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PARIS, MAI 2002 20 page





«Cela me rend si triste, Édouard», murmurai‑je.

Il me caressa la joue.

«Ma mère vous aime beaucoup, Julia. Elle vous aime tendrement.»

Bertrand apparut, le visage sombre. En le voyant, je pensai soudain à Amélie. J'avais envie d'être blessante, de le piquer au vif, mais je laissai tomber. Après tout, nous aurions le temps d'en parler plus tard. C'était sans importance maintenant. Seule Mamé comptait, et la haute silhouette qui m'attendait dans le couloir.

«Julia, dit Édouard en regardant par‑dessus son épaule, qui est cet homme?

– C'est le fils de Sarah.»

Intimidé, Édouard le fixa pendant quelques minutes.

«C'est vous qui l'avez appelé?

– Non. Il a découvert des papiers que son père avait cachés toute sa vie. Un carnet ayant appartenu à Sarah. Il est ici parce qu'il veut connaître toute l'histoire. Il est arrivé aujourd'hui.

– Je voudrais lui parler», dit Édouard.

J'allai chercher William et lui dis que mon beau‑père souhaitait le rencontrer. Il me suivit. Il dépassait tout le monde d'une tête, Bertrand, Édouard, Colette et les deux filles.

Édouard Tézac leva les yeux vers lui. Son visage avait un air serein, posé, mais ses yeux étaient humides.

Ils se serrèrent la main. Ce fut un moment fort et silencieux. Tout le monde se tut.

«Le fils de Sarah Starzynski», murmura Édouard.

Je vis Colette, Cécile et Laure le regarder avec une politesse pleine d'incompréhension. Elles ne comprenaient pas ce qui se passait. Seul Bertrand était au courant. Lui seul connaissait toute l'histoire depuis qu'il avait découvert le dossier «Sarah», bien qu'il n'ait jamais voulu en parler avec moi. Même après avoir rencontré les Dufaure dans notre appartement, quelques mois auparavant, il n'avait eu aucune question.

Édouard s'éclaircit la gorge. Les deux hommes se tenaient toujours la main. Il s'adressa à William en anglais. Un anglais correct, mais avec un fort accent français.

«Je suis Édouard Tézac. Je vous rencontre dans un moment difficile. Ma mère est en train de mourir.

– Je suis désolé, dit William.

– Julia vous expliquera. Mais à propos de votre mère, Sarah…»

Édouard s'interrompit. Sa voix se brisait. Sa femme et ses filles le regardaient, étonnées.

«De quoi parle‑t‑il? murmura Colette, préoccupée. Qui est cette Sarah?

– C'est quelque chose qui s'est passé il y a soixante ans», dit Édouard, luttant pour retrouver sa voix.

J'avais beaucoup de mal à me retenir de lui passer un bras autour des épaules. Édouard prit une grande inspiration et, retrouvant quelques couleurs, il adressa à William un petit sourire timide que je ne lui avais jamais vu.

«Je n'oublierai jamais votre mère. Jamais.»

Son visage se contracta et le sourire disparut. La souffrance et la tristesse l'empêchaient de respirer, comme ce jour où il m'avait tout raconté.

Le silence devint lourd, insupportable. Colette et ses filles étaient de plus en plus intriguées.

«C'est un tel soulagement pour moi que de pouvoir vous dire ces choses après tant d'années.

– Je vous remercie, monsieur», dit William à voix basse. Lui aussi était pâle. «J'en sais si peu. Je suis venu ici pour comprendre. Ma mère souffrait et je veux savoir pourquoi.

– Nous avons fait ce que nous pouvions pour elle, dit Édouard. Ça, je peux vous en assurer, Julia vous racontera. Elle vous expliquera, vous dira toute l'histoire de votre mère. Elle vous racontera ce que mon père a fait pour elle. Au revoir.»

Il recula. Il avait soudain l'air d'un vieillard blême et rabougri. Bertrand avait un regard à la fois curieux et détaché. C'était sans doute la première fois qu'il voyait une telle émotion chez son père. Je me demandais ce qu'il ressentait.

Édouard sortit, avec sa femme et ses filles qui le bombardaient de questions. Son fils suivait un peu en arrière, les mains dans les poches, silencieux. Édouard dirait‑il la vérité à Colette, à leurs filles? Probablement. J'imaginais le choc que ce serait pour elles.


 

William Rainsferd et moi restâmes seuls dans le hall de la maison de retraite. Dehors, dans la rue de Courcelles, il pleuvait toujours.

