Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

ÀðõèòåêòóðàÀñòðîíîìèÿÁèîëîãèÿÃåîãðàôèÿÃåîëîãèÿÈíôîðìàòèêàÈñêóññòâîÈñòîðèÿÊóëèíàðèÿÊóëüòóðàÌàðêåòèíãÌàòåìàòèêàÌåäèöèíàÌåíåäæìåíòÎõðàíà òðóäàÏðàâîÏðîèçâîäñòâîÏñèõîëîãèÿÐåëèãèÿÑîöèîëîãèÿÑïîðòÒåõíèêàÔèçèêàÔèëîñîôèÿÕèìèÿÝêîëîãèÿÝêîíîìèêàÝëåêòðîíèêà






PARIS, MAI 2002 17 page





J'étais abasourdie. Je n'arrivais pas à croire que retrouver Sarah serait aussi facile, aussi rapide. Je venais à peine de me poser. Je n'avais même pas encore parlé à ma fille. Et je savais déjà où habitait Sarah. Elle était donc toujours en vie. Cela semblait impossible, irréel.

«Écoute, dis‑je, comment être sûre que c'est elle?»

Charla était assise devant la table, occupée à allumer son ordinateur portable. Elle fouilla dans son sac pour trouver ses lunettes, puis les posa sur le bout de son nez.

«On va le savoir tout de suite.»

Je vins me placer derrière elle tandis que ses doigts couraient sur le clavier.

«Mais que fais‑tu maintenant?

– On se calme!» lança‑t‑elle en continuant de taper. En regardant par‑dessus son épaule, je vis qu'elle était sur Internet.

Sur l'écran, on pouvait lire: «Bienvenue à Roxbury, Connecticut. Manifestations, réunions, contacts, immobilier.»

«C'est exactement ce qu'il nous faut», dit Charla en scrutant l'écran. Puis elle me prit rapidement le petit bout de papier, saisit son téléphone et composa le numéro.

Ça allait trop vite pour moi. Je me sentais emportée dans une tempête.

«Charla! Attends! Tu ne sais même pas ce que tu vas dire, pour l'amour de Dieu!»

Elle couvrit le combiné avec sa main et ses yeux bleus se froncèrent au‑dessus de la monture de ses lunettes.

«Tu me fais confiance, oui ou non?» Elle avait sa voix d'avocate, grave et contrôlée. Je n'avais pas le choix. Il fallait la laisser faire. Je me sentais impuissante, affolée. Je me levai et fis les cent pas dans la cuisine, en tripotant le plan de travail et l'électroménager.

Quand j'osai de nouveau lever les yeux vers elle, elle était tout sourires.

«Tu devrais peut‑être prendre un peu de vin. Et n'aie pas peur, mon numéro est masqué.» D'un doigt, elle me fit signe de me taire.

«Oui, bonsoir, vous êtes Mrs Rainsferd?» Sa voix nasillarde me fit sourire. Elle avait toujours été douée pour les imitations.

«Oh, je suis désolée… Elle est sortie?» Mrs Rainsferd n'était pas chez elle. C'est qu'il existait bien une Mrs Rainsferd. Je continuais d'écouter, incrédule.

«Oui, euh, c'est de la part de Sharon Burstall de la bibliothèque du Mémorial de South Street. Je voulais savoir si elle avait envie de venir à notre réunion d'été qui aura lieu le 2 août… Oh, je vois. Je suis désolée, madame. Hmm, oui. Excusez‑moi encore pour le dérangement, madame. Merci, au revoir.»

Elle raccrocha et me regarda avec un sourire satisfait.

«Alors? m'étranglai‑je.

– La femme que j'ai eue au téléphone est l'infirmière de Mr Rainsferd. Il est malade, grabataire. Il a besoin de beaucoup de soins. L'infirmière vient tous les après‑midi.

– Et Mrs Rainsferd? demandai‑je avec impatience.

– Elle doit rentrer d'une minute à l'autre.»

J'eus un moment d'hésitation.

«Qu'est‑ce que je fais? J'y vais?»

