Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

ÀðõèòåêòóðàÀñòðîíîìèÿÁèîëîãèÿÃåîãðàôèÿÃåîëîãèÿÈíôîðìàòèêàÈñêóññòâîÈñòîðèÿÊóëèíàðèÿÊóëüòóðàÌàðêåòèíãÌàòåìàòèêàÌåäèöèíàÌåíåäæìåíòÎõðàíà òðóäàÏðàâîÏðîèçâîäñòâîÏñèõîëîãèÿÐåëèãèÿÑîöèîëîãèÿÑïîðòÒåõíèêàÔèçèêàÔèëîñîôèÿÕèìèÿÝêîëîãèÿÝêîíîìèêàÝëåêòðîíèêà






Les fesses du prince





 

Dites donc, je m’aperçois que je viens d’écrire un chapitre un peu long sur cette prodigieuse aventure. Faut pas vous gêner, mes frères: libre à vous de le découper, de le subdiviser, de l’élaguer, de l’énucléer, de le sabrer, de le déshydrater, de le réduire, de le digester, je ne suis pas sectaire. Y a des tordus plumassiers, je les connais; leur prose, c’est sacré. Les théâtreux surtout. Une virgule qu’on leur change, les voilà qu’envoient du papelard timbré, ou bien leurs témoins, ou mieux encore, des gifles. Dieu thank you, je ne suis pas de ce tonneau. Mes bouquins, les gars, vous pouvez les bricoler à votre idée. Mettre toutes les pages paires ensemble, avec ma paire à moi par‑dessus pour couronner le monument; ou bien les déguiser en grille de code secret, ou aussi récupérer les points‑virgules pour le cas où votre stylo n’en comporterait pas. Vous pouvez arracher les pages pour envelopper des œufs, découper les dessins de Roger Sam afin de vous confectionner des sous‑verres ou mettre les fautes de français dans une pochette en matière plastique histoire de les lire à mes confrères jalminces (paraît qu’il y en a, mais comme je m’abstiens de les fréquenter, je n’ai pas l’occasion de m’en réjouir).

Je cause ainsi à seule fin de vous mettre à l’aise. Vous auriez envie de me revendre au bouquiniste du coin, surtout n’hésitez pas. Notez, ça serait un manque à gagner pour vos petits lardons, plus tard, mais ça vous regarde. Tant pis pour eux si les San‑A. de la période Niaise ou ceux de l’époque Cudaye manquent à la collection. Les grands‑parents imprévoyants pullulent. Des mecs qui vous déshéritent sans savoir, parce qu’ils placent leur artiche dans l’emprunt russe, qu’ils font du bois d’allumage avec les meubles Louis XIII du grenier ou qu’ils obstruent un carreau cassé avec un original de Rouault, y en a des tonnes et des pleins wagons. Nos grands vieux auraient jamais fait de couennerie, on serait tous des Crésus, mes lapins. Goinfrés à bloc, avec un bas de laine bourré comme de la peau d’andouille. On serait collectionneurs de Modigliani on de Vlaminck au lieu d’être copocléphiles. Ça ferait peut‑être plus bath, de vivre sous le signe de la peinture de maître plutôt que sous le signe du porte‑clés‑réclame, dites? A ce que je me suis laissé causer, y a une tapineuse de la Madeleine qui a frappé le sien pour distribuer à ses aficionados. La prime à la fidélité en quelque sorte. A la troisième passe on y a droit. Ça représente un bidet avec une dame en train de faire du jumping dessus. Les amateurs font la queue.

On s’entifle notre en‑cas de malheur. Bien que nous eussions le cœur serré, l’œsophage fonctionne bien. De temps à autre je vais cloquer l’entonnoir de ma portugaise contre le trou beethovénien. De l’autre côté, c’est toujours l’obscurité et le silence; mais voilà qu’en plein sorbet framboise un bruit de vaisselle remuée nous fait tressaillir. Je reprends mon observation et j’ai la satisfaction d’apercevoir la salle à manger du prince à travers une pile d’assiettes. Les portes de la desserte sont ouvertes, nous découvrant une grande partie de la pièce. La table en marbre est garnie d’une nappe en dentelle et décorée d’orchidées. Des flambeaux d’argent achèvent (et prends mon sang) de lui donner un air de fête. Deux maîtres d’hôtel finissent de dresser le couvert. D’après mon champ visuel, j’estime que les convives (vive les convives les cons vivent) seront plus de quatre mais moins de six. Petit souper fin, quoi!

Un des loufiats s’approche en gros plan jusqu’à presque m’obstruer le trou du voyeur. On dirait un effet cinémateux. Il s’empare d’une pile de rince‑doigts et me restitue l’image.

– Tu vois quoi t’est‑ce? demande Béru en soufflant sur sa glace pour la réchauffer.

Je lui intime l’ordre de la fermer car, comme provoqués par le timbre du Gros, les larbins se mettent à causer et il s’agit pas d’en perdre une broque. Le plus vieux, une sorte de Levantin comme son auguste maître, déclare en zézayant et en s’asseyant que la soirée va être rude. Son alter ego, un rouquin espagnolisant, renchérit.

– C’est un coup de six heures du matin! Qui y aura‑t‑il, déjà?

– L’ambassadeur du Tatankelkun et son petit ami des ballets Georges Rugueux…

– Ça fait que trois. Les deux autres?

– Des travestis que le prince a demandés chez Mme Eva.

– Qui c’est, Mme Eva?

– Une mère maquerelle spécialisée dans les bonshommes. Depuis quelque temps, j’ai idée que Son Altesse prend goût à l’œil de bronze. Il délaisse ces dames au profit de ces messieurs. Ce soir, ça promet!

Le rouquin a un sourire lubrique.

– En effet, reprend‑il, ça promet…

L’un des deux maîtres d’hôtel quittant la pièce, la converse cesse et j’en profite pour me catapulter au bigophone. Je tube à mon collègue Linaussier, l’inspecteur aux nougats en détresse, grand technicien, souvenez‑vous, de la prostitution parisienne.

– Ici San‑A., dis‑donc, Pied‑Agile, Mme Eva, spécialisée dans ces messieurs‑dames, ça te dit quelque chose?

Il glousse comme une pintade enrhumée à la vue d’une bouteille de sirop des Vosges.

– Tu penses, Hortense! il fait comme ça, le zig aux arpions douloureux; elle a la plus bath affaire de pain de fesse de la place de Paris…

– C’est‑à‑dire?

Il gémit, s’excuse en me révélant qu’il s’agit d’un cor turbulent, lequel s’accommode mal de la pression atmosphérique du jour, et s’explique.

