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PROLOGUE 2 page





Jéré dégaina son portable pour composer le numéro.

Pendant qu'il faisait le nécessaire, je grimpis à l'étage, traversis l'antichambre jonchée d'un pantalon et parvins dans l'antre fornicatoire de l'écrivain par contumace. J'y découvris le minet blond décrit par le cher Félix. Le garçon (que je continue d'appeler ainsi), reposait sur le dos; ses jambes ouvertes rendaient plus évidente la mutilation. Je ne pus m'empêcher d'évoquer une fille mise en congé de baise par ses ragnoches.

Le blondinet se trouvait nu sous une pompeuse robe de chambre, j'étais prêt à parier un kopeck neuf contre un dollar usagé que le futiau de la pièce attenante lui appartenait.

N'étant pas convaincu que l'ablation de sa zézette avait causé son trépas, je m'accroupissas auprès de lui pour effectuer des constatations plus poussées. Ne tardis pas à me rendre compte que son meurtrier lui avait enfoncé la tige d'un poinçon d'acier à la base du cerveau. Un manche de buis formait une étrange excroissance à travers sa longue chevelure décolorée. Le criminel usait d'un matériel varié!

Jérémie me rejoignit, l'air désemparé.

– Quelle pétaudière, murmura‑t‑il. L'affaire va déclencher un cirque du diable!

On pouvait y compter.

– Ces meurtres ont été exécutés par un familier des deux hommes, notai‑je. Il semble évident que les victimes ne furent pas paniquées au moment du crime. J'aimerais qu'on fasse venir Mathias avant le patacaisse médiatique.

– Je viens de le prévenir: il arrive!

– Tu es chiant, grommelai‑je, tu penses toujours à tout!

– Parce que j'ai été à bonne école, assura le flatteur.

Un ronflement de moteur deux‑temps retentit, venant de l'extérieur. J'allis à la fenêtre et découvris un Arabe en bleu de travail qui commençait à tondre le gazon.

– Examine les lieux pendant que je vais aller discuter le bout de gras avec l'ami Mohamed, ordonnai‑je.

L'homme, un ancien harki blanchi sous le harkoi, possédait une gueule mourante de gars consacrant son existence à des valeurs qu'on lui avait certifiées solides. Ses tifs gris restaient drus, ses sourcils ressemblaient à deux brosses à habits et sa moustache était gauloise par excès de fidélité à notre pays. Son regard, brillant malgré l'âge, contenait une gentillesse bouleversante tant on la devinait sincère.

Il me vit approcher d'un œil surpris et, comprenant que je voulais lui parler, arrêta le raffut de son engin. Il n'osait sourire car mon personnage l'intimidait.

Lorsque je fus à lui, je lui tendis spontanément la main.

– Bonjour! fis‑je‑t‑il avec un enjouage que j'étais loin d'éprouver.

Il m'offrit sa patte calleuse comme une brebis[5].

– Vous êtes le jardinier? demandai‑je, car je ne rechigne jamais à souligner une évidence.

Il me répondit par l'affirmative, ce qui n'est pas fait pour te surprendre.

– Vous venez souvent entretenir le jardin?

– Trois fois la semaine.

– Depuis longtemps?

– Dix ans au moins.

Estimant ce préambule suffisant, je lui appris alors qu'il s'était passé «des choses terribles» au château. Le cher homme, qui cependant en avait vu de sévères au cours de son existence militaire ne devint pas gris (il l'était déjà) mais se mit à grincer des dents, manifestation d'autant plus regrettable qu'il s'agissait des siennes, miraculeusement préservées malgré l'âge et les combats.

Je l'entraînai vers la maison. Il avançait mollement, comme lorsque tu affrontes en espadrilles une étendue marécageuse.

Nous parvînmes dans le «hall tragique». Il se prit à grelotter en découvrant les deux gisants; la servante surtout l'épouvanta.

– C'est pas moi! C'est pas moi! chevrota l'ancien guerrier, sachant combien, en France, on est enclin à accuser le jardinier quand il y a meurtre au château.


J'entrepris avec gentillesse sa rassénération, après lui avoir assuré que je ne doutais point de son innocence. Nous avions besoin de renseignements, les plus précis possibles.

Les corps l'hypnotisant, je le conduisis au salon où une tortue silencieuse consommait mélancoliquement une feuille de laitue dans un parc disneylandien.

J'invitai mon nouvel ami à partager avec moi un siège en forme d'hélice, baptisé «conversation». Il y déposa gauchement un bout de fesse en alerte et me confia son regard de servitude.

– Comment vous appelez‑vous? attaquai‑je.

– Moktar El Djam.

– Eh bien, Moktar, vous allez me parler de cette maison: la manière dont y vivait Ma Gloire, les gens qu'il recevait, les incidents s'y étant produits… Rassemblez bien vos souvenirs et parlez sans crainte, vous avez ma parole d'officier de police que tout ce que vous me direz restera entre nous.

Le bon harki possédait une importante qualité parmi beaucoup d'autres: l'intelligence du cœur. Je m'aperçus rapidement qu'il savait négliger les détails pour aller à l'essentiel. Sa terreur surmontée, il parlait juste et clair. Certes, il venait de façon intermittente au château, pourtant sa besogne l'amenait fréquemment à soigner les plantes d'intérieur et à suivre ainsi le va‑et‑vient des livreurs et des visiteurs. Ces derniers semblaient de deux ordres: les quémandeurs et les familiers.

Les premiers satisfaisaient la vanité du Maître, car le principal mérite des demandeurs est de flatter. Titan se goinfrait de l'obséquiosité d'autrui. Il se laissait lécher avec volupté. Les louanges les plus suintantes le mettaient en pâmoison. Quand on l'avait bien oint et lubrifié, il congédiait ces sodomites gigognes avec brusquerie et sans leur laisser le moindre espoir.

Hormis ces passereaux de la gloire, l'académicien possédait une petite cour privée réservée à ses fornications. Il ne se cachait pas pour tripoter ouvertement ses minets. Moktar se rappelait notamment un épisode où le châtelain (disons plus justement, le «castelain») s'était fait tutoyer le pontife à l'ombre du grand cèdre bleu, orgueil du parc.

Le gentil Kabyle me fit bien d'autres récits de ce tonneau, mais Jérémie intervint pour m'avertir que l'ambulance était là. J'interrompis cette première livraison pour accueillir nos croix‑rougiens.

Les deux infirmiers s'apprêtaient à charger le Maître sur leur civière lorsque mon fabuleux Mathias, directeur de notre labo, survenit, blousonné de cuir et casqué martien car il venait d'acquérir une impressionnante moto japonaise, au grand dam de sa mégère.

Notre confrère ôta son heaume et sa rousseur emplit le hall comme la lumière d'un projecteur.


Il nous salua à peine.

– Qu'as‑tu? questionnai‑je. Tu viens d'apprendre que ton compte à la Banque du Sperme est à découvert?

– Marthe est ENCORE enceinte!

– Donc, j'ai vu juste: tu es à sec?

L'éminent garçon en avait un himalaya sur la patate car il maugréa:

– Ça fait plus de deux mois que je ne l'ai pas touchée!

– Et alors?

– Sa fécondation est récente; Marthe me trompe.

– Hé, moment! Ne précipite pas les choses: les dates, en matière d'obstétrique, sont souvent spécieuses!

Il plongea son regard au fond du mien jusqu'à pouvoir déchiffrer la marque de mon slip.

– Ma femme jure qu'il est de toi!

J'en suffoquis. Puis j'éclatis de rire[6].

– La moto! déclarai‑je.

– Comprends pas?

– Tu viens de la braver avec l'achat d'une ronfleuse, alors elle se venge en prétendant t'avoir cocufié!

Il devint perplexe, me considéra de plus rechef, puis sa mine de constipé chronique se fit presque sociable.

– Penses‑tu qu'elle soit capable d'une telle perfidie?

– Pour une épouse irritée, ce n'est pas de la perfidie; ta jugeote n'est guère plus haute qu'un bonsaï!

Cette fois, il irradia au point que je faillis chausser mes lunettes de soleil.

– Qu'arrive‑t‑il? demanda l'exquis personnage, si prompt à l'inquiétude, mais si facilement rassurable.

– Des choses, rétorquai‑je.

Empruntant le geste auguste du semeur, je lui désignas tour à tour, la Martiniquaise et l'écrivain.

Il reconnut ce dernier et tiqua:

– Mais c'est?…

– En personne! Commence par l'examiner car il vit encore et il faut le driver à l'hosto! Pour les autres, il n'y a plus d'urgence.

– «Les» autres? s'effara‑t‑il, oubliant qu'il s'agit d'un verbe transitif (je parle d'effarer).

Sous les regards du jardinier et des deux ambulanciers, l'abondant procréateur se livra à un examen à la fois rapide et précis de l'intéressé. Il le mit sur le ventre, sur le côté, ouvrit grande sa gueule de saurien, souleva ses paupières à demi baissées et déclara:

– L'émotion a été trop forte, il a été terrassé par sa panique.

Ce diagnostic posé, on évacua le Mirobolant.

Comme la gent ambulancière s'apprêtait à le charger, un vacarme retentit, composé de cris et de sonneries de clairon. J'écris clairon au singulier car il n'y en avait qu'un seul, mais qui faisait autant de boucan que, jadis, la clique de Pont‑de‑Chéruy.


Nous gagnâmes le perron, Jérémie and me, et vîmes surgir une vénérable bagnole jaune, aux ailes noires, ressemblant à un énorme hyménoptère aculéate, moins connu sous le nom savant d'abeille.

Deux personnes occupaient la vénérable torpédo, l'une et l'autre vêtues en costume Empire. La conductrice était, sauf erreur, en Joséphine de Beauharnais, son compagnon en maréchal Ney.

– Qui sont ces olibrius? questionnai‑je.

– Les familiers de Monsieur, renseigna le jardinier. C'est aujourd'hui son anniversaire et une petite fête devait avoir lieu.

– Drôle de sauterie!

Je fis signe à Moktar qu'il pouvait partir et laissai la tire stopper près du perron. Les passagers en descendirent, lestés de paquets aux rubans affriolants.

En les regardant approcher, je réalisai que la première épouse de l'Empereur était un travesti.

Ils poussèrent la porte et se ruèrent dans le hall en braillant:

– Joyeux anniversaire! Joyeux anni…

Ce qu'ils découvrirent alors leur coupa le sifflet.

 

 

On dit volontiers: «Con comme un moulin à vent.»

Je ne pige pas pourquoi: c'est pas con un moulin à vent, bien que la plupart soient hollandais!

En tout cas, les deux arrivants ont l'air authentiquement glandus, eux, espère. Pis que le mec faisant par inadvertance de la plongée sous‑marine dans une fosse à purin.

Reconnaissons toutefois que les déguisements ne contribuent pas à exalter leurs qualités intellectuelles. La Beauharnais a de la moustache et du poil aux pattes; le maréchal Ney, un rouquinos[7] avec du rouge à lèvres, compisse la banquette où il est assis, tant il a peur.

Ces chéris essaient de ne pas regarder la femme torturée, mais c'est tellement fascinant, l'horreur, que leurs yeux reviennent s'y poser comme des mouches sur une charogne.

Mathias étudie, avec son attention pointue, la servante «plantée du bas, fendue du haut». Quand il examine un mort, c'est comme s'il cherchait à devenir son ami, à l'apprivoiser pour se faire confier LA VÉRITÉ. Il lui chuchote des choses, l'écoute, crée une extravagante connivence entre eux.

Je le regarde agir, assis face aux deux biches épouvantées. A un certain moment, l'époux de la Marthe pondeuse retire le plantoir, puis la serpe à bois et joint les deux parties de la tête fendue en maintenant l'ensemble serré par un large élastique sorti de sa trousse.

Il prend un bloc de papier et consigne les points capitaux de son rapport, agenouillassé sur le carreau, le cul dressé comme un adorateur ou un sodomisé.

Ça dure chouchouïe, qu'à la fin il chope une crampe et change de position, s'asseyant, calé contre le gros cadavre de la patiente (si je puis risquer ce mot). Noircit ou plutôt bleuit (son stylo a des cartouches couleur Sainte‑Vierge), feuillet sur feuillet, kif un étudiant en philo penché sur sa disserte.

Jérémie, qui était allé raccompagner le jardinier, revient, tenant un sac de plastique de ces Galeries Lafayette grâce auxquelles le nom du courageux marquis n'a pas été oublié. Mystérieux, il le dépose sur mes genoux.

Je l'interroge du regard.

D'un sourcillement, il m'encourage à considérer l'intérieur de la pochette.

J'ouvre.

Un pistolet monumental, de tueur à gages assermenté! Une pièce d'artillerie susceptible de percer des trous dans la coque du Titanic si le fameux iceberg n'avait pas suffi.

– Où? briévé‑je.

– Le coffre de la torpédo, murmure le Mâchuré.

J'acquiesce et lui rends sa trouvaille.

– A voir! fais‑je.

Mathias vient de se redresser et nous rejoint.

– Tu as dit qu'il y avait un autre client? me demande‑t‑il.

– Montons tous! décidé‑je, en adressant un geste péremptoire aux follingues.

Ney et Joséphine grimpent sur les talons de notre scientifique ami.

Une atmosphère sentant la foudre écrase la maison. Seul, l'homme à la semence incoercible semble à présent détendu. Pour cet être, le travail est un véritable bonheur.

Naguère (voire même plus récemment), une bite sectionnée emplissait la clape du Maître. En reprenant conscience, il l'aura crachée, peu soucieux de ce quartier de noblesse tombé en déshérence. Le zob gît sur le tapis, privé du cadre sympathique que lui fournissaient un bas‑ventre et une paire de testicules quand il était opérationnel.

Les minets émettent des glapissements de renards découvrant qu'ils sont devenus manteau sur le dos d'une pute! Faut dire que c'est terrible, une verge toute seule.

Et puis nous pénétrons dans la chambre. Alors, les deux tantines chiquent aux pleureuses africaines. Cris et gargouillements! Lacérage et trépignage!

– Guytou! Guytou! strident‑elles devant le pauvre ébité.

– Calmez‑vous, mesdemoiselles! interviens‑je.

Tu sais quoi? Voilà la maréchale qui me donne un coup de griffes sur la joue.

Un chat sauvage!

Ma réponse est aussi fulgurante que positive: uppercut au bouc!

Ça a craqué? T'es sûr? En tout cas il est foudroyé de première, le gazier qui m'antagonise. Bras en croix, yeux brouillés pour une extase intérieure en comparaison de laquelle celle de ton épouse, lorsque je la saute, est pur chiqué.

Pendant que Mathias fait rebelote avec ce nouveau défunt, j'attire la Beauharnais dans une embrasure.

– Ma chère petite, commencé‑je, le moment des révélations utiles est arrivé. Montrez‑vous coopérative si vous ne voulez pas avoir la gueule pareille à une collision mortelle sur la Nationale 13.

Elle véhémente du menton. «Oui, oui, yes, si, da: elle est partante pour une converse à bâtons (mais non à menton) rompus. Elle dira tout, plus le reste! En inventera au besoin; mais ce qu'elle souhaite, c'est préserver notre amitié naissante.

Ne voulant pas t'infliger un procès‑verbal de pandore, je te résume.

Elles sont trois folles guêpes partouzardes qui draguent le riche micheton sur le retour. Ces chéries ont pu constater que le septuagénaire fraîchement converti offre une aubaine idéale. Sa sève subsistante l'invite à des dépravations qu'il n'a jamais pratiquées auparavant. Comme tout initié, il est prêt aux excès.

Les trois amis ont su mettre leurs pattes de velours sur l'académicien, l'ont entraîné loin dans la perversion et l'ont photographié en cours d'ébats. Ces images seraient susceptibles de ruiner sa réputation si elles cessaient d'être confidentielles.

Aujourd'hui marque l'anniversaire du grand homme. Aussi a‑t‑on décidé d'organiser un dîner de têtes en son honneur. Le Premier Empire se trouvant à l'ordre du jour, le thème de la fiesta prévue a été tout naturellement Napoléon, d'où ces déguisements. La réception doit avoir lieu dans une hostellerie réputée des environs: La Cage d'Or, à partir de vingt heures.

– Un instant! l'interromps‑je.

Je m'approche de Mathias, toujours en plein flirt avec la défunte chochotte.

– La mort de ces gens remonte à quand?

Il hausse les épaules:

– Trois ou quatre heures.

Je consulte ma toquante.

– Soit entre douze et treize heures?

– L'autopsie t'apportera une réponse plus précise.

– Donc, depuis midi, personne n'a ramené sa fraise (Henri III) au manoir?

In petto, j'ajoute: «A l'exception du père Félix.»

Accaparé par ces constatations, le Rouque ne juge pas opportun de répondre. Cézigus dirige le laboratoire de Police technique. Il n'est pas officiellement médecin légiste, mais en sait plus long que le code civil sur les questions morticoles et leurs dérivés; je le sollicite volontiers sur les affaires de meurtre.

Ney n'a pas un meilleur sort dans mes books que dans l'Histoire[8]. Voyant qu'il commence à remuer des épaulettes, je réinterviens.

– Ne vous agitez pas! conseillé‑je au prince de la Moskva en lui mettant une délicate talonnette sur la glotte.

Il juge mon conseil judicieux et se rendort, façon chérubin que sa nounou vient de branler, comme ces chères femmes le faisaient au bon vieux temps; thérapie grandement préférable au Phénergan, toutes les nurses compétentes te le confirmeront.

Revenu auprès de Joséphine, je dépose sur ses genoux mon légendaire calepin à couverture de moleskine noire.

– Ecrivez votre nom et ceux de vos copines, ainsi que les adresses.

La langue pointée, elle s'exécute, gentille écolière pleine de bonne volonté.

Coup d'œil à son devoir de vacances.

– Olympio, c'est vous?

Battements de ses longs cils en poils pubiens amidonnés.

– Et Guy, le pauvre défunt? Norman, le gisant à la mâchoire d'argile?

– Exactement.

– Vous demeurez à la même adresse?

– Les parents de Guytou sont morts dans un accident, il s'est retrouvé seul dans leur grand appartement de l'avenue Paul‑Doumer…

Cela allait de soi.

– Comment se fait‑il que le gentil Guy[9] soit arrivé ici avant vous?

– Gros Poutou a téléphoné ce matin en lui demandant de venir le premier.

– Cela se produisait fréquemment?

– Parfois, son humeur l'incitait à réclamer la présence de l'un de nous: besoin de tendresse.

– Et aujourd'hui fut le tour de ce malheureux?

– Hélas!

La pauvre biche met la main devant ses yeux beauharniens et éclate en sanglots.

Je respecte sa détresse.

– Coup dur pour vous deux, remarqué‑je: votre logeur refroidi, le micheton dans le coma, et la police sur les endosses. Comment est‑il venu ici, le chérubin?

– Gros Poutou l'a envoyé chercher par son chauffeur.

– Il en a un?

– C'est un retraité des taxis habitant le quartier qui lui en tient lieu.

– Son nom?

– Montmajour, je crois me rappeler, comme l'abbaye de Provence; il demeure au bout de l'avenue.

Voilà qui justifie une ligne supplémentaire dans mon fameux carnet.

Je cherche Jérémie du regard. D'un imperceptible acquiescement, il m'indique qu'il fonce interviewer l'ex‑collaborateur de la G7[10]. Je te le répète: ça fonctionne rond, nous deux.

Pour laisser à Joséphine le temps d'essorer ses pleurs, je retourne à l'Embrasé.

– Tu en as encore pour longtemps?

– J'ai terminé, le légiste prendra le relais.

– Premières réflexions?

Il se dresse, m'entraîne dans l'antichambre.

– Ces meurtres n'ont pu être commis par un homme seul, assure le planteur de spermatozoïdes; si je peux me permettre cette formulation: l'ASSASSIN ÉTAIT DEUX!

 

 

– Faut qu' j'vais d'mander à Félisque de fectuer des r'cherches plus poussives! fit l'empereur‑à‑forfait en tentant de décoincer sa braguette à la fermeture Eclair de laquelle manquaient deux dents (il en manquait bien davantage à sa propre mâchoire). Tu voyes pas, ma belle, qu' j'soye l'héritier naturel d'Napo?

– Qu'est‑ce tu f'rais? s'enquit l'éventuelle impératrice?

– J' vendiquerais mes droits!

– T'sais bien qu'on est en République, mon pauv'.

– Un' République qu'a tourné comme la mayonnaise, ma grosse! Un' République d'noces et banquets qu' personne n'y croive plus. Y a pas si lurette, quand un homme d'Etat causait à la téloche, tout l'monde s'arrêtait d'claper ou d'visionner Zorro su' un' aut' chaîne. A présent, sitôt qu'tu voyes surgeindre un quéconque chef d'parti, c'est la fuite aux abris! La monstre carapate! Tu t'branches su' n'importe quoive, n'importe où… Tu préfères mater la pube su' la pauv'dame perdant d'la valve et licebroquant dans ses jupailles; n'ou bien un documentaire su' la chauve‑souris femelle qui reste enfoutraillée des mois avant d'êt' fécondante. La population en a quine des blablateurs à mandats! Ell' va plus voter! L'premier gonzman se pointant pour prend' l'pouvoir n'a qu'à s'baisser pou' l'ramasser. Alors si moive, Béru, citoilien irréprochab', se pointe en annonçant qu'il est l'descendant de l'Emp'reur, j' t'prille d'croire qu'ça fait un cri dans la lanterne haute, fillette. J'passe à l'unanimisme, plus un' voix!