Ma sœur éclata de rire.

«D'après toi?»

 

J'y étais. 2299 Shepaug Drive. Je coupai le moteur et attendis dans la voiture, les mains moites sagement posées sur les genoux.

De là où je me trouvais, je voyais la maison, derrière les deux piliers de pierre de l'entrée. C'était une propriété de style colonial, datant probablement de la fin des années trente. Moins impressionnante que les énormes demeures à des millions de dollars que j'avais vues en chemin, mais plus raffinée et plus harmonieuse.

En remontant la Route 67, j'avais été frappée par la beauté intacte et bucolique du comté de Lichtfield: des collines douces, des petites rivières, une végétation luxuriante même en plein cœur de l'été. J'avais oublié à quel point les étés étaient brûlants en Nouvelle‑Angleterre. Malgré la puissance de l'air conditionné, j'étouffais. Si seulement j'avais pensé à prendre une bouteille d'eau minérale avec moi! Ma gorge était sèche comme du parchemin.

Charla m'avait dit que les habitants de Roxbury étaient des gens aisés. C'était une ville à la mode où, depuis longtemps, et sans interruption, les artistes avaient aimé s'installer. Des peintres, des écrivains, des stars de cinéma. Il y en avait beaucoup dans le coin, apparemment. Je me demandais ce qu'avait fait Richard Rainsferd dans la vie. Avait‑il toujours habité ici? Ou avait‑il quitté Manhattan avec Sarah à l'âge de la retraite? Avaient‑ils eu des enfants? Combien? Je comptai les fenêtres de la maison à travers le pare‑brise. Il devait y avoir deux ou trois chambres, à moins que l'arrière de la maison soit plus grand que je ne l'imaginais. S'ils avaient des enfants, ceux‑ci devaient avoir mon âge. Peut‑être avaient‑ils aussi des petits‑enfants. Je haussai le cou pour voir si des voitures étaient garées devant la maison. Je ne parvins à distinguer qu'un garage séparé.

Je jetai un coup d'œil à ma montre. Un peu plus de quatorze heures. Il ne m'avait fallu que quelques heures pour venir de Manhattan. Charla m'avait prêté sa Volvo, qui était aussi impeccable que sa cuisine. Si seulement elle m'avait accompagnée! Mais elle avait des rendez‑vous qu'elle ne pouvait annuler. «Tu vas très bien t'en tirer, sister», avait‑elle dit en me jetant les clefs de la voiture. «Tiens‑moi au courant, d'accord?»

Dans la Volvo, mon inquiétude augmentait avec la chaleur, de plus en plus étouffante. Que pourrais‑je bien dire à Sarah Starzynski? Mais ce n'était plus son nom. Ni Starzynski ni Dufaure. Elle était désormais Mrs Rainsferd et ce, depuis cinquante ans. Sortir de la voiture et sonner à la porte me paraissait au‑dessus de mes forces. Bonjour, Mrs Rainsferd, vous ne me connaissez pas, je m'appelle Julia Jarmond, je voulais vous parler de la rue de Saintonge, de ce qui s'est passé avec la famille Tézac, et…

C'était maladroit, ça sonnait faux. Que faisais‑je ici? Pourquoi étais‑je venue jusque‑là? J'aurais dû lui écrire une lettre et attendre qu'elle me réponde. C'était ridicule d'avoir fait le chemin jusqu'ici. Oui, c'était une idée vraiment ridicule. Qu'espérais‑je? Qu'elle m'accueille les bras ouverts, m'offre du thé et me dise en murmurant: «Bien sûr que je pardonne aux Tézac» Idée folle. Surréaliste. J'étais venue pour rien. Il valait mieux que je parte, et tout de suite.

J'étais prête à enclencher la marche arrière et à reprendre la route quand une voix me fit sursauter.

«Vous cherchez quelqu'un?»

Je me retournai sur mon siège moite de transpiration et découvris une femme à la peau hâlée de trente, trente‑cinq ans. Elle avait les cheveux bruns et courts, une silhouette trapue.

«Je cherche Mrs Rainsferd, mais je ne suis pas sûre que ce soit la bonne adresse…»

La femme sourit.

«C'est bien la bonne adresse. Mais ma mère est sortie faire des courses. Elle sera là dans vingt minutes. Je m'appelle Ornella Harris. Je vis dans la maison d'à côté.»

J'avais devant moi la fille de Sarah. La fille de Sarah Starzynski.

Je tentai de garder mon calme et souris poliment.

«Je m'appelle Julia Jarmond.

– Ravie, dit‑elle. Puis‑je vous aider?»

Je cherchai désespérément quelque chose à dire.

«J'espérais rencontrer votre mère. J'aurais dû téléphoner avant, mais comme je passais par‑là, j'ai pensé que je pouvais juste la saluer…

– Vous êtes une amie de Maman?

– Pas exactement. J'ai rencontré un de ses cousins récemment, et il m'a dit qu'elle habitait ici…»

Le visage d'Ornella s'éclaira.

«Oh, vous avez probablement rencontré Lorenzo. C'était en Europe?»

J'étais perdue mais faisais tout pour ne pas le montrer. Qui pouvait bien être ce Lorenzo?

«Exactement, c'était à Paris.»

Elle gloussa.

«C'est quelque chose, l'oncle Lorenzo. Maman l'adore. Il ne vient pas nous voir souvent, mais elle l'appelle presque tous les jours… Vous voulez entrer pour prendre un thé glacé ou autre chose? Il fait une chaleur infernale dehors. Comme ça, vous serez plus à l'aise pour attendre Maman. On entendra la voiture arriver.

– Je ne veux pas vous déranger…

– Mes enfants sont sortis faire du bateau sur le lac Lillinonah avec leur père, alors je vous en prie, ne soyez pas gênée!»

Je sortis de la voiture, de plus en plus nerveuse, et suivis Ornella sous le patio de la maison voisine, construite dans le même style que celle des Rainsferd. La pelouse était jonchée de jouets en plastique, Frisbees, Barbie sans tête, Lego. J'étais assise à l'ombre du patio. Il faisait frais. J'imaginais Sarah regardant jouer ses petits‑enfants. Elle devait venir les voir tous les jours, puisqu'ils étaient voisins.

Ornella me tendit un grand verre de thé glacé que j'acceptai de bon cœur. Nous sirotâmes en silence.

«Vous habitez dans la région? finit‑elle par me demander.

– Non, je vis en France, à Paris. J'ai épousé un Français.

– Paris? Wouaw! Belle ville, n'est‑ce pas?

– C'est vrai, mais je suis heureuse d'être de nouveau chez moi. Ma sœur vit à Manhattan et mes parents à Boston. Je suis venue passer l'été avec eux.»

Le téléphone sonna. Ornella alla répondre. Elle murmura quelques mots à voix basse et revint s'asseoir avec moi dans le patio.

«C'était Mildred, dit‑elle.

– Mildred?

– L'infirmière qui s'occupe de mon père.»

La femme que Charla avait eue au téléphone hier et qui avait parlé d'un homme âgé et grabataire.

«Votre père va mieux? tentai‑je.

– Non. Son cancer est très avancé. Il ne s'en sortira pas. Il ne peut déjà plus parler, il est inconscient.

– Je suis désolée, murmurai‑je.

– Dieu merci, Maman est très forte. C'est elle qui me soutient dans ce drame, et pas le contraire. Elle est merveilleuse. Mon mari aussi, Eric. Je ne sais pas comment je ferais sans eux.»

Le gravier crissa sous les roues d'une voiture.

«C'est Maman!» dit Ornella.

J'entendis la portière claquer, des bruits de pas. Puis une voix aiguë et douce passa par‑dessus la haie.

«Nella! Nella!»

Il y avait un imperceptible accent étranger dans cette voix.

«J'arrive, Maman.»

Mon cœur sautait dans ma poitrine. Je portai la main à mon sternum pour me calmer. Je suivais les hanches solides d'Ornella sur la pelouse, à demi évanouie tant j'étais nerveuse et agitée.

J'allais rencontrer Sarah Starzynski. J'allais la voir en vrai et de mes propres yeux. Dieu seul savait ce que je trouverais à lui dire.

J'étais juste à côté d'Ornella, mais sa voix me faisait l'effet d'un son lointain.

«Maman, je te présente Julia Jarmond, une amie d'oncle Lorenzo. Elle vient de Paris et passait par Roxbury…»

La femme se dirigea vers moi en souriant, dans une robe rouge qui lui arrivait aux chevilles. Elle avait une bonne cinquantaine d'années et la même corpulence que sa fille: des épaules rondes, des cuisses rebondies, des bras généreux. Des cheveux poivre et sel, remontés en chignon, une peau hâlée et des yeux de jais.

Des yeux de jais.

Ce n'était pas Sarah Starzynski.

 

«Alors, comme ça, vous êtes oune amie dé Lorenzo, si? Ravie dé vous rencontrer!»

Pur accent italien, ça ne faisait aucun doute. Tout dans cette femme était italien.

«Je suis désolée, vraiment…» dis‑je en reculant, confuse.

Ornella et sa mère me regardaient étonnées. Leurs sourires s'évanouirent.

«Vous n'êtes pas la Mrs Rainsferd que je cherche.

– Comment ça? dit Ornella.

– Je cherche Sarah Rainsferd, dis‑je. Je me suis trompée.»

La mère d'Ornella soupira et me tapota la main.

«Je vous en prie, ne vous excusez pas. Ça peut arriver.

– Je vais partir maintenant, murmurai‑je, rougissante. Je suis désolée de vous avoir fait perdre votre temps.»

Je regagnai la voiture en tremblant. J'étais terriblement déçue et gênée.

«Attendez! Miss, attendez!»

C'était la voix claire de Mrs Rainsferd. Je m'arrêtai. Elle vint vers moi et posa sa main rondelette sur mon épaule.

«Vous né vous êtes pas trompée, Miss.» Je plissai le front.

«Que voulez‑vous dire?

– La Française, Sarah, c'était la prémière femme dé mon mari.

– Savez‑vous où je peux la trouver?»

Elle me tapota gentiment l'épaule et ses yeux de jais s'emplirent de tristesse.

«Ma chérie, elle est morte. En 1972. Jé souis désolée dé vous dire ça.»

Je mis une éternité à entendre ce qu'elle venait de me dire. La tête me tournait, peut‑être à cause du soleil qui frappait fort.

«Nella! De l'eau, vite!»

Mrs Rainsferd me prit par le bras et me conduisit sous le patio. Elle me fit asseoir sur un banc de bois, me donna de l'eau que je bus d'un trait en claquant des dents sur le bord du verre.

«Jé souis vraiment désolée dé vous avoir annoncé cette mauvaise nouvelle, croyez‑moi.

– Comment est‑elle morte? dis‑je, la voix brisée.

– Dans un accident de voiture. Richard et Sarah vivaient déjà à Roxbury, depuis le début des années soixante. La voiture de Sarah a dérapé sur une plaque de verglas et s'est écrasée contre un arbre. Les routes sont très dangereuses ici en hiver. Elle est morte sur le coup.»

J'étais incapable de dire le moindre mot. Je me sentais dévastée.

«Vous êtes bouleversée, ma pauvre petite», murmura‑t‑elle en me caressant la joue de façon maternelle et vigoureuse.

Je marmonnais en remuant la tête. Je me sentais lessivée. J'étais une coquille vide. La perspective de devoir refaire le long trajet jusqu'à New York me donnait envie de hurler. Et après… Qu'allais‑je dire à Édouard, et à Gaspard? Comment leur dire? Elle est morte, tout simplement, comme ça? Et il n'y a plus rien à faire?

Elle était morte. Morte à quarante ans. Partie. Morte. Disparue.

Sarah était morte. Je ne lui parlerais jamais. Je ne pourrais jamais lui dire que nous étions désolés, qu'Édouard était désolé, que la famille Tézac n'avait pas été indifférente ni complice. Je ne pourrais jamais lui dire qu'elle avait tant manqué à Gaspard et à Nicolas Dufaure, qu'ils pensaient chaleureusement, affectueusement à elle. Il était trop tard. Trente ans trop tard.

«Jé né l'ai jamais rencontrée, dit Mrs Rainsferd. J'ai fait la connaissance dé Richard quelques années plus tard. C'était un homme triste. Et leur fils…»

Je relevai la tête.

«Leur fils?

– Oui, William. Vous connaissez William?

– Le fils de Sarah?

– Oui, le fils de Sarah.

– Mon demi‑frère», dit Ornella.

Mon espoir se réveilla.

«Non, je ne le connais pas. Dites‑moi ce que vous savez.

– Pauvre bambino, il avait seulement douze ans quand sa mère est morte, vous voyez. Le petit garçon a eu lé cœur brisé. Je l'ai élevé comme mon propre enfant. Je lui ai appris à aimer l'Italie. Et il a épousé une Italienne, de mon village natal.»

Elle rayonnait de fierté.

«Est‑ce qu'il vit à Roxbury?» demandai‑je.

 

«Mamma mia, non, William vit en Italie. Il a quitté Roxbury en 1980. Il avait vingt ans. Il a épousé Francesca en 1985. Il a deux ravissantes filles. Il vient de temps en temps voir son père, et moi et Nella, mais pas très souvent. Il déteste cet endroit. Ça lui rappelle le décès de sa mère.»

Je me sentis mieux soudain. J'avais moins chaud, la sensation d'étouffement avait cessé. Je respirais plus aisément.

«Mrs Rainsferd… commençai‑je.

– Je vous en prie, appelez‑moi Mara.

– Mara, j'ai besoin de parler à William. Je dois le rencontrer. C'est très important. Pouvez‑vous me donner son adresse en Italie?»

 

La ligne était mauvaise et j'entendais à peine la voix de Joshua.

«Tu as besoin d'une avance? dit‑il. En plein milieu de l'été?

– Oui! criai‑je, agacée par son ton dubitatif.

– Combien?»

Je le lui dis.

«Hé, que se passe‑t‑il, Julia? Ton cher mari serait‑il devenu radin?»

Je soupirai, excédée.

«Tu me la donnes ou pas, Joshua? C'est important.

– Bien sûr, c'est bon. C'est la première fois que tu me demandes une avance. J'espère que tu n'as pas de soucis.

– Non. Mais j'ai besoin de faire un voyage. C'est tout. Et vite.

– Oh», dit‑il. Je sentais que sa curiosité s'aiguisait. «Et où vas‑tu?

– J'emmène ma fille en Toscane. Je t'expliquerai plus tard.»

Je lui dis ça d'un ton neutre et définitif. Il comprit que ce n'était pas la peine d'insister. Mais je sentais qu'il était vexé, même à l'autre bout de l'Atlantique.

Il m'assura que l'avance serait sur mon compte au plus tard cet après‑midi. Je le remerciai et raccrochai.

Je restai pensive, le menton posé sur les mains. Si je parlais de mon projet à Bertrand, il me ferait une scène. Il rendrait tout compliqué, difficile. Je ne voulais pas affronter ça. Je pouvais peut‑être le dire à Édouard… Non, c'était trop tôt. Je devais d'abord trouver William Rainsferd. J'avais son adresse, je le trouverais facilement. Que lui dire, c'était une autre histoire.

Il fallait aussi penser à Zoë. Comment réagirait‑elle si j'interrompais ses vacances à Long Island? Et qu'elle n'aille pas à Nahant, chez ses grands‑parents? Cela m'avait d'abord inquiétée. Cependant, j'étais sûre qu'elle n'en ferait pas toute une histoire. Elle n'était jamais allée en Italie. Et je pouvais la mettre dans le secret, lui dire la vérité, que nous allions rendre visite au fils de Sarah Starzynski.

Restaient mes parents. Que leur dire? Par où commencer? Ils m'attendaient aussi, à Nahant, après Long Island. Que diable allais‑je bien pouvoir inventer? «C'est ça», dit Charla d'une voix traînante, après que je lui eus raconté ce que je comptais faire, «c'est ça, et maintenant une fuite en Toscane avec Zoë, à la recherche d'un inconnu, tout ça pour lui présenter des excuses soixante ans après?» Son ton ironique m'agaçait. «Et alors, quel est le problème?» Elle soupira. Nous étions assises dans la grande pièce qui donnait sur la rue et lui servait de bureau, au deuxième étage de la maison. Son mari ne rentrerait que ce soir. Dans la cuisine, le dîner était prêt. Nous l'avions préparé ensemble. Charla adorait les couleurs vives, comme Zoë. Son bureau était un joyeux mélange de vert pistache, de rouge rubis et d'orange lumineux. La première fois que je l'avais vu, j'avais presque eu mal à la tête, mais j'avais fini par m'habituer, et même par trouver cela très exotique. J'avais tendance à préférer les tons neutres, le brun, le beige, le blanc ou le gris, même pour m'habiller. Charla et Zoë osaient les couleurs vives et les portaient à merveille. J'enviais et j'admirais leur audace.

«Calme‑toi un peu, grande sœur. Je te rappelle que tu es enceinte. Je ne suis pas sûre que ce voyage soit la meilleure chose à faire en ce moment.»

Je ne répondis rien. Elle avait marqué un point. Elle se leva pour mettre un disque. Un vieux Carly Simon. You're so vain. Avec Mick Jagger qui geignait dans les chœurs.

Puis elle se retourna vers moi.

«Es‑tu si pressée de retrouver ce type? Je veux dire, ça ne peut pas attendre?»

Elle marqua un autre point.

«Charla, ce n'est pas si simple. Et non, je ne peux pas attendre. C'est trop important. Je ne peux pas t'expliquer. Mais c'est la chose la plus importante de ma vie, aujourd'hui. Avec le bébé.»

Elle soupira encore une fois.

«Cette chanson de Carly Simon me rappelle ton mari. You're so vain, betcha think this song is about you…»

Je laissai échapper un petit rire ironique.

«Que vas‑tu dire aux parents?» demanda‑t‑elle. «Comment vas‑tu leur expliquer que tu ne vas pas à Nahant? Et pour le bébé, que vas‑tu dire?

– Dieu seul le sait.

– Réfléchis bien, alors. Penses‑y à deux fois.

– C'est ce que je fais, ce que j'ai fait.»

Elle se plaça derrière moi et me massa les épaules.

«Ça veut dire que tu as déjà tout organisé?

– Eh oui!

– Rapide, hein?»

Son massage me faisait du bien, me détendait. Je promenais mon regard dans le bureau plein de couleurs de Charla, sur sa table de travail couverte de dossiers et de livres, sur les rideaux rubis en coton léger qui volaient dans la brise. La maison était un havre de paix quand ses enfants n'étaient pas là.

«Et où habite ce type?

– D'abord, ce type, comme tu dis, a un nom. Il s'appelle William Rainsferd et il vit à Lucca.

– C'est où, ça?

– C'est un petit village entre Pise et Florence.

– Que fait‑il dans la vie?

– J'ai regardé sur Internet, mais sa belle‑mère me l'a dit de toute façon. Il est critique culinaire et sa femme est sculpteur. Ils ont deux enfants.

– Quel âge a‑t‑il?

– Tu es flic ou quoi? Il est né en 1959.

– Et toi, tu vas débarquer dans sa vie et tout bouleverser!»

Je repoussai ses mains, exaspérée.

«Bien sûr que non! Je veux juste qu'il connaisse l'autre côté de l'histoire. Je veux être sûre qu'il sache que personne n'a oublié ce qui s'est passé.»

Charla eut un sourire narquois.

«C'est probablement son cas. Sa mère a porté cette histoire toute sa vie… Peut‑être qu'il ne tient pas à ce qu'on le lui rappelle.»

