai déjà vu des gars gonflés (les noyés de la Morgue entre autres) mais à ce point, rarement! Mon sésame entre en piste. Cric‑crac, chuchote‑t‑il. La porte s’ouvre. Il y a trente‑deux personnes dans l’escadrin, échelonnées le long de la rampe, avec de l’anxiété à ne plus savoir où la mettre. (Certains se la déposent dans le fond du slip afin d’en témoigner devant leur Bendix.) Je saute dans l’escadrin… Des voix m’interrogent. Je leur réponds que c’est le tube cathodique d’un poste de téloche qui a explosé, rapport à Jacques Chabannes qui a éternué dans la caméra numéro 2. Me voilà en bas. Les badauds badaudent dans l’entrée. Je leur brandis ma carte de poulman. – Qui vient de quitter l’immeuble? aboyé‑je. Ils se regardent, se trouvent pas beaux, se l’expriment par des «beuhh». Pas moyen de leur tirer quoi que ce soit. Ils ont entendu le gros bastringue et se sont pointés. Personne n’a remarqué personne. Je me rue dans la rue. Un loufiat du bistrot est là, qui mastique un oignon cru, manière de se blinder l’haleine (c’est l’haleine du pingouin, car il est en noir et tient ses pieds en flèche)[24]. – Police, mon gars, lui dis‑je, une bagnole vient sûrement de décarrer en trombe, non? Il finit son oignon et me dit «oui». Son oui, c’est toute la Provence. – Elle était comment, cette chiotte? – Une DS noire, dit‑il. – Vous avez noté le numéro? – Juste celui du département: 75. – Qui la conduisait? – Un type. Il attendait une femme qui s’est précipitée dedans. – Une femme blonde? – Je sais pas, elle portait un gros bonnet de skieuse en laine noire et un manteau de daim noir bordé de fourrure… Je sonde la rue où un facteur pédale, les genoux écartés. Trop tard pour essayer une courette. Mais le tuyau est bon. – Et le gars qui pilotait, vous avez eu le temps de l’admirer? – Non, m’a semblé qu’il avait les cheveux blonds légèrement frisés sur le derrière. – Merci, vieux, vous au moins, vous n’avez pas les yeux dans une boîte à pilules. Je fends la foule qui s’agglutine et je regrimpe chez Couchetapiane. Des gens assistent le Gros, croyant qu’il a été blessé par l’explosion. Il l’est. Le fer à repasser s’est imprimé pour toujours dans le dargeot de Sa Majesté. Le cœur récemment tatoué a disparu sous une monstrueuse cloque qui sanguinole. Il gémit, mon Béru. Les grands blessés de la fesse, c’est dramatique. – Je pourrai jamais plus m’asseoir! larmoie‑t‑il. Au lieu de m’apitoyer je pénètre dans la cuisine. Vous verriez ces décombres, ça vous donnerait la nausée: vaisselle et meubles sont brisés. Un désordre indescriptible que, néanmoins, avec mon grand talent réaliste, à côté duquel celui de Zola n’est qu’une rédaction d’élève de sixième, je vais essayer de vous décrire, règne dans la pièce. Les pieds de la chaise sur laquelle se tenait Alfred ont été fauchés par la déflagration et gisent avec ceux de Couchetapiane à l’autre bout du local. Les claouis du malheureux se trouvent sur la table à repasser, et ses tripes serpentent en fumant jusqu’à la cuisinière à gaz. C’est devenu un buste, le marlou à Rita. On trouve son nombril sur la boîte à sel, son foie dans le réfrigérateur défoncé, sa rate dans une poêle Tefal (heureusement ça n’attache pas). Il est assis sur ses poumons, Alfred, ce qui n’est pas inconfortable, mais l’oblige à une position biscornue. Il a encore l’air surpris et sa lèvre supérieure retroussée découvre ses ratiches éclatantes. Pas la peine de l’envoyer à la révision, ça coûterait trop cher. Vaut mieux que madame sa maman fasse un échange standard. Je sais bien que la chirurgie moderne fait des miracles, mais tout de même… De temps en temps, on nous annonce dans les journaux qu’un zig vient de se faire placer un cœur artificiel. Paraît que le monsieur vit et qu’on a bon espoir. Dans ces cas‑là, j’ai idée que le Bon Dieu, là‑haut, il doit salement faire la gueule. Il trouve pas drôle que les hommes le ridiculisent. Et puis, trois jours après, on révèle que le sans‑cœur est clamsé, et du coup, le Barbu respire en se disant que c’est pas encore cette fois que ses marionnettes lui démoliront le standinge. Pourtant ça lui pend au nez, à Dieu, la victoire de ses créatures sur lui‑même. Il est imminent, le jour où ces messieurs le relégueront au rang d’apprenti sorcier. Le temps vient où les hommes en fabriqueront d’autres autrement que par le canal habituel (qui est voisin de celui de l’urètre) et où ils parviendront à se rendre immortels, eux aussi, comme un Grand. Alors Dieu ne fera plus le Malin. Les pompelards s’annoncent, et puis Police‑Secours, comme chaque fois qu’il y a du pet quelque part. Je récupère mon Gros après qu’on lui eut filé un pansement sur sa brûlure. Il insiste pour s’entifler un double cognac toutes affaires cessantes. – J’ai souvent eu le feu quèque part, dit‑il, mais jamais à ce point. Ton avis sur tout ça, Mec? Il est pas reluisant, mon avis. Je me flanquerais des claques et même des coups de pied si je ne me retenais pas. Envoyer ma chère Odile dans cette galère, faut être drôlement inconséquent, vous ne trouvez pas? – Mon avis, je vais te le dire, Bonhomme. La clique à Hildegarde est arrivée à ses fins et Mademoiselle liquide tous les gens qui l’ont aidée. Ainsi de Laurenzi, ainsi de Couchetapiane. Ce dernier devait être surveillé et notre venue a créé la panique chez les donzelles. Ils ont intercepté Odile avant qu’elle n’aille chez lui, c’est sûr… – Comme ma Berthe! s’exclame le Brûlé. – Comme ta Berthe! – J’ai plus d’espoir de la récupérer vivante avec ces déménageurs, réfléchit mon ami. Tu vois comment ils procèdent? Mitraillette pour mézigue, bourrage de crâne pour ma cousine, étranglement pour Laurenzi, grenade pour Couchetapiane. Ils jouent Volga en flammes, ces carnes. Rien ne les fait hésiter. Faut se faire une raison, San‑A., désormais dorénavant, pour toi comme pour moi, c’est le grand gala des veufs!
Date: 2015-12-13; view: 442; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ |