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Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


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PROLOGUE 4 page





Généreux, il me sert un godet de sainte‑croix‑du‑mont provenant de chez Camille Brun. Ce miraculeux breuvage gagnerait à être servi plus frais, mais n'en reste pas moins éblouissant.

Je porte un toast au Valeureux.

– Garde‑le en bouche longtemps, conseille l'œnologue; ça s'avale quand t'est‑ce il a largué tout son aromate.

J'en conviens.

– Tu disais que cet interrogatoire longue durée avait payé?

– Assoyons‑nous là‑bas, près d'la fenêt', qu' j' t' narrasse.

Installation dans des sièges capitonnés. L'énorme cul du Mastard s'y implante comme une pierre rare dans les griffes d'une bague.

– Figure‑toive, commence‑t‑il, qu'à la seconde où j'ai maté ces pédoques, j'ai su qu'y z'étaient glauques. J'fais pas alluvion à leurs enculeries. Chacun utilise son fion comme bon lu semb'. Mais quéqu'chose m'a prév'nu qu'y z'étaient signés fum'lards. L'instincte d'perdreau, tu connais aussi bien qu'moive…

J'admets d'un battement de paupières.

– Où j'en avais, c'tait à propos du riboustin que l'Noirpiot avait dégauchi dans leur vieille charrette et dont j'ai j'té un œil dessus avant qu'tu l'emportasses. Pas du gadget pour dame peureuse, mais un' authentique rapière d' pro. Des calibres commaks n's'trouvent point dans les vent' d' charité! D'un aut' côté, j'm'aye dit qu' si tu prêtes un' guinde, t'y oublilles à la rigueur tes lunettes ou tes cigarettes, n'en aucun cas un canon antichar. J'm'ai centralisé su' c'point et j'ai eu raison!

Il rajuste son chapeau à tout jamais légendaire. Se penche pour capter son image sérénissime dans une glace à trumeau.

– C' pourtant vrai qu' j' lu ressemb', murmure mon Alexandre‑Benoît d'un ton épanoui.

– Son sosie! confirmé‑je. Alors, pour en revenir aux deux gamines?

– Des dileurs, Grand![18]

– Ils te l'ont avoué?

– Pas facil'ment, mais j'y ai arrivé. Av'c l' temps, la patience et des beignes dans la gueule, t'finis toujours par triompher la vérité; c't'un grand principe qu'm'a enseigné l'commissaire Marmelon à mes débuts. Sa d'vise, c'tait: «Pour mett' un gussier au gnouf, faut des preuv', et pour avoir des preuv', faut cogner!» R'marque, d'son temps, les bavures eguesistaient pas. Nos aînés avaient les coudières plus franches…

Il exhale le soupir qu'eut Chimène en apprenant que messire Rodrigue venait de zinguer son paternel.

– Ça te contrarierait beaucoup d'entrer dans le vif du sujet? pressé‑je.

Momente!

Il se dirige vers un meuble gracile supportant le livre le plus fameux de Titan Ma Gloire. Il s'agit d'une édition reliée de: Il faut qu'une vessie soit remplie ou vidée, œuvre lui ayant valu d'entrer à l'Institut l'année où il a fait si chaud.

– Tiens, mate! enjoint cet ami sans précédent dans l'histoire des relations humaines, c'en vaut la peine.

J'empare l'ouvrage.

Format 13 x 18, relié pleine peau de salamandre, dos à nerfs de phacochère mort‑né, tranche dorée au jaune d'œuf de caribou, impression sur Arche du pont des Arts. Un chef‑d'œuvre, nonobstant son contenu.

Je l'ouvre.

La page du faux titre comporte une dédicace de la main du géant des lettres:

 

A Guytou, mon soleil de minuit.

Titan

 

Après avoir pris connaissance de cette déclaration fulgurante, je feuillette le book.

Chaque cahier est ponctué d'une illustration de Brueghel (pas l'Ancien, l'un de ses descendants), tirée sur bouffant anorexique.

– Eh bien? demandé‑je.

Comblé par mon manque de perspicacité (tous les subalternes sont charognards), il adopte un air avantageux.

– Mate de près les pages de dessins!

– Elles sont épaisses, noté‑je.

– Elles peuvent!

Il se penche sur l'incunable, avance ses gros doigts aux ongles noirs vers une illustration, la grattouille à l'un de ses angles et finit par l'ouvrir sur sa partie supérieure, ce qui révèle une sorte de pochette.

Il renverse alors le livre et le secoue légèrement.

Une poudre blanche pleut.

– Paraîtrait qu'y mettaient vingt‑cinq grammes de schnouf par gravure, assure mon collaborateur. Multiplié par dix, ça donne un' demi‑livre d'neige. Idéal pour coltiner d'la blanche, tu croives pas?

– Chapeau! complimenté‑je.

Il lisse l'ouverture entre pouce et index: la planche récupère son aspect normal.

– Ils ont avoué?

– La Beauharnais! L'aut' bat à Niort! Mais j'désespère pas. On a tout' la noye pou' travailleller la question. J'suve persuadé qu'ils ont bien d'aut' confidences à larguer. Leur pétard, si tu voudras l'fond d'ma pensée, n'était pas nécessaire pour livrer d'la neige!

Je médite, obscur témoin. Fortement ébranlé par ses déclarations et découvertes.

– Qui sont les gens en train de poireauter dans le hall? bifurqué‑je.

– Des invités à la fiesta, j'sus été leur mett' quèques baffes dans l'portrait pour qu'y prend' patience…

Un aboiement réverbéré par le hall attire soudain notre attention.

– Salami? identifie Alexandre‑Benoît.

– Ça m'en a l'air.

Je dégouline jusqu'au rez. Fectivement, mon zélé cador est au bas des marches, qui m'attend.

A peine dégravis‑je l'ultime degré qu'il s'élance à l'extérieur.

Lui file le dur.

Le cador ne va pas loin. A deux mètres du perron, il oblique sur la gauche et stoppe près d'une bordure de buis artistiquement taillé de manière à composer un motif grec.

De sa truffe à la Mickey, il me désigne un objet coincé dans les feuilles coriaces.

Je reconnais une minuscule seringue, moins grosse que mon auriculaire (dont je ne me sers pas pour me curer les oreilles, malgré son nom, mais pour m'assurer que le café n'est pas trop chaud). Elle fait partie de ces ustensiles périmés après usage, dont la pratique est en plein développement. T'as les slips, les appareils photo, les couverts, les nappes et même le papier‑cul, jetables après usage. Le rêve de l'homme: être le seul à se servir de quelque chose. Il souhaite en secret des gonzesses qu'il pourrait flanquer dans le vide‑ordures, son coup tiré. Besoin d'exclusivité absolue. Une manière de régner sur sa consommation.

Je vais jusqu'à ma guinde prendre une pochette plastifiée, utilisée par les grands détectives pour protéger leurs indices.

Salami me scrute avec attention.

– Tu as pigé, toi aussi? lui demandé‑je.

Il affirmative des feuilles.

– Pas surprenant que le Rouillé n'ait pas trouvé trace de piqûre sur Ma Gloire: on lui a pratiqué l'injection après son examen et avant de le charger dans l'ambulance!

Le clebs traque une puce chiante qui jouait Jim‑la‑Jungle dans son pelage. M'a‑t‑il entendu?

Pendant cette battue, je tube à Jérémie dans sa gentilhommière du dix‑huitième (arrondissement).

– La fête bat son plein? demandé‑je.

– J'aide Ramadé à préparer son «Goût aux piments rouges».

Heureusement que je ne suis pas convié à cet annif, car demain j'aurais eu le petit guichet en flammes. A la suite du dernier repas auquel j'ai participé chez les Blanc, mon oignon a failli flanquer le feu au fond de mon bénoche.

– Concentre tes souvenirs, black Bocuse. Tu étais présent lorsque les ambulanciers ont emporté l'académicien?

– Oui, pourquoi?

– Quelqu'un s'est‑il approché de sa civière?

– Attends que je réfléchisse… Les deux folles sont arrivées au même instant en faisant un foin du diable, mais elles n'ont pas dû voir l'ambulance qui stationnait derrière ta voiture.

– Personne d'autre ne s'en est approché?

Sa respiration de M. Muscles africain me titille les trompes.

– Si! fait‑il. Le jardinier.

 

 

Comme c'était le ramadan, Moktar El Djam bouffait sa soupe de pois chiches parce que le soleil avait lâché la rampe. Son épouse, une grosse fatma sans dents, l'imitait en produisant un bruit de pompe aspirante. Elle devait mesurer un mètre cinquante avec ses chaussures, et une barbe frisottée cernait sa bouche, kif les poils d'un trou du cul.

Le couple vivait en compagnie d'un enfant consécutif à l'union de sa dernière fille avec un ivrogne polonais qui la battait abondamment. Ils élevaient le môme pour le soustraire aux brutalités de son père.

Ces braves gens occupaient deux pièces dans un pavillon loué par l'administrateur d'une hoirie interminable. M. El Djam entretenait le parc attenant pour payer son loyer.

Ils ne me virent pas arriver et je dus toquer au carreau. En me reconnaissant, le jardinier abandonna son brouet pour venir m'accueillir. Dans la lumière glauque de sa crèche, il me sembla plus vieux que précédemment; faut dire que la présence de son Antinéa lui filait un coup de buis redoutable. Le vieillissement d'un couple est générateur de rides soucieuses et de surcharge pondérale calmante.

– Vous avez besoin de moi? s'enquit l'aimable bonhomme.

– Vous étiez derrière l'ambulance lorsque Titan Ma Gloire y a été chargé?

– C'est vrai.

Il faillit presque ajouter: «fallait pas?», tant les humbles s'estiment en perpétuel état de culpabilisation.

– Personne d'autre ne s'y trouvait?

– Si: les infirmiers.

– Naturellement; mais excepté eux… et vous?

– Personne.

Je lui montre la minuscule seringue dans la pochette de plastique.

– Quelqu'un a jeté cet objet; ça ne vous dit rien?

– Non. C'est une piqûre? s'informe‑t‑il gauchement.

– Exact. Vous la voyez pour la première fois?

Il acquiesce, l'air profondément surpris.

– Pourquoi? se risque‑t‑il à demander.

Je me tais. Tous les perdreaux de l'univers détestent répondre à des questions, car interroger appartient à leurs prérogatives.

Et puis, il émet une proposition dictée par la proverbiale hospitalité arabe:

– Vous voulez manger avec nous?

Mon regard va au plat en cours de consommation. Pauvret mais appétissant. J'aime la tortore des modestes, souvent plus ingénieuse que celle des tables étoilées.

– Je ne voudrais pas vous déranger.

Il se récrie, bonnit des trucs à sa gravosse dans la langue de Mahomet. Docile, elle va quérir une assiette de sa jaffe, une cuiller, et les dépose devant moi sans m'avoir salué. Ça sent à la fois bon et bizarre, comme si la vioque avait filé de l'huile de ricin dans le potage.

Je bouffe.

Déconcertant, mais pas mauvais. Si ça se trouve, ce repas impromptu va me provoquer le même effet que ceux de Ramadé! Le goût africain, faut s'y faire, y habituer doucettement ses intestins chichiteux.

Je marque un temps.

La mère El Djam en profite pour placer un rot décoiffant, sans la moindre gêne, comme il est d'usage dans son pays ensoleillé.

Le brave harki murmure:

– C'est normal chez nous.

– Je sais, dis‑je; foin d'hypocrisie, le corps a la parole.

Il remarque:

– Je ne voyais pas les policiers français aussi détendus.

– Parce que vous ne les fréquentez pas.

Etrange dîner auquel j'étais loin de m'attendre.

La maîtresse de gourbi me lorgne par en dessous, exercice qui lui est facilité par sa taille. Si elle était capable de se poser des questions, se demanderait ce que je branle sous leur misérable toit.

Son petit‑fils, par contre, ne semble pas constipé des méninges. Il me visionne de ses yeux mobiles de rongeur, ne perdant pas une miette des propos que nous échangeons, son big‑ dabe et ma pomme.

Moktar vide complètement son sac à propos de l'Illustre. Brave homme n'ayant servi qu'une patrie (la nôtre) et fourré qu'un seul prose (celui de sa moukère), il a une vision stéréotypée de l'existence. Que Ma Gloire ait consacré tant de temps, de foutre et de blé à son équipe de lopes le vertigine. Un homme comme lui, avec des minets comme eux: c'est horrible.

Quand il la boucle, je saute dans sa roue.

– Revenons à l'instant où les infirmiers s'apprêtaient à le charger dans l'ambulance, fais‑je. Selon toute vraisemblance, c'est à ce moment qu'a été pratiquée l'injection. Conclusion: trois personnes seulement ont pu accomplir ce geste, rapide mais déterminant: les deux brancardiers et vous!

Tu connais ce magnifique cliché de «la foudre tomberait sur lui que nani‑nana», utilisé en littérature destinée à l'exportation dans les pays d'outre‑mer?

Il convient pile à la situation.

L'ancien harki s'arrête de mastiquer, pour mieux me contempler. Aux frontières du réel, il est! A mi‑chemin du Sahara et de la porte des chiottes.

Mon Dieu! comme il est touchant dans son éberluement.

– Mais, mais, je… je ne sais pas faire les piqûres, assure‑t‑il.

Saint‑Gentil! J'ai envie de fredonner La fille du Bédouin, autre chanson de papa qu'entonnait déjà Evariste, son père: un vieux type à peine aperçu dans mon enfance, qui avait été gazé pendant la Grande Guerre et glaviotait ses éponges dans un immense mouchoir à carreaux. T'as envie de grimper dans mon arbre généalogique? Rien à voir, tu peux circuler! Juste une famille de braves gens sans histoire ni histoires, dont les guerres furent l'Aventure et l'amour le Roman. Il se conjugue sur une patte, le verbe «exister», chez nous.

Pour le père El Djam, c'est kif‑kif‑bourricot.

Je pose la main sur son bras. Putain, il est pas flasque des biscottos, le bougre! Ça conserve, le travail du rez‑de‑chaussée.

– Ne vous méprenez pas, cher Moktar, lui dissipé‑je‑t‑il les affres, je ne fais qu'énumérer des possibilités d'assassinat. Croyez‑vous que si je vous estimais coupable, je mangerais à votre table cette délicieuse ragadasse?

Soulagé, il finit par avaler ce qu'il conservait en bouche.

Après quoi, il déclare:

– Les infirmiers non plus ne l'ont pas piqué puisqu'ils tenaient le brancard.

Il scrute ses souvenirs à bout portant, parle…

– Ils ont déposé un moment la civière à terre pour ouvrir les portes de l'ambulance, puis l'ont saisie sur les côtés pour la faire glisser à l'intérieur; après quoi, ils l'ont bloquée. L'un des hommes est monté près de Monsieur, l'autre a refermé et s'est mis au volant. Ils sont partis.

– C'est parfaitement raconté, apprécié‑je. Je vais vous annoncer quelque chose, Moktar: votre description de la scène est capitale pour l'enquête.

Ses sourcils se joignent.

– Vraiment?

– Je vous l'affirme!

Tout à coup, il soubresaute, ou plutôt tressaille (ne nous laissons pas emporter par le récit).

– Moi qui oubliais de vous servir du vin! déplore‑t‑il. Nous n'en buvons pas, mais j'en ai quelques bouteilles pour mes amis non musulmans.

– Laissez, ce thé à la menthe me convient parfaitement.

– J'y tiens! Je possède du mouaskar, qu'on appelait mascara autrefois. Je le conserve dans la remise, parce qu'elle est beaucoup plus fraîche que notre logement.

Et le voilà parti.

Sans lui, l'atmosphère de son gourbi devient pesante comme des testicules de taureau dans le réticule d'une dame de charité.

Par réaction, je pose au gamin cette question qui tant fait chier les écoliers de la planète:

– Ça marche, les études?

– Pff! me répond‑il avec éloquence, refusant d'entrer dans des détails susceptibles de desservir son standing.

– Tu as quel âge?

N'a pas le temps de me délivrer sa réponse. Les aboiements furieux de Salami, suivis d'un grand cri de douleur, rompent la sérénité nocturne.

Pressentant de la mocherie, je me précipite.

 

 

Qui a déclaré que la vie n'était pas un roman?

C'est quoi, en ce cas, l'existence, pour ce glandu aux cellules oblitérées? Une croisière à bord du Poséidon?

A la fin du chapitre que nous venons de quitter et qui demeurera dans la littérature hexagonale un modèle du genre, je t'ai averti (si mes souvenirs d'il y a dix secondes sont exacts) que je sortais en trombe du pavillon.

Ai le temps de distinguer une silhouette sombre qui s'éloigne en courant et disparaît dans la rue des Fran‑Macs. L'explosion d'un moteur appartenant à une ronfleuse de 125 cm3 retentit, s'éloigne…

Me reste à vérifier ce qui m'entoure.

Pas jouasse.

Moktar est couché en chien de fusil et Salami en fusil d'homme. Au cas où cette seconde posture ne te serait pas évidente, je précise: il est allongé sur le flanc, immobile.

Accordant sottement la priorité à l'espèce humaine, je me penche sur le jardinier.

Pas long à piger qu'il vient de se prendre un coup de surin dans le burlingue, au niveau de l'estomac; la douleur lui a fait adopter cette position plus ou moins fœtale. N'est pas mort, n'envisage même pas cette éventualité, mais il a du mal à trouver une respiration de croisière.

Je sors mon turlu pour lancer un S.O.S. Message reçu par qui il convient. Je recommande l'extrême urgence et m'agenouille près du vieux harki.

– Ne bougez pas, Moktar, l'en conjuré‑je. Vous pouvez parler?

Un début de vagissement me répond.

– Vous avez reconnu l'agresseur?

Il gémit un son que je considère comme une négation.

– Il guettait dans le noir?

Autre gémissement, d'acquiescement, cette fois.

Je le moule pour aller mater le Blaise Pascal des canins. Bonheur âpre et intense: Salami revient à lui. Je constate, à la clarté de la bicoque, qu'il a le dessus du crâne ecchymosé par un vilain chtard. On l'a estourbi, mais rien de grave.

– Tu n'es pas dans une période de chance, fais‑je. J'espère que cette fois ce sera pour solde de tout compte!

Et de caresser doucement son flanc haletant.

– Tu as vu qu'un type attaquait notre brave Arbi et tu es intervenu?

– Exact, acquiesce le toutou dans ce langage bizarre qui nous unit.

– Tu es en état de me narrer la chose?

Il l'est!

Le prouve.

D'après ses «explications», il m'attendait à côté de ma chignole. Il venait d'en descendre pour humecter le pied d'un lampadaire, lorsqu'il a aperçu une ombre près de la masure où nous post‑ramadions.

Alerté, Salamoche s'est approché sans bruit.

C'était le moment où Moktar quittait la table pour quérir du picrate. En voyant sortir l'Arabe, le guetteur se placarda derrière une cabane joliment percée d'un cœur, servant de gogues à la famille. Il attendit un instant, puis, quand le jardinier fut proche de la remise utilisée comme cellier, se précipita sur lui.

Le basset vit scintiller la lame d'un ya et comprit qu'on allait liquider mon hôte. Alors il aboya avec force. Moktar se retourna, vit la silhouette en train de foncer et tenta une esquive. Ce mouvement ne lui épargna pas le coup de surin, du moins dévia‑t‑il l'impact et, au lieu de transpercer son guignol, le lingue atteignit l'estom'. En même temps, Salami, l'héroïque, plantait ses canines dans un mollet de l'agresseur lequel, endoloré, se débarrassa de la bête en abattant sur sa caboche un manche de bêche passant par là. K.‑O. de mon brave clebs. Fin de son récit.

Réalisant qu'il venait de rater son coup, l'homme au poignard détala.

Une période d'intense confusion succède. Radinage de la mère El Djam et de son petit‑fils. Découvrant son harki en fâcheux état, la vioque se met à goualer arabe. Ses lamentos montent dans la nuit. L'enfant y joint ses appels désespérés: «Pépé! Pépé!» Tout ça grimpe en mayonnaise. Scène dingueste sur les bords.

Rameutage du quartier paisible. Mais nous vivons une époque où il suffit d'appeler «au secours» pour obtenir le couvre‑feu. Quelqu'un en danger de mort? Portes et fenêtres se ferment, les lumières s'éteignent! Pas d'histoires! Le courage? A la téloche only, quand on nous passe un film de guerre. Chacun fait chiasse à part, composte son slip à la moindre alerte. Trop d'héroïsme dans le passé! Tous ces mectons morts pour rien! Roncevaux! Valmy! Verdun! Décrochez, c'étaient des erreurs! T'as qu'une peau, mon drôle, prends‑en soin!

N'heureusement, l'ambulance s'annonce (apostolique, ne manqué‑je jamais d'ajouter). Si mon aventure continue à ce rythme, je ferais mieux d'en louer une pour la saison!

On embarque Pépère d'urgence afin de le driver à l'hosto de Garches. Sa coéquipière veut partir avec lui, le petit‑fils itou. J'ai du mal à leur expliquer qu'il ne s'agit pas d'une croisière romantique et pour calmer la mère, je consens à appeler sa fille.

Celle‑ci possède une très jolie voix sans accent, grave et chaleureuse. Lui dresse un état de la situasse. L'assure que son dabe s'en sortira; simplement, il devra bouffer moins de piment pendant sa convalo.