Une porte claqua en bas.

«Y a quelqu'un? La jolie dame et sa sœur de Parisss?»

On monta l'escalier.

C'était Barry, mon beau‑frère. Le visage de Charla s'éclaira. Ils étaient très amoureux. J'étais heureuse pour eux. Après un divorce difficile et douloureux, elle avait retrouvé le bonheur.

En les voyant s'embrasser, je pensai à Bertrand. Qu'allait‑il advenir de notre mariage? Comment les choses tourneraient‑elles? Est‑ce que tout s'arrangerait? J'essayai de ne plus y penser en suivant Charla et Barry en bas.

Une fois couchée, ce qu'avait dit Charla à propos de William Rainsferd me revint. Peut‑être qu'il ne tient pas à ce qu'on le lui rappelle. Je me retournai presque toute la nuit sans trouver le sommeil. Le lendemain matin, je me rassurai en me disant que je saurais vite si William Rainsferd avait un problème avec le passé. J'allais le voir et lui parler.

Deux jours plus tard, Zoë et moi prenions l'avion pour Paris, puis un autre pour Florence.

William Rainsferd passait toujours l'été à Lucca, c'est ce que Mara m'avait dit en me donnant son adresse. Et Mara l'avait aussi appelé pour le prévenir que je cherchais à le contacter.

William Rainsferd savait donc qu'une certaine Julia Jarmond allait l'appeler. Rien de plus.

 

L'été toscan n'avait rien à voir avec celui de la Nouvelle‑Angleterre. Il était absolument sec. En sortant de l'aéroport de Florence avec Zoë, qui traînait le pas, je mesurai à quel point la chaleur était terrible. Je crus que j'allais me flétrir d'un coup, me déshydrater en une seconde. Je mettais tout sur le compte de ma grossesse, cela me rassurait. Je me disais qu'en temps normal, je ne me serais pas sentie si fatiguée, si assoiffée. Le décalage horaire n'arrangeait rien. Le soleil me rongeait, me dévorait la peau, les yeux, malgré mon chapeau de paille et mes lunettes noires. J'avais loué une voiture, une petite Fiat qui ne payait pas de mine et qui nous attendait au beau milieu d'un parking en plein soleil. L'air conditionné était plutôt faiblard. En quittant la place de parking, j'eus un doute. Allais‑je pouvoir tenir le coup jusqu'à Lucca? Je rêvais d'une pièce obscure et fraîche où m'endormir dans de confortables draps blancs. L'enthousiasme de Zoë m'aidait à tenir. Elle ne s'arrêtait jamais de parler, me faisait remarquer à quel point le ciel était bleu, sans nuage, s'extasiait devant les cyprès sur le bord de l'autoroute, les plantations d'oliviers, les vieilles maisons en ruine au sommet des collines. «On arrive à Montecatini», dit‑elle avec sérieux, en regardant dans le guide. «Célèbre pour son spa luxueux et son vin.»

Zoë lisait ce qui était écrit sur Lucca pendant que je conduisais. C'était l'une des rares villes médiévales à avoir conservé ses remparts, qui encerclaient un centre‑ville intact et interdit à la circulation. Il y avait beaucoup de choses à voir, la cathédrale, l'église San Michele, la tour Guinigui, le musée Puccini, le Palazzo Mansi… Je lui souriais, amusée par l'implication qu'elle y mettait. Elle se tourna vers moi.

«Je suppose que nous n'aurons pas vraiment le temps de visiter… On est là pour le travail, c'est ça?

– Oui, c'est ça», acquiesçai‑je.

Zoë avait localisé l'adresse de William Rainsferd sur la carte. C'était tout près de la via Fillungo, l'artère principale de la ville, une longue rue piétonne où j'avais réservé dans une petite maison d'hôtes, la Casa Giovanna.

Date: 2015-12-13; view: 420; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



mydocx.ru - 2015-2024 year. (0.006 sec.) Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ - Ïîæàëîâàòüñÿ íà ïóáëèêàöèþ