– Elle exploite la dépravation des bonshommes. Dans sa taule, sur le boulevard de Courcelles, y a que des gars qui viennent se faire conjuguer le verbe mettre (du troisième groupe) par d’autres gars. Et tous ces messieurs casquent à Eva le prix d’une confortable passe, si bien qu’elle touche des deux côtés si je puis dire. Fallait y penser…

Il me donne le numéro de la ligne et précise:

– C’est dans un building neuf. Au sixième, l’appartement 69, tu peux pas te gourer. Seulement faut montrer patte blanche. Le mot de passe, si j’ose dire, c’est: «Je viens de la part de Dom Carlo…».

Il ricane:

– T’as les mœurs qui passent au négatif, San‑A.?

– Faut bien varier les plaisirs, me cintré‑je.

Je raccroche et je dis au Mastar qu’on va aller présenter nos hommages crépusculaires à dame Eva.

Œuf corse, y a un judas dans la lourde. L’œil de verre en attendant l’œil de bronze. Je sens que, consécutivement à mon coup de sonnette, on nous observe. Je virgule un sourire enjôleur à la porte et, comme séduite par l’éclat de mes trente‑deux chailles, celle‑ci s’entrouvre. Une grosse petite dame, large des hanches, basse du train, copieuse des roberts, avachie de la bouille et bonne du regard, nous demande aimablement ce que nous lui voulons.

Ce qui frappe, c’est la gentillesse qui illumine ses yeux. Elle a rien de salingue, rien de vachard, rien de cupide. On a tout de suite envie de s’en faire une amie, de lui confier ses problèmes et de se mettre entre ses mains.

– Nous venons de la part de Dom Carlo, lui fais‑je.

Elle paraît charmée, elle nous dit d’entrer et referme sa porte blindée de l’intérieur. On entend des bruits d’eau dans l’appartement, des trottinements, des toux…

Elle nous examine, Mme Eva, moite d’une infinie compréhension.

– Vous passez tous les deux ensemble? nous demande‑t‑elle.

– En général, oui, lui réponds‑je, c’est une vieille liaison, monsieur et moi.

– Vous aimeriez des camarades?

– Faut voir, prudencé‑je.

– J’ai justement ici un monsieur tout jeune qui a…

Et de nous raconter en détail l’académie du monsieur jeune.

– Ou alors, nous dit‑elle, j’ai un vieux monsieur très bien qui…

Et de nous expliquer ce que fait le vieux monsieur très bien après avoir ôté son dentier.

Comme on reste hermétiques, vachement gênés et dubitatifs, elle reprend, soucieuse de nous satisfaire coûte que coûte:

– Si vous aimez les séances en commun, y a aussi Eusèbe…

– Qui est Eusèbe?

Elle nous cligne tendrement de l’œil.

– Venez voir.

Nous entrons dans une chambre assez pauvre, genre hôtel de passe, avec couvre‑lit en peluche terne, fauteuils en peluche grenat et bronze d’art sur la cheminée. Au mur, un tableau terriblement artistique, représentant une dame nue en train de se faire fouinasser la fosse d’orchestre par un marquis Louis XV. Mme Eva décroche le tableau, nous dévoilant un trappon qu’elle entrouvre après avoir éteint la lumière. Nous apercevons un spectacle que la pudeur m’empêche de vous décrire, ce qui n’est pas dommage, car étant donné sa qualité vous n’avez rien à regretter. Je vous donne tout de même la composition des équipes. Sont réunis (étroitement): Eusèbe, un Noir musculeux (à tous les points de vue), un vieux monsieur au bide et au crâne ovoïdes, un gros type sans âge (il n’a même pas l’âge d’oraison, comme disait Bossuet) et un petit jeune homme blafard comme on en voit dans tous les grands quotidiens à la rubrique des faits divers. Cette compagnie éclectique pratique un tic antique en criant des cantiques tandis que la musique pathétique d’un disque endigue leur gigue. Tous portent un loup de velours noir, par discrétion, car l’homme met un loup pour l’homme, c’est connu.

– Que dites‑vous de ça, messieurs? demande Mme Eva, toute fière d’être l’organisatrice de ce supergala.

– Et vous, je soupire, en lui déballant ma carte de poulaga, que dites‑vous de ça, chère madame Eva?

Pauvre chère femme, si douce, si inoffensive, si compréhensive, si mansuéteuse. Elle en tombe assise sur le canapé, comme une grosse poire blette tombe à terre. Elle se dit que son condé est dévalorisé, périmé, bon pour le vide‑ordures et que la saison des ennuis commence. Elle nous regarde, tremblante d’émotion, sans oser une question. Ses yeux noyés de détresse font peine à voir.

Bérurier referme le trappon et rallume, car la pénombre est insoutenable dans cette ambiance.

– Si je me retenais pas, dit‑il, je bicherais une trique grosse comme mon bras pour aller leur faire une purée de vertèbres, à ces saligauds.

– Ecoutez, Eva, interviens‑je, votre job passe en dégueulasserie tout ce qu’on peut imaginer et, si je voulais, vous coucheriez en taule ce soir.

Elle pleure.

– Mais dans votre malheur, vous avez un pot fantastique, poursuis‑je, vu que nous n’appartenons pas aux Mœurs, mon camarade et moi.

Une aurore aux couleurs d’incendie se lève dans les prunelles ravagées de la vieille morue. Cela s’appelle l’espoir.

– C’est une enquête à l’échelon suprême qui nous amène chez vous. Si vous vous montrez coopérative, Eva, on essaiera d’oublier vos cauchemars en chambre.

– Combien? balbutie‑t‑elle dans un souffle.

C’est plus fort que Béru: voilà qu’il lui balance une baffe.

– Et copollution de fonctionnaires en exercice! tonne‑t‑il. C’est le bouquet!

Elle pige plus, la malheureuse. Elle a cru qu’en chiquant à l’enquête suprême je lui faisais un appel du pied pour palper une enveloppe. La réaction bérurienne vient de la détromper durement.

– Vous connaissez le prince Kelbel?

Cette fois elle comprend qu’effectivement j’ai des visées particulières.

– En effet, c’est un client.

– Il vient souvent chez vous?

– Disons environ une ou deux fois par mois.

– Un polisson?

– Un dépravé.

Dite par cette dame, l’épithète revêt tout son sens.

– Ce soir, vous devez lui livrer du cheptel au Seigneurial?

– Oui, deux travestis.

– Que le prince connaît?

– Oh non, il aime trop le changement et ne prend jamais deux fois les mêmes.

– A quelle heure doivent‑ils aller à l’hôtel?

– Neuf heures.

– Ils passent chez vous auparavant?

– Bien sûr, pour que je les affranchisse et puis aussi pour s’habiller.

Bérurier me jette un œil gourmand. Une fois encore, il a saisi mes intentions avant que je les extériorise.

– De first bourre, Gars, apprécie‑t‑il.

– Eva, attaqué‑je, vous allez décommander vos pieds nickelés car c’est nous qui prendrons leur place.

– Vvvvvous? bave‑t‑elle.