Elle l'écoutait, charmée par l'énergie de son jules, amoureuse de lui à nouveau; presque dominée!

Elle questionna cependant:

– C'est quoi t'est‑ce, l' paquet, su' la table?

Peut‑être espérait‑elle un cadeau?

– Tu vas voir, fit‑il d'un ton gourmand.

Et il sortit du papier un bicorne napoléonien, agrémenté de la cocarde.

S'en coiffa.

– Où c'qu'tu l'as déniché? béa Berthe.

– Chez un costumeur du Palais‑Royal, c'tait la plus grande pointure.

Il s'en fut chercher son impérialité dans la glace, l'y débusqua et se perdit dans une fascination suave.

Sa bouille porcine planturait sous le légendaire couvre‑chef qui lui donnait l'air totalement con.

– Tu voyes un' différencité ent'moive et lui? questionna le Mastard.

– Non! répondit‑elle, impartiale.

Ils en étaient là de leur délectation quand on sonna.

Berthe s'en fut délourder.

– M'sieur Félisque! cantonada‑t‑elle d'une voix lubrifiée par la reconnaissance.

Elle convoya triomphalement leur ennoblisseur jusqu'au salon.

– La vache! T'en jettes! s'écria le Mahousse, surpris par l'élégance inhabituelle du bonhomme.

L'universitaire se montra imperméable au compliment. Son air crispé, lointain et désabusé[11], dérouta Napoléon IV.

– T'as la tête d'une vieille banane tigrée, soye dit sans t'déconvenir. Des misères?

– On peut appeler cela ainsi! admit Galochard.

Sans plus tarder, le documentaliste narra au futur empereur la sanglante aventure qu'il avait connue le matin.

– Pourquoive t'as‑t‑il prév'nu Sana et pas moi? bougonna celui que la postérité surnommerait vraisemblablement un jour le Gros Caporal.

L'interpellé eut une réponse qui n'arrangea pas les choses:

– J'ai alerté les instances supérieures!

– Tu croives qué sont plus compétentes, tes insistances supérieures? J't' parille l'cul à Berthe cont' un' dinde truffée qu'je vais êt' en moins de jouge branché su' l'affaire…

Il dit.

Et, par miracle, le téléphone retentissit.

San‑Antonio réclamait Bérurier.

Ce dernier poussa la clameur émise par le stade de São Paulo quand l'équipe brésilienne marque un but, puis s'élança en omettant de changer de coiffure. Mais qu'importe: les modes sont cycliques.

 

 

Mon Vendredi (saint) réapparaît, flanqué d'un petit sexagénaire rondouillard.

– Voici M. Montmajour, présente‑t‑il.

Le taxoche retraité a les joues fourbies au Chinon (il est natif de l'Indre‑et‑Loire), le nez comme un champignon de couche et une voix évoquant celle d'un chanteur d'avant Quatorze enregistrée sur cylindre. Ses yeux pâles ressemblent à ceux de l'épagneul tibétain, en moins expressifs.

Il est carrément épouvanté en avisant des pattounes noires dépassant de la couverture.

L'angoisse le point.

– Un accident? chevrote‑t‑il[12].

Au lieu de répondre du geste, je lui péremptoirise de me suivre au premier. Je les aurais gravies une chiée de fois, ces marches!

L'émotion n'atténue pas son asthme chronique lui rendant l'ascension d'un escabeau aussi pénalisante que celle de l'Annapurna.

Lorsqu'il pénètre dans la chambre où repose toujours le corps de Guytou, il porte la main à sa poitrine et se laisse tomber sur un pouf.

Il ne peut parler, consacrant à sa respiration épisodique ce qui lui reste de vitalité. Pour lui, cet éphèbe équeuté, c'est du jamais vu, de l'impensable. Des morts? Soit! Il connaît! En a même ramassé sur les routes vacancières; mais des macchabées sectionnés du brise‑jet, never!







Date: 2015-12-13; view: 453; Нарушение авторских прав



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