«Vous voulez prendre un café?» dit‑il.

Il avait un beau sourire.

Nous marchâmes dans le crachin jusqu'au café le plus proche. Nous commandâmes deux expressos. Pendant un moment, nous restâmes assis sans rien nous dire.

Puis il me demanda:

«Êtes‑vous proche de cette vieille dame?

– Oui, dis‑je. Très proche.

– Je vois que vous attendez un enfant.»

Je tapotai mon ventre rebondi.

«L'accouchement est prévu en février.»

Enfin, il me dit lentement:

«Racontez‑moi l'histoire de ma mère.

– Cela ne va pas être facile.

– Oui, mais j'ai besoin de l'entendre. S'il vous plaît, Julia.»

Je commençai dans un murmure, lentement, ne le regardant qu'à de rares occasions. En déroulant l'histoire de Sarah, je pensais à Édouard. Il devait faire la même chose que moi, assis dans son élégant salon vieux rose de la rue de l'Université, raconter la même histoire à sa femme et à ses filles, à son fils. La rafle. Le Vél d'Hiv. Le camp. La fuite. Le retour de la petite fille. L'enfant mort dans le placard. Deux familles liées par la mort et un secret. Deux familles liées par le chagrin. Une partie de moi désirait que cet homme connaisse la vérité. Une autre voulait le protéger, le mettre à l'abri d'une réalité émoussée par le temps. Lui éviter l'image atroce d'une petite fille dans la souffrance. Sa douleur, ce qu'elle avait perdu. Qui deviendrait sa douleur à lui, un intense sentiment de perte. Plus je parlais, plus je lui donnais des détails, plus je répondais à ses questions, plus je sentais que mes mots le transperçaient comme des épées.

Quand j'eus terminé, je levai les yeux vers lui. Son visage, ses lèvres, avaient pâli. Il sortit le carnet de son enveloppe et me le tendit sans dire un mot. La petite clef de cuivre était posée sur la table entre nous deux.

Je tenais le carnet entre les mains. D'un regard, il m'incita à l'ouvrir.

Je lus silencieusement la première phrase. Puis je continuai à voix haute, en traduisant directement le français dans notre langue maternelle. Je n'allais pas très vite. L'écriture, fine et penchée, était difficile à lire.

 

Où es‑tu, mon petit Michel? Mon beau Michel.

Où es‑tu maintenant?

Te souviens‑tu de moi?

Moi, Sarah, ta sœur.

Celle qui n'est jamais revenue. Celle qui t'a abandonné dans ce placard.

Celle qui croyait que tu étais à l'abri.

 

Michel.

Les années ont passé et j'ai toujours la clef. La clef de notre cachette.

Je l'ai gardée, jour après jour. Et jour après jour, je l'ai caressée en me souvenant de toi. Elle ne m'a pas quittée depuis ce 16 juillet 1942. Personne ne le sait. Personne ne sait pour la clef, pour toi.


Toi, dans le placard. Et Maman. Et Papa. Et le camp. Et l'été 1942.

Personne ne sait qui je suis vraiment.

 

Michel.

Pas un jour ne passe sans que je pense à toi. Sans que je me souvienne du 26, rue de Saintonge. Je porte le poids de ta mort comme je porterais un enfant.

Je le porterai jusqu'à ma mort.

Parfois, je voudrais m'en aller.

Le poids de ta mort m'est trop insupportable.

Comme l'est celui de la mort de Maman et de

Papa.

Je revois les wagons de bestiaux les emportant vers la mort.

J'entends le train. Je l'entends depuis trente ans. Je ne supporte plus le poids de mon passé. Pourtant, je ne me résous pas à me débarrasser de la clef de ton placard.

C'est la seule chose concrète qui me lie à toi, avec ta tombe.

Michel.

Comment prétendre être ce que je ne suis pas? Comment leur faire croire que je suis une autre femme?

Non, je ne peux oublier. Le vélodrome. Le camp. Le train.

Jules et Geneviève. Alain et Henriette. Nicolas et Gaspard.

Mon enfant n'efface rien. Je l'aime. Il est mon fils.

Mon époux ignore qui je suis vraiment.

Quelle est mon histoire.

Mais je ne peux pas oublier.

Venir dans ce pays était une erreur.

Je pensais que tout serait différent, que je pourrais être différente. Je pensais tout laisser en arrière.

Ce n'est pas le cas.

 

On les a emmenés à Auschwitz. On les a tués. Mon frère? Mort dans un placard. Il ne me reste rien.

Je pensais qu'il me resterait quelque chose. J'avais tort.

Un enfant et un époux ne sont pas assez.

Ils ne savent rien.

Ils ne savent pas qui je suis.

Ils ne sauront jamais.

 

Michel.

Dans mes rêves, tu viens me chercher. Tu me prends par la main et tu m'emportes. Cette vie est trop dure à supporter.

Je regarde la clef et je voudrais remonter le temps et que tu sois là.

Je voudrais que reviennent ces jours d'innocence et d'insouciance d'avant la guerre.

Je sais que mes blessures ne se refermeront jamais.

J'espère que mon fils me pardonnera.

Il ne saura jamais.

Personne ne saura jamais.

 

Zakhor, Al Tichkah. Souviens‑toi. N'oublie jamais.

 

Ce café était un endroit bruyant et plein de vie. Pourtant, autour de nous s'était formée comme une bulle de silence absolu.

Je reposai le carnet, dévastée par ce que nous venions d'y apprendre.

«Elle s'est suicidée, dit platement William. Ce n'était pas un accident. Elle s'est jetée volontairement contre un arbre.»


Je restai silencieuse, incapable de prononcer le moindre mot. Que dire?

J'aurais voulu lui prendre la main, mais quelque chose me retenait. Je respirai profondément. Mais les mots ne venaient toujours pas.

La clef de cuivre était posée sur la table, témoin muet du passé, de la mort de Michel. Je sentis que William se refermait comme il l'avait fait à Lucca quand il avait avancé les mains pour me repousser. Il ne bougeait pas, mais je sentais clairement qu'il se retirait. Encore une fois, je résistai à l'envie impérieuse de le toucher, de le prendre dans mes bras. Pourquoi avais‑je la sensation d'avoir tant à partager avec cet homme? D'une certaine façon, il n'était pas un étranger pour moi, et ce qui était encore plus bizarre, je pensais que je n'étais pas non plus une étrangère pour lui. Qu'est‑ce qui nous avait rapprochés? Ma quête, ma soif de vérité, ma compassion pour sa mère? Il ne savait rien de moi, il ignorait tout de mon mariage en péril, de ce qui avait failli être une fausse couche à Lucca, de mon travail, de ma vie. Et moi, que savais‑je de lui, de sa femme, de ses enfants, de sa carrière? Son présent restait un mystère. Mais son passé, le passé de sa mère m'avaient été révélés comme on marche dans le noir avec une simple torche. Je désirais plus que tout montrer à cet homme à quel point tout cela comptait pour moi, à quel point ce qui était arrivé à sa mère avait changé ma vie.

«Merci, finit‑il par dire. Merci de m'avoir tout raconté.»

Sa voix était étrange, empruntée. Je m'aperçus que j'aurais voulu le voir s'effondrer, pleurer, montrer quelque émotion. Pourquoi? Sans aucun doute parce que j'avais moi‑même besoin de me libérer, de pleurer pour évacuer la douleur, le chagrin, le vide, besoin de partager avec lui mes sentiments, dans une communion intime et singulière.

Il se leva pour partir, en ramassant le carnet et la clef. Je ne supportai pas l'idée qu'il s'en aille si vite. S'il partait maintenant, j'étais convaincue que je ne le reverrais plus jamais. Il ne voudrait plus me voir ou me parler. Je perdrais mon dernier lien avec Sarah. Je le perdrais. Et pour Dieu sait quelle raison obscure, William Rainsferd était la seule personne avec qui je désirais être en ce moment.

Il avait dû lire dans mes pensées, car je le vis hésiter. Il se pencha vers moi.

«Je vais aller dans ces endroits, dit‑il. Beaune‑la‑Rolande et rue Nélaton.

– Je peux vous accompagner si vous voulez.»

Ses yeux me fixèrent un moment. Je perçus encore une fois la complexité de ce que je lui inspirais, entre ressentiment et gratitude.

«Non, je préfère y aller seul. Mais j'apprécierais que vous me donniez les adresses des frères Dufaure. J'aimerais les rencontrer.

– Bien sûr», répondis‑je, en ouvrant mon agenda et en notant les coordonnées des Dufaure sur un bout de papier.

Soudain, il retomba lourdement sur sa chaise.

«J'aurais besoin d'un verre, dit‑il.

– Bien sûr, bien sûr.»

J'appelai le garçon et commandai du vin pour nous deux.