– Vous nous trouvez peut‑être pas assez suffisamment girondes? demande mon joyeux compère.

– Si vous me feriez une petite mouche sur la joue? suggère Bérurier, m’est avis que j’aurais l’air plus polissonne?

Il se pique au jeu, le Gros. Je le trouve inimaginable dans sa belle robe du soir mauve, largement décolletée. On dirait quelque duègne espagnole, on plutôt non, une ancienne diva d’opéra ayant pris du carat. On lui a rasé les poils de la poitrine et garni icelle de fond de teint ocre. Il porte une étourdissante perruque rousse piquée d’un diadème. Il a aux oreilles de fort belles boucles représentant des petits oiseaux en rubis sur des balançoires d’or. Son rouge à lèvres est pourpre, son bleu des yeux est vert, son marron à sourcils est jaune, et ses bas sont à grille. Béru dans la taulière de western d’Oklahoma‑City, c’est riche, c’est incomparable, c’est du grand art, du spectacle choc! On ne parvient pas à s’en rassasier. Il accroche la rétine, y chatoie, mais l’incommode. C’est à la fois la délectation d’un œil normal et son inconfort. Sa cape de faux vison, sa minaudière dorée, son fume‑cigarette de dix centimètres, ses chaussures à hauts talons, ses bagouses éclaboussantes, son diadème qui crache le feu comme le phare d’une ambulance, tous ces accessoires si éminemment féminins confèrent à mon gros Béru je ne sais quoi de grandiose et d’horrible, de fascinant et de consternant.

Ma mise à moi est plus discrète: robe noire sans manches, manteau de satin gris perle, perruque blonde, et de longs gants gris… (des fois que les morpions seraient de la fiesta?).

J’ai de l’allure, du maintien, un peu de rose aux joues et de noir à cils, des boucles d’oreilles discrètes (le prince adore les boucles d’oreilles) et un collier de fausses perles à trois rangs. Ainsi parés, nous prenons le chemin du Seigneurial.

– Cc qu’il faut pas faire pour arriver à ses fins, lamente le Mastar. Je te jure que ma Berthe me verrait, elle voudrait plus jamais que je l’approchasse.

– Modère un peu ta voix, Béru, recommandé‑je au moment de sonner. T’as l’organe trop épais, tes cordes vocales ressemblent à des cordes de contrebasse! Ça détonne avec ta belle robe.

C’est le larbin levantin qui nous ouvre. Il nous balaie d’un regard méprisant, puis, sans un mot, s’efface pour nous laisser entrer.

– Si vous voulez bien me confier vos manteaux et vos fourrures, mesdemoiselles, il fait comme ça, mine de rien.

Parole d’homme, les gars, c’est la première fois de ma vie qu’on m’appelle mademoiselle! Comme quoi tout arrive à qui sait tatan.

On passe au salon. Trois messieurs s’y trouvent déjà, parmi les trois‑quels je reconnais le prince Kelbel Birouth en complet de soie sauvage noire. J’aperçois, épinglé à son revers, le Vautour de diamant, la plus haute distinction jtempalaise. Il est précocement gris, l’air aristocratique, ce qui est rare pour un prince. Un vrai pin‑up‑boy, mes lapines. L’œil est noir intense, le sourcil bien fourni, la bouche jouisseuse avec la lèvre inférieure qui pend un peu, comme si elle était prête à licher la dernière goutte.

Ses compagnons sont: un vieux kroumir osseux et jaune (l’ambassadeur du Tatankelkun) et un jeune éphèbe blond, potelé, timide, poudré, qui sent la savonnette de luxe.

– Ah, voilà ces chéries! s’exclame le prince avec un léger accent circonflexe sur les voyelles et un accent jtempalien sur les consonnes. Montrez comme vous êtes belles, toutes les deux!

Il nous prend chacun (pardon, chacune) par une main et nous tient éloignés de lui pour mieux nous admirer.

– La bonne Eva a bien fait les choses, approuve‑t‑il en s’attardant sur Bérurier, elle sait que j’adore les personnes dodues.

– Vous me comblez, mon Altesse, roucoule mélodieusement Béru.

– Comment vous appelez‑vous, ma chérie? demande le prince.

– Alexandrine, mon Altesse, mais si vous voudriez vous pouvez me dire Sandre tout court.

– Je n’y manquerai pas, car j’adore les diminutifs. Et, vous, petite fille, poursuit le ci‑devant (et si derrière) monarque en s’adressant à moi, quel est votre nom?

– Antoinette, Votre Altesse, dite Nénette.

– Adorable!

Kelbel cueille la bouche du Gros entre son pouce et le reste de sa main, forçant celle‑ci à s’arrondir et à proéminer. Je vois les poings de ce dernier s’arrondir, durcir jusqu’à devenir blancs. Je le pince au bras pour lui prêcher la patience.

Un flic digne de ce nom doit endurer tous les sévices pour mener son œuvre à bien. Il doit subir les pires outrages; affronter le supplice le plus raffiné la tête haute, y compris celui du pal et du Népal.

– Grande folle, soupire le prince! C’est toi que je choisirai tout à l’heure.

– Vous êtes trop bon, mon Altesse, rugit Sa Décadence. Mais faut pas vous croire obligé…

– Si! si! si! promet Kelbel, magnanime.

Le maître d’hôtel sert des drinks, ce qui réconforte quelque peu Bérurier. Ensuite de quoi nous passons à table. L’Altesse est à un bout, pour présider. Il a Béru à sa droite, le petit mec‑savonnette à sa gauche. L’ambassadeur se tient à la droite du Gros et moi à la gauche du jeunot. Etant donné la forte collation que nous avons prise deux heures auparavant dans l’appartement contigu, je n’ai pas grand faim; en revanche, Bérurier dévore. On nous sert une bisque de tortue, puis un feuilleté de homard et enfin une gigue de chevreuil sauce veneur.

Le Dodu est à la noce. Oubliées les mœurs du prince et sa toilette de cantatrice retraitée. Il boit cul sec les glass que le loufiat n’arrête pas de lui remplir. Ses boucles d’oreilles mènent au bout de ses lobes une gigue à côté de laquelle celle du chevreuil n’est rien. Sa perruque est de traviole et le diadème penche dangereusement au‑dessus de son assiette.

Moi, San‑Antonio, providence des maris impuissants, des dames seules et des jeunes filles lassées de l’être, vous me connaissez. Pratique, positif dans le turbin! Je me convoque pour une conférence‑éclair et je me déclare tout de go la chose suivante: «Mon petit San‑A. (je suis familier avec moi‑même) comme dit la chanson: t’es au bal, faut que tu danses. En usant de la méthode dite du Cheval de Troie t’as pu t’introduire dans la place, s’agit maintenant de t’y comporter astucieusement.»