Elle me déclare qu'elle se rend immédiatement à son chevet. Lui réponds que j'y vais aussi…

Ah! les soirées de Louveciennes au clair de lune!

Tu veux que je te dise, Venise, en comparaison, c'est Aubervilliers le 1er novembre!

 

 

Il est sur la pente ascendante, Moktar (dirait ce reliquat du Premier en pire nommé Béru). L'œil vif sous ses stores en friche. On le ramène de la salle d'op', nippé d'une liquette d'hosto l'apparentant aux bourgeois de Calais. L'anesthésie fut de pure forme car, le toubib de garde me le confirme, le lingue de l'agresseur n'a fait qu'entamer la paroi stomacale. Il en a pour trois jours, mon harki.

Je place une chaise à son chevet et lui fais face.

– Ça va jouer? demandé‑je.

– Je pense. Mais sans votre chien, «il» me poignardait dans le dos.

– Qui, «il»?

Il amorce une moue de gargouille médiévale.

– Ben… celui qui m'a fait «ça»!

– Vous le connaissiez?

– Pas du tout.

– Vous avez eu le temps d'apercevoir son visage?

– Rapidement et dans l'ombre.

– Le peu que vous en avez vu ressemblait à quoi?

– Un homme de ma taille, plutôt jeune.

– Qu'appelez‑vous jeune?

– Moins de trente ans.

– Et encore?

– Il faisait une grimace qui ressemblait à un rire.

– Il a dit quelque chose?

– Presque.

– Qu'entendez‑vous par là?

– Juste un mot. J'ai cru comprendre «vérole».

– Quelqu'un a des raisons de vous en vouloir?

– Sûrement pas!

– Sûrement si! On ne poignarde pas les gens qui vous sont indifférents.

– Franchement, c'est impossible: je n'ai jamais fait de mal à personne.

– En ce cas, mon brave Moktar, vous devez être au courant d'un secret qu'on craint de vous voir divulguer.

– Je ne sais rien! assure l'ancien mercenaire français.

Un silence suit cet échange verbal (voire verbeux).

– Ecoutez, réattaqué‑je, vous allez vous remettre de cet attentat sans bousculer vos méninges. Reposez‑vous un max, laissez‑vous soigner. Lorsque l'énergie vous reviendra, procédez à un examen minutieux des événements s'étant déroulés au château. Vous avez fatalement assisté à un fait particulier dont vous ne mesurez pas l'importance qu'il revêt pour votre agresseur.

Comme je viens de parler, on toque et un couple pénètre dans la chambre. Le mec est un pas très joyce, à la peau rose blême constellée de bubons en cours d'assèchement. Il a un nez de rapace constipé, le regard loyal des spadassins en train d'assassiner le duc de Guise, et des poings qui lui pendent au bout des bras pareils à deux enclumes. Je devine, sans mérite, qu'il est le gendre du jardinier.

Son épouse martyre le suit. Etre plein de grâce, donc de charmes, qu'on fourrerait sans réclamer de dommages et intérêts.

En général, je déteste les filles formellement brunes qui se font teindre en blondes. Mais dans la présenterie, force m'est d'admettre que la réussite est indéniable. Sa peau mate est transcendée par la décoloration. Quant à ses yeux noirs et légumineux (pardon: lumineux), ils te pénètrent jusqu'au fin fond de l'âme, là que débute ta sexualité. D'emblée, cette jeune femme m'inspire intérêt et compassion avec, en supplément gratuit, un désir charnel incompressible.

Comme elle semble malheureuse! Et cependant inrésignée. Elle subit, en thésaurisant un capital de haine. La haine! Ce soutien des brimés!

Mais bon, je te décris la scène.

Monsieur gendre va droit au lit pour mater son beau‑dabe.

– Bonsoir, Kozeck, fait le jardinier planté.

En guise de réponse, le Polonais volte sur son épouse.

– Où as‑tu prendre que ce vieux salaud mourant? l'apostrophe‑t‑il en lui délivrant une mandale de deux livres. Lui aller mieux que moi!

Il parle avec un accent centreurope à la limite de l'audible.

– C'est pour faire chier moi que tu vouloir viendre!

Cette fois, il lui porte un taquet à l'épaule. L'adorable en chancelle.

Si je n'intervenais pas illico, tu serais profondément déçu, n'est‑ce pas?

Date: 2015-12-13; view: 401; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



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