Tandis que nous buvions en silence, je remarquai combien je me sentais à l'aise en sa compagnie. Deux Américains autour d'un verre. Nous ne ressentions pas le besoin de parler et ce silence n'était pas gênant. Mais je savais qu'après sa dernière gorgée, il partirait.

Ce moment arriva.

«Merci, Julia, merci pour tout.»

Il ne dit pas: restons en contact, envoyons‑nous des mails, parlons‑nous au téléphone de temps en temps. Non, il ne dit rien de tout ça. Et je pouvais entendre ce que disait son silence: ne m'appelez pas, ne cherchez pas à me contacter, s'il vous plaît, je dois reconsidérer toute mon existence, j'ai besoin de temps et de silence, de paix. Je dois trouver qui je suis désormais.

Je le vis partir sous la pluie, sa haute silhouette s'évanouissant dans l'animation de la rue.

Je croisai les mains sur mon ventre, envahie de solitude.

 

Quand je rentrai ce soir‑là, toute la famille Tézac m'attendait, avec Bertrand et Zoë, assis dans notre salon. Je perçus immédiatement à quel point l'atmosphère était tendue.

On aurait dit qu'ils s'étaient séparés en deux groupes: Édouard, Zoë et Cécile, ceux qui étaient de mon côté, qui approuvaient ce que j'avais fait, et les «anti», Colette et Laure.

Bertrand restait étrangement silencieux. Son visage était lugubre, sa bouche tombante. Il ne me regardait pas.

Colette explosa. Comment avais‑je pu faire une chose pareille? Rechercher cette famille, contacter cet homme, qui, en réalité, ignorait tout du passé de sa mère.

«Le pauvre homme, répéta ma belle‑sœur en frissonnant. Maintenant, il sait qui était réellement sa mère, qu'elle était juive, que sa famille entière a été exterminée en Pologne, que son oncle est mort de faim. Julia aurait dû le laisser en paix.»

D'un bond, Édouard se mit debout et leva les bras au ciel.

«Mon Dieu! gronda‑t‑il. Qu'est‑ce que c'est que cette famille!» Zoë vint se blottir sous mon bras.

«Julia a agi courageusement, ce qu'elle a fait est d'une grande générosité, continua‑t‑il, tout tremblant de colère. Elle voulait être sûre que la famille de cette petite fille était au courant et savait qu'elle compatissait. Qu'elle était au courant que mon père s'en souciait assez pour faire en sorte que Sarah Starzynski soit accueillie par une famille d'adoption où elle était aimée.

– Oh, Papa, je t'en prie, l'interrompit Laure. Ce qu'a fait Julia était lamentable. Faire revivre le passé n'est jamais une bonne idée, surtout en ce qui concerne cette guerre. Personne ne veut s'en souvenir ou y penser.»

Elle ne me regardait pas, mais je sentais tout le poids de son animosité envers moi. Je lisais facilement en elle. J'avais agi en pure Américaine. Je ne savais pas ce qu'était le respect du passé. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était un secret de famille. Je n'avais aucune éducation. Pas de sensibilité. Une Américaine grossière et sans éducation: l'Américaine avec ses gros sabots.

«Je ne suis pas d'accord! s'écria Cécile d'une voix tremblante. Je te remercie de m'avoir raconté ce qui s'est passé, père. C'est une histoire horrible, ce pauvre petit garçon mort dans l'appartement, la petite sœur qui revient. Je crois que Julia a eu raison de contacter cette famille. Après tout, nous n'avons rien fait dont nous puissions avoir honte.»

«Peut‑être! dit Colette en se pinçant les lèvres, mais si Julia ne s'était pas montrée si curieuse, Édouard ne nous aurait probablement jamais rien dit, n'est‑ce pas, Édouard?»

Édouard regarda sa femme dans les yeux. Son visage était empreint de froideur, sa voix également.

«Colette, mon père m'a fait jurer de ne jamais révéler ce qui était arrivé. J'ai respecté cette promesse, et ce fut extrêmement difficile, pendant soixante ans. Mais aujourd'hui, je suis heureux que vous sachiez. Maintenant, je peux partager cela avec ma famille, même si je m'aperçois que cela dérange certains d'entre vous.

– Dieu merci, Mamé n'est au courant de rien», soupira Colette, en replaçant ses cheveux blonds cendrés.

«Oh, Mamé sait tout», lança Zoë d'une petite voix aiguë.

Ses joues s'empourprèrent, mais elle ne baissa pas les yeux.

«Elle‑même m'a raconté ce qui est arrivé. Je ne savais pas pour le petit garçon, j'imagine que Maman n'aurait pas aimé qu'elle me raconte cette partie de l'histoire. Mais Mamé m'a tout dit.»

Zoë continua.

«Elle sait depuis le début, depuis que la concierge lui a appris que Sarah était revenue. Elle a dit aussi que grand‑père faisait des tas de cauchemars où il y avait un enfant mort dans sa chambre. Elle m'a dit que c'était horrible de savoir et de ne pas pouvoir en parler avec son mari, son fils et plus tard, avec sa famille. Elle a dit que cela avait changé mon arrière‑grand‑père, que cela l'avait atteint d'une façon dont il ne pouvait pas parler, même à elle.»

Je me tournai vers mon beau‑père. Il ne quittait pas Zoë des yeux, abasourdi.

«Elle savait? Toutes ces années, elle savait?»

Zoë fît oui de la tête.

«Mamé m'a dit que c'était un terrible secret à porter, qu'elle ne cessait de penser à cette petite fille et qu'elle était heureuse que je le partage désormais. Elle a dit que nous aurions dû en parler bien plus tôt, que nous aurions dû faire ce qu'a fait Maman, que nous n'aurions pas dû attendre. Nous aurions dû retrouver la famille de cette petite fille. Nous avons eu tort de garder tout cela enfoui, voilà ce qu'elle m'a dit. Juste avant son attaque.» Il y eut un long silence douloureux. Zoë se leva en regardant tour à tour Colette, Édouard, ses tantes et son père. Moi, enfin.

«Je veux vous dire autre chose», ajouta‑t‑elle, en passant adroitement du français à un anglais très fortement américain. «Je me fiche de ce que certains vont penser. Je me fiche que vous pensiez que Maman a eu tort, ou que ce qu'elle a fait était une idiotie. Moi, je suis fière de ce qu'elle a accompli. Je suis fière qu'elle ait retrouvé William et qu'elle lui ait tout dit. Vous n'avez aucune idée de ce que cela représentait pour elle, de la volonté qu'il lui a fallu. Et vous savez quoi? Quand je serai grande, je veux être comme elle. Je veux devenir une mère dont mes enfants soient fiers. Bonne nuit.»

Elle fit une drôle de petite révérence et sortit en refermant doucement la porte.

Nous restâmes silencieux un long moment. Le visage de Colette se figeait à vue d'œil. Laure vérifiait son maquillage dans un miroir de poche. Cécile semblait pétrifiée.

Bertrand n'avait pas dit un mot. Il se tenait face à la fenêtre, les mains croisées dans le dos. Pas une fois il ne m'avait regardée. Ni moi ni personne d'autre.

Édouard se leva et vint déposer une caresse sur mes cheveux, avec une tendresse très paternelle. Ses yeux bleu pâle clignèrent en me regardant, puis il murmura dans le creux de mon oreille:

«Tu as fait ce qu'il fallait. Tu as bien fait.»

Mais, plus tard dans la soirée, seule dans mon lit, incapable de lire, de penser, de faire quoi que ce soit à part regarder le plafond, je me posais encore des questions.

Je pensais à William. Je ne savais pas où il était mais j'étais sûre qu'il essayait de rassembler toutes les pièces du puzzle, les vieilles et les nouvelles.

Je pensais à la famille Tézac qui, pour une fois, avait dû sortir de sa coquille, se parler, mettre au grand jour un sombre et triste secret. Je pensais à Bertrand me tournant le dos.

Tu as fait ce qu'il fallait. Tu as bien fait.

Était‑ce Édouard qui avait raison? Je n'arrivais pas à en être sûre.

Zoë poussa la porte et se glissa dans mon lit. Elle se blottit contre moi comme un petit chiot, me prit la main et y déposa un long baiser, puis cala la tête sur mon épaule.

On entendait la rumeur de la circulation sur le boulevard Montparnasse. Il était tard. Bertrand était sans doute avec Amélie. Il était si loin de moi, comme un étranger. Comme quelqu'un que je connaîtrais à peine.

Deux familles, j'avais réuni deux familles, au moins pour aujourd'hui. Deux familles qui ne seraient plus jamais les mêmes.

Avais‑je bien fait?

Je ne savais que penser.

Zoë s'endormit à mes côtés. Son souffle lent me chatouillait le cou. Je pensais à l'enfant qui naîtrait bientôt et une sorte de paix m'envahit. Un sentiment de sérénité qui m'apaisa pendant un moment. Mais la douleur et la tristesse étaient toujours là.

 







Date: 2015-12-13; view: 414; Нарушение авторских прав



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