Le prince est en train de parler d’un mignon clandé qu’il vient de découvrir du côté de la rue Monsieur‑le‑Prince (ô ironie). Paraît qu’il s’y trouve une personne fantastiquement imaginative qui vous fait la vessie de porc, la serviette chauffante, la plume de paon, le casse‑noisette turc, la corde à violon, le tohu‑bohu, le quarteron, les choses‑étant‑ce‑qu’elles‑sont, la pompe Pie XII, le fil de l’épée, la calebasse creuse, la feuille de chêne, le grain de sel sous l’aqueux, la Queue‑lez‑Yvelines et l’embouchure mal embouchée.

Je pense que l’instant est venu de me hasarder, de placer ma botte secrète façon anodine, comme s’il s’agissait d’une botte de radis et non d’une botte de sept lieues.

– Altesse, je crois que nous avons une amie commune, fais‑je, et que cette personne connaît mieux que quiconque les bonnes adresses du présent.

Il me sourit.

– De qui s’agit‑il?

– D’Hildegarde.

Ses yeux deviennent de glace et son sourire meurt lentement au coin de ses lèvres, comme s’éteint, faute de carburant, la flamme d’une lampe à pétrole[45].

– Connais pas, laisse‑t‑il tomber, vous devez confondre.

C’est net. Pas à y revenir. Soudain l’atmosphère se fige. Ça n’est pas très perceptible aux autres, mais je sens qu’un machin en forme de grabuge se mijote. Je lui ai porté une estocade, à Kelbel Birouth. Il a deviné que je ne me trouvais pas chez lui seulement pour la gaudriole. Comme dit le Gros, «ce pèlerin a des antennes crochues».

Béru apporte une heureuse diversion en vitupérant l’ambassadeur qui vient de lui lance‑pierrer sa jarretelle.

– Non, mais dis donc, pépère, t’es un sacré frivole dans ton genre! s’égosille Mme Alexandrine‑Benoîte Bérurière.

Et, prenant la tablée à témoin:

– Ce vieux jaunasse qui me file un coup de paluche au risque de me faire filer une maille du bas! Qu’après j’eusse eu une échelle que la grande des pompelards serait un escabeau de libraire en comparaison! On peut pas les tenir à c’t’âge! C’est le démon de la centaine qui te taquine déjà, eh, délabré! Et il fait ses coups en douce, le goret! Sous la nappe, à la mine‑de‑rien! T’as donc pas entendu ce que mon Altesse a dit? Il me plaçait sous son sein privé! En voilà un drôle d’invité qui taquine le cheptel de son n’hôte! Malpoli, va! Et ça se dit ambassadouille de mes deux cœurs! On vous apprend le protocole dans «Les polissonneries de Madame la Baronnedans ton bled pourri, dis, libertin?

Il siffle son verre de cheval‑blanc et enchaîne sur sa lancée, après avoir passé le grand développement.

– Faire le joli Roméo avec cette frime de momie, faut de la santé; t’as les pognes glacées, vieille frappe! J’ai cru tout d’abord qu’un serpent à cinq branches me grimpait sur les jambons.

Il désigne Mister Savonnette à travers la table rutilante de cristaux.

– Quand je pense que ce coquin petit sapajou te sous‑loue de l’extase, j’en ai des lancées dans la moelleuse épine[46]. Faut qu’il ait le sac à frissons doublé en zinc pour subir tes audaces, eh, vestige! Et puis me regarde pas commak, j’ai la laitance qui tourne au yaourt; même avec cinquante piges de moins, tu devais pas être comestible, mon pote! J’ai idée que ton papa t’a fait à la main, c’est pas possible autrement. T’as pas une bouille à avoir été conçu au chant des sommiers.

Chose curieuse, au lieu de se fâcher, l’Excellence se boyaute à tout‑va. Elle s’en désarrime le râtelier, elle s’en fait craquer les commissures. Le prince, quant à lui, semble de plus en plus tendu. Et je comprends pourquoi il ne partage pas l’hilarité générale. Maintenant il sait que nous ne sommes pas de vrais travestis mais des gens nocifs pour sa quiétude princière, travestis en travestis. Béru vient de faire allusion aux fonctions de l’ambassadeur; or, au moment des présentations, le prince ne nous a pas précisé la qualité de ses hôtes, mais seulement leurs prénoms.

Posant sa serviette, il se lève, lâche un mot d’excuse et quitte la table. J’en mène moins large qu’une lame de couteau dans une motte de beurre. Il se prépare des choses mauvaises pour notre santé, mes petits lapinos. Si on a démarré dans le libertinage, on risque de finir dans le drame noir.

– Tu devrais te calmer un peu, Alexandrine, interviens‑je, comme le Gros repart à l’assaut de son voisin. On est dans le monde et tu ne sembles pas très bien t’y tenir.

Il va pour protester, mais mon œil en point d’exclamation le stoppe. On se connaît, Bibendum et moi. On marche aux regards… Il comprend que je lui crie «danger». Alors il retient sa vapeur. Il se calme.

– Ce que tu fais chichiteuse, bougonne‑t‑il, Monsieur le chargé d’embrassades se gaffe bien que je le chinais. Il est pas gâtouillard au point de prendre mes vannes argent comptant.

L’intéressé rit de plus belle et le prince réapparaît, calme et plus serein qu’un canari. Y a que le danseur des ballets Rugueux qui ne moufte pas. Il a que l’intelligence des pieds, M’sieur Savonnette. Les saillies passent au‑dessus de sa tête (pas toutes, notez bien). La tortore continue. Béru, attentif, lichetrogne un peu moins et quand on passe au salon pour le caoua, il me demande en loucedé ce qui arrive.

– J’ai idée qu’entre ma réflexion à propos d’Hildegarde et la tienne sur la qualité d’ambassadeur du vieux bonze, Kelbel a la puce à l’oreille. Alors méfiance!

– Des complots? demande le prince en nous mettant à tous deux une main sur l’épaule.

Le Gros part d’un rire forcé.

– Ma Majesté débloque! proteste‑t‑il. Au contraire, ma petite Antoinette me disait que j’avais de la chance que vous m’avez choisie. C’t’une envieuse, cette gosse!

– J’ai le cœur assez grand pour deux, plaisante l’ex‑monarque, nous autres Orientaux ne marchandons pas nos tendresses.

Il nous pince par ici, nous pince par là, et nous masse la coque au‑dessous de la ligne de flottaison afin de donner du corps à ses promesses. Tout l’individu de Bérurier frémit. C’est un répulsif impulsif poussif, si vous voulez la vérité. Faut pas le prendre trop longtemps pour une secrétaire de direction. Les genoux du patron, c’est loin de constituer son siège favori. Depuis le salon on perçoit de la musique dans une pièce proche… Des rires de femmes… Le prince explique à son diplomate que ce sont des dames du harem qui se préparent pour la grande fiesta. Il veut une soirée sublime, Kelbel 69 deux fois. Le Parc‑aux‑Cerfs! Un vrai petit Louis XV dans son genre…

Le café bu, il frappe dans ses belles paluches manucurées.

Son larbin levantin s’avance, tout miel, tout rahat‑loukoum.

– Conduisez ces messieurs auprès de ces dames afin qu’elles fassent connaissance! ordonne‑t‑il.

Puis, à Béru et à Bibi:

– Vous vous mettrez à votre aise, mes chéries et vous nous rejoindrez dès que vous serez prêtes.

Ça fait un drôle d’effet de jouer les pétasses, je vous le garantis. On a beau se dire que c’est dans un louable but, y a de quoi vous complexer pour le restant de vos jours. On se sent devenir bétail. On rougit du dedans. On a les organes qui se révoltent.

Le loufiat nous précède en direction de l’entrée. Mon système nerveux est électrifié jusqu’en ses moindres recoins. Vous connaissez le pifomètre de votre San‑A., mes cailles. Un vrai radar à cartilages. Il renifle l’imminence du grabuge et l’imminence grise, comme disait Richelieu. Je virgule un coup de coude dans la triperie du Mastar.

– Ouvrons grands nos vasistas! conseillé‑je.

– Paré! souffle le Formidable.

Il marche derrière moi, en se tordant les pinceaux à cause de ses targettes à talons hauts.

Toujours précédés du larbinoche, on traverse le testibule (ou le vesticule si vous préférez) et notre mentor ouvre une porte capitonnée.

– Vous pouvez vous déshabiller ici, dit‑il.

Il donne la lumière. Je marque un temps d’arrêt à l’entrée du dressing‑room, mais celui‑ci est vide. Alors j’y pénètre avec mon compère. C’est une petite pièce tendue de moquette parme jusque sur les murs. Deux fauteuils crapauds et les penderies garnies de cintres en constituent l’ameublement. La lourde s’est refermée derrière nous. On se défrime, passablement désorientés. Le Gros est lourd, hostile. Sa perruque rousse rejetée en arrière démasque les rides soucieuses qui accordéonisent son front de penseur.

– Et maintenant? demande‑t‑il, on va tout de même pas se dépoiler et se laisser jouer «Branche‑toi‑sur‑mon‑compteur» bleu par ces messieurs de la Grande Famille sous prétexte que ça correspond aux nécessités de l’enquête! Je veux bien que j’aie servi dans les tirailleurs sénégalais, mais quand même, quand j’interprète Carmen je fais plus volontiers le taureau que la nana à don José!

Sans mot dire, je retourne à la porte. Elle est fermée à clé. Mon flair ne m’avait pas berluré, nous sommes prisonniers.

Béru, qui a surpris mon geste, fait la moue et se laisse quimper dans un des fauteuils.

– Je m’installe à l’orchestre pour attendre la suite, déclare‑t‑il. Je voudrais pas te porter préjudice au moral, Gars, mais pour une idée olé‑olé, tu peux la faire breveter.

Je me rabats vers lui en titubant. C’est ce flottement de ma démarche qui m’alerte. Lorsqu’un homme titube, c’est qu’il a trop bu ou pas assez mangé, ou alors qu’on l’a médicamenté.

– T’as pas le cervelet qui patine, toi, Gros?

– J’allais te poser la même question, ton Kelbel nous a fait prendre un barbier turc[47], je parie.

– Ça m’étonnerait, réfléchis‑je, je me gaffais d’un coup semblable et j’ai ouvert l’œil. Je suis certain qu’on ne nous a rien servi de particulier…

Je renifle et mon léger vertige s’accentue.

– C’est maintenant que ça se passe, Gros. On nous a bouclés ici pour nous enfumer. Le coup de la chambre à gaz! Il n’y a pas d’autre issue que la porte et ils sont en train de gazer le local… C’est inodore, ça ne fait pas de bruit. Le temps qu’on se dépiaute et on partait mine de rien dans les brumes.

– Faut trouver le rifice! décide Sa Bérurerie en le levant. Commence par un bout, moi par l’autre…

Le voici qui se met à inspecter minutieusement le plancher, les murs et le plafond.

– Les murs seulement, recommandé‑je, l’appartement du prince est à un seul niveau de l’hôtel, il n’a donc pu bricoler que les cloisons.

En chasse! On se retient de respirer au maxi et on palpe la moquette recouvrant les murs. Comme je parviens à la penderie, je sens, au ras du galon bordant celle‑ci, un léger souffle. J’arrache avec l’ongle le coin du galon, démasquant un petit trou rond. C’est par là qu’on nous distribue de la roupillance.

– Tiens le doigt dessus, me conseille Alexandre‑Benoît.

Il dégaine un couteau à cran d’arrêt de sa jarretelle, brise un cintre à habit et se met à tailler une cheville dans la barre inférieure du trapèze. Un sacré futé, ce Gros!

Utilisant le manche de son ya comme marteau, il enfonce la cheville dans le trou; puis il hume avec insistance.

– M’est avis que j’ai rebouché le flacon, assure‑t‑il. Reste à savoir maintenant si ce qu’on a reniflé est suffisant pour nous faire pioncer!

Nous nous asseyons. Le vertige continue, mais ne s’amplifie pas.

– On échappera à l’anesthésie, assuré‑je.

– Je crois, admet le Gros. Selon toi, qu’est‑ce qu’ils vont nous faire?

– Je pense que lorsqu’ils nous estimerons groggy, ils viendront nous chercher pour nous conduire dans un lieu plus discret.

– Le lieu plus discret que tu causes, ça ne serait pas le fond du canal Saint‑Martin, des fois? Je nous vois assez enveloppés dans du grillage, avec cinquante kilos de plomb pour nous tenir compagnie.

– Allongeons‑nous sur le sol, Béru, et attendons la suite. Quand ils entreront, on avisera.

Aussi taudis, aussitôt fée[48]. Nous nous couchons dans des postures adéquates et concomitantes pour attendre la suite des événements.

Une plombe au moins s’écoule. A plusieurs reprises, plus une, je suis sur le point de m’endormir, mais je tiens bon. Et le Gravos également. Enfin je perçois des chocs, le bruit d’une clé qu’on tourne… La porte s’ouvre.

– Laisse, je ferai tout seul, dit une voix feutrée.

Je risque un bout d’œil. Un zig se présente de dos, halant quelque chose de pesant.

Il porte un masque à gaz et tire une gigantesque malle cabine. Il finit d’entrer (comme on dit à Lyon) et referme la porte. Ses projets sont clairs: nous coller dans la malle afin de nous évacuer discrètement de l’hôtel. J’avais vu juste et ce m’est une satisfaction intime.

Le voici qui soulève le couvercle de la malle, puis se penche sur Bérurier. Il commence par le gros œuvre, c’est un courageux. Tel que je crois connaître Sa Majesté, il va sûrement y avoir une clé à la clé. Béru, c’est pas un champion de jute‑lui‑dessus ou de cas‑raté; ses prises manquent d’esthétisme, mais elles sont efficaces.

Effectivement, A.B. a un geste que je distingue mal. Un seul. L’emmalleur pousse un cri rauque et part en arrière. Il trépigne un brin sur le gazon bien ratissé de la moquette et s’immobilise. Inquiet, je me dresse sur un coude. J’ai en raison de me faire du souci pour sa santé. Le Gros, qui en a sa claque de travailler dans le demi‑mondain, vient de lui plonger la lame de son coutal dans la poitrine jusqu’à la garde[49]. Où est‑ce qu’il a étudié l’anatomie, Béru, on se demande! C’est large, une poitrine d’homme, et un cœur ne l’est pas tellement. Pourtant il l’a planté en plein battant: rran!

– Eh ben, dis donc! murmuré‑je, quand tu te mets à jouer Fort Apache, tu ne lésines pas!

– T’as pas vu qui c’est? demande le Mahousse en arrachant le masque à gaz de sa victime.

Je tressaille en reconnaissant le dénommé Frank Heinstein, l’empoisonneur de la môme Rita.

– Je l’ai retapissé à travers la vitre de son n’hublot, m’explique Béru, alors j’ai plus hésité à lui pratiquer sa césarienne.

Plus une action est intense, plus je me sens survolté, aussi n’hésité‑je point:

– Aide‑moi, Gros! je vais récupérer son imper…

– Pour quoi fiche?

– Tu vas voir!

Il m’aide à débloquer l’Allemand et j’enfile l’imperméable, puis je me mets le masque à gaz. Je fais alors signe à Béru de s’effacer avant d’aller délourder. Comme je le pensais, les deux larbins du prince sont dans le hall, qui attendent.

– Donnez‑moi un coup de main! je leur lance rudement.

Ils s’avancent en appliquant leur mouchoir devant leur figure. Dès qu’ils se sont suffisamment approchés, je foudroie l’Espago d’un monumental ramponneau dans la boîte à ragoût. J’ai tellement billé que ça l’a envoyé dinguer à l’autre bout de la pièce où le poing de Bérurier le termine irrémédiablement.

Le gnace fait atchoum en toutes lettres, et même en lettres majuscules, et s’effondre pour une durée illimitée. Ne reste plus que le Levantin, mon adjudant. Ce dernier n’a pas plus de réflexes qu’une boîte de pilules contre l’acné juvénile. Il demeure immobile, son tire‑gomme toujours appliqué sur sa bouche. Son seul souci semble être de ne pas renifler le gaz endormant. Les réactions des hommes devant le danger sont imprévisibles; la plupart du temps, ils essaient de conjurer une menace en prenant des risques beaucoup plus grands que celui qu’elle constitue. Par exemple, lorsque le feu se déclare dans leur cuisine, ils se balancent du huitième étage.

– Règle‑lui son taf! ordonné‑je à Bérurier, vu que je répugne à cogner sur un type sans défense.

Les basses œuvres ne lui font pas peur, au Gros. C’est le volontaire‑né, l’engagé d’office, le velléitaire constant, le sacrifié type, le marteau‑pilon toujours disponible. L’esprit laveur de vaisselle et nettoyeur de tranchées, il le possède au plus haut degré. L’absence d’imagination, c’est la plus grande force des tortionnaires.

Béru, souverain, s’approche du deuxième larbinus. Il a un beau regard méditatif; celui de la ménagère choisissant des aubergines sur le marché; puis il se décide pour un coup de genou dans les bas morceaux. L’autre a les jambes qui génuflexient. Alexandre‑Benoît lui cloque un poing de suspension sur la nuque et ce timoré va déguster de la purée de tunnel. Nous voici maîtres de la situation, une fois z’encore. Ce qu’on aura pu se dépatouiller des cas les plus beaux (parce que les plus désespérés) depuis que nous faisons carrière dans la Poule. Notre côté Zorro est tarifé, quoi!

J’arrache mon masque et nous nous évacuons après avoir relourdé soigneusement.

Des rires, des gloussements, nous parviennent aux portugaises.

J’entends la voix suave et rocailleuse du prince clamer:

– Encore! Encore! Oui! Parfait! Oh! que j’aime!

– Cette crème d’Altesse est en train de drôlement se divertir, assure Bérurier avec haine. Bouge pas, je vais y arranger le blason à c’t’ endoffé.

– Pas d’emballement, le calmé‑je, joue pas les Bonaparte au pont de Lodi, Gros. Maintenant qu’on brûle, s’agit de pas se rôtir les plumes.

Je vais à la porte de la chambre où se déroule la fiesta louis‑quinzième et je colle mon œil au trou de la serrure, mais malheureusement, je ne vois rien d’autre qu’un morceau de tapisserie.

Ça glousse, ça glougloute, ça chouchoute, ça broubroute, ça prout‑proute terrible là‑dedans. Le Parc‑aux‑Cerfs, Casanova, Sade, les folles nuits d’Andalousie! Le harem en folie!

– Y a que les huiles pour se payer des orgies pareilles! décrète le Gros! Des mecs comme voilà ce prince, c’est bon à nibe, faudrait le flytoxer! Les révolutionnaires de son bled, ils auraient dû lui sectionner le cigare et lui planter la tronche sur la grille du portail.

– Chut! intimé‑je.

C’est pourtant vrai, ce qu’il dit Béru. La pire calamité de ce monde, c’est les oisifs. Ces pauvres gens riches qui se demandent tous les jours de quel superflu ils pourraient bien avoir besoin. Dans le fond, je les plains d’être riches ad libitum. Ça nécessite un fameux esprit inventif. L’homme, qu’est‑ce qu’il lui faut pour avoir de l’appétit à vivre? Des limites! S’il n’a pas le souci de déplacer ses frontières, d’étendre son pouvoir, il est malheureux. Kelbel 69 deux fois, il est tellement bourré d’osier qu’il a son portrait peint par Rubens, c’est vous dire! Remarquez, un prince sans pognon, c’est comme un taxi londonien sans essuie‑glaces, ça ne rime plus à rien.

Mais l’heure n’est plus aux réflexions, me dites‑vous? Merci de me le faire remarquer. Si je vous avais pas, je finirais par dire des culteries.

Je sors mon pistolet de mes jupes et je tourne lentement the loquet of the door. J’ouvre… Ces messieurs sont avec des dames. Et les dames leurs font de ces sortes d’espèces d’agaceries qui feraient péter les bandelettes de toutes les momies masculines du British Museum.

Oh! ce travail! Surtout comptez pas que je vous le décrivasse car, recta, on m’interdit à l’affichage de vos San‑Antonio, mes copains libraires seraient obligés de vous les cloquer à la sauvette dans leurs ouatères. C’est beau d’avoir du style, mais faut pas chahuter avec la morale. La morale, mes fils, c’est la tige de fil de fer qui fait se tenir droite la queue molle de l’œillet. Remarquez que tous les régimes, qu’ils soient de gauche on de droite, sont bien d’accord sur ce point.

Toujours est‑il (ça, je viens de téléphoner à mon avocat, pour être sûr de pouvoir vous le dire sans risquer l’échafaud), toujours est‑il, redis‑je, que c’est plein de dames à loilpé avec nos trois messieurs. On voit des dames avec des messieurs, des dames avec des dames, des dames avec des messieurs‑dames. Une sacrée paire de fresques! Le nœud de vipères! J’aurais mon Polaroïd sous la main, je prendrais une demi‑douzaine de photos, histoire d’assurer mes vieux jours. Sa Majesté Kelbel 69 deux fois est en train de justifier son numéro dynastique avec une grosse bonne femme pieusement vêtue d’une médaille religieuse.

L’ambassadeur et son gigolpince se livrent à un exercice de haute voltige, encouragés à la main par deux très belles filles, tandis que deux autre bergères s’assurent la soudure sur un canapé. Dans le libidinage ambiant, on n’a pas remarqué notre venue. Je zyeute un instant cette scène démoniaque (quelques gouttes de démoniaque dans un verre d’eau, ça dessaoule). Puis je décide de clôturer le festival et de proclamer le palmarès.

– Mettez les aérofreins, m’sieurs‑dames! C’est le moment d’amorcer votre descente!

Ça jette le trouble. Tous les visages se tournent vers moi. Et c’est pour lors que mon pétard m’en choit des pinces. Ce que je découvre me solidifie le bulbe rachidien. C’est tellement inattendu, tellement effrayant! Si vous saviez! Vous voulez le savoir? Vraiment, vous vous sentez aptes à supporter le choc? Ça va pas vous commotionner le circuit raisineux? Votre battant, il marche à la digitaline ou il emploie Astra, dites voir? Parce que je voudrais pas que vous me fassiez une embolie en plein bouquin, les mecs! De quoi j’aurais l’air avec votre cadavre en guise de signet, hein? Non, sans charre, vous êtes certains de la qualité de vos vaisseaux, on peut y aller?

O.K., alors je prends le risque. Figurez‑vous que je connais deux des dames folâtres réunies ici pour le contentement du prince Kelbel. Je connais sa partenaire et l’une des deux frivoles qui se grumaient la plante potagère à bulbe. La première citée n’est autre que Berthe Bérurier et la seconde, c’est Odile! Admettez que pour un coup de théâtre, c’en est deux, hein? Je ne veux pas me vanter, mais vous pouvez faire la tournée des auteurs à suce‑pince, jamais vous ne trouverez dans leurs élucubrations des renversements aussi renversants. Comme l’écrivait naguère le père François dans son bloc‑notes sur papier hygiénique: «San‑Antonio est l’empereur du coup de théâtre.Je ne lui fais pas dire! Et pourtant c’est un homme qui a toujours une balance de pharmago sur sa table de travail pour peser ses mots.

Réalisâtes‑vous bien la situation, chers lecteurs, chères lectrices et chers illettrés qui n’avez pas le bonheur de me lire? Berthe en costume d’Eve, avec les roploplos qui battent des mains, le rouge à lèvres façon Epinal d’époque et la chevelure déchevelée. Odile, si menue, si fabuleusement mise en volume par ses chers parents. Odile si douce! Odile que j’aime! Odile, quoi! mêlée à cette partie de galichouillage…

Mon Béru, branlant de stupeur, regarde à s’en faire gicler les lampions cette énorme personne qu’il qualifie pourtant de moitié et qui faillit faire de lui un veuf.

Qui donc a exprimé des doutes sur la bonté de l’homme? Moi peut‑être? Ça serait assez dans mes manières! Eh bien non: l’homme est bon. Car notre première réaction, à Béru et à Bibi, ça n’est pas la colère, mais la joie. L’exaltation de retrouver vivantes celles que nous craignions perdues! N’importe qu’elles fussent nues et dépravées, ce qui compte c’est qu’elles vivent. N’importe qu’elles se fussent abandonnées aux louches extases libidineuses de cette chambre princière; ce qui nous intéresse, c’est leur présence bien et – ô combien! – réelle!

– Berthe! s’égosille l’Enflure.

– Odile! glapit mon organe surmené.

Le prince à poil se dresse, avec l’air d’un hibou réveillé par le sifflet du laitier. Notre intrusion, en tout cas, lui a coupé le sien. C’est plus un sceptre, c’est une cravate! Il pantèle. Il est navré. A le voir ainsi démuni, on comprend pourquoi faut coûte que coûte isoler les gens célèbres si l’on veut qu’ils restent célèbres. Y a pas de grands hommes nus, mes fils, rappelez‑vous toujours ça et la vie vous appartiendra.

Il a tellement l’habitude du respect d’autrui, du faste et de l’obséquiosité, qu’il ne sait plus comment se tenir ni quoi dire, Kelbel. Il est épaté prodigieusement par notre irruption. Embêté à mort. Disjoint, pour ainsi dire. Il ignore comment on se tient quand on est prince et humilié; son précepteur lui a pas appris, c’était pas dans le manuel du parfait‑petit‑monarque. Voilà une grosse lagune à combler, comme disent les Vénitiens. Désormais, les dauphins et dauphines, faut leur enseigner l’art et la manière de subir les outrages, sinon ils sont désemparés quand leur couronne a roulé au ruisseau. Un de mes amis chanteurs me disait naguère ces belles paroles: «Je suis resté simple malgré mon succès.C’est à méditer, à méditer! C’est dur d’avoir été vedette et de ne plus l’être. C’est pire que tout. On se croit déchu. On l’est! Il subsiste quelque chose par rapport aux autres, cependant. Ça fait un peu comme les anciens politiciens qu’on continue d’appeler monsieur le président ou monsieur le ministre, alors que tout ce qui leur reste en fait de promotion sociale c’est d’être abonnés à la puissante Compagnie du Gaz.

Il marmonne un truc dans le genre de «qu’est‑ce à dire?Il veut bomber le torse, relever le sourcil, mettre le poing sur la hanche. Mais Béru s’approche de lui. Son bon premier mouvement passé, il devient drôlement teigneux, le Gros. Taureau furax, fonçant sur la muleta, ou plutôt sur l’amulette du prince. Le flagrant délit lui monte au caberlot, à mon cher Bibendum. Il veut réparation, se payer sur la bête, sur la bébête, sur l’abbé bête. Il torgnole Kelbel de première. Il commence par une claque, puissante, pensée, large, appuyée. Et puis il la renouvelle en plus rapide. Et encore. Et encore encore! Vlan! Vlan! Vlan! On regarde, sidérés, ce gros flic cocu, déguisé en femme, qui soufflette un seigneur déguisé en Adam (c’est pas l’Adam de sagesse). Y a une certaine grandeur dans ces gifles qui crépitent. Vlan… Vlan… Comme ça se poursuit, comme ça se régularise, comme ça prend du rythme, comme ça devient mécanique, on a soudain envie de les compter. On regrette de n’avoir pas commencé à partir de la première. On se dit qu’on fera une estimation ensuite, mais qu’il faut absolument dénombrer ce qui va suivre parce que ça sera long. Une, deux, trois, quatre… Béru ne faiblit pas. Le prince a toujours le même gémissement, le même balancement de tronche… Vlan… Vlan… Dix, onze douze, treize… Une machine, je vous dis! Bien réglée, bien huilée, garantie sur facture. Béru, un jaloux, mais jaloux jusqu’alors en toute tranquillité. Un jaloux qui se déclenche. Qui en a long à battre! Tout le monde se tait. Tout le monde regarde, médite et apprécie. La scène n’est pas brutale, ni violente, ni rien… Elle se déroule seulement dans une espèce de quatrième dimension. Dix‑huit, dix‑neuf… Comment peut‑il atteindre à une telle régularité, mon Béru, hein, dites? Le temps de laisser retomber son bras pour lui donner la possibilité d’un nouvel élan, et le voici qui se relève, terminé par une large main blêmissante. La main s’applique sur la gogne du prince. Vlan! Vlan! Kelbel a la joue blanche, puis rouge, puis violette! Enfin ça noircit. Ça devient de plus en plus noir. Et puis ça enfle… Ça gonfle de plus en plus… Et puis ça crève! Ça se fissure de plus en plus. Et puis ça saigne. Mais y a que le bruit de la gifle qui change, le rythme, lui, demeure constant. Vlan… Vlan… Quarante et un, quarante‑deux, quarante‑trois… Il va frapper pendant combien de siècles ainsi, le gros Béru? C’est pas prévisible. Il a sa main rouge du sang princier. Il ne souffle même pas fort. Vingt ans de technique dans l’art délicat du passage à tabac trouvent brusquement leur justification, leur aboutissement. Vlan!.. Vlan!.. Les yeux de Kelbel 69 deux fois deviennent tout choses. Il a la frime déformée. On dirait que son profil opère une rotation, un demi‑tour à gauche, gauche! J’en suis à soixante‑huit gifles lorsque l’ex‑souverain du Jtempal s’écroule. La soixante‑neuvième beigne de Béru ne rencontre que le vide et déséquilibre son auteur. Alexandre‑Benoît exécute une embardée et choit sur un divan opportun.

Là, il reprend souffle.

– Berthe! appelle‑t‑il doucement, viens me masser le bras.

Docile, sa mémère s’agenouille près de Béru et se met à lui malaxer le biceps.

Je m’approche alors d’Odile. Elle a un sourire radieux, mais lointain.

– Bonjour, chéri, me fait‑elle.

Je la mate attentivement et je m’aperçois qu’elle est droguée à bloc.

– Rhabille‑toi, Odile! lui ordonné‑je doucement.

– Oh, chéri, pas encore, on vient juste de commencer…

Je sens du triste, du gluant, de l’amer au fond de moi. Ce qui s’est passé, je ne le comprends que trop bien: Odile a été kidnappée, on l’a amenée au prince qui l’a camée à fond et elle fait une crise érotique. Je voudrais être ailleurs, n’importe où… Marcher dans le froid on sous la pluie. Marcher dans la nuit, droit devant moi. Suivre un remblai de voie ferrée par exemple et respirer l’air mouillé qui sent la soie. Je voudrais ne plus penser. Gommer de mon esprit ces laides images. M’enfoncer dans une profonde fatigue comme dans les draps rugueux d’un lit de campagne. Il y a des moments, comme celui‑ci, où l’on se sent loin de la table d’hôte. Quand on est loin de la table, le plus simple est de rapprocher sa chaise, mais quelquefois on a envie de tirer la table à soi, obligeant tous les autres convives à se déplacer. Vous connaissez?

– Odile, soupiré‑je, Bon Dieu, ce que tout ça est con!

Elle me passe ses bras au cou.

– Pourquoi dis‑tu cela, Antoine chéri?

Je me tourne vers les autres partenaires. Ces dernières sont de solides pouffiasses, bien éveillées, bien lucides.

– Appelez un médecin! leur ordonné‑je.

Puis je guide Odile jusqu’à la salle de bains.

Tandis qu’elle obéit, je fais couler de l’eau froide sur ma nuque et je me bassine longuement le visage. Pas de défaillances, San‑A.! Serre les chailles, mon pote! La vie, ça n’est que l’idée qu’on s’en fait. Les grosses désillusions, faut les chasser à coups d’aspirine, comme les mauvaises migraines. Tenir! Se mettre les larmes en réserve pour les verser le jour où ça vaudra le coup!

Je retourne dans la chambre orgiaque. L’ambassadeur et son gigolo se reloquent rapidos.

– Police! leur dis‑je, restez à notre disposition jusqu’à nouvel ordre.

– Je suis ambassadeur! se rebiffe le gâtouillard.

– Si l’affaire s’ébruite, vous ne le resterez pas longtemps.

Il se le tient pour dit et va s’asseoir au salon. La grosse Berthe continue de masser le bras vengeur de son bonhomme. Des larmes dégoulinent sur la face couperosée (de Provence) du Mastar. Il pleure sur ce qu’il a vu, le bon biquet. Il se dit qu’à partir de dorénavant, son ménage ira à la va‑comme‑je‑t’épouse. A moi de sauver la situation. A moi d’oublier mon chagrin pour oindre ce cœur endolori du bel onguent de l’illusion.

Un regard m’a suffi pour piger que, contrairement à Odile, Berthe Bérurier jouit de toutes ses facultés.

– Quelle ordure, ce prince, grondé‑je, droguer ainsi ces pauvres femmes pour abuser d’elles…

B.B. me gratifie d’une œillade reconnaissante.

– Droguées? demande le Gros.

– Sans blague! m’écrié‑je, t’as du velours noir sur les falots pour pas t’apercevoir que nos bergères sont bourrées de haschisch?

Il mate sa donzelle, laquelle, parfaite comédienne, s’empresse d’adopter un regard cloaqueux.

– C’est pourtant vrai, reconnaît mon adjoint. Je me disais aussi, Berthe faire une bonne manière à un mec devant tout le monde, ça lui ressemble pas. Alors, c’est vrai, ma Guenille, que ce salaud t’a camée?

Elle joue les Manon, la mère Béru, pour le coup. Dans le style «je suis encore tout étourdi‑i‑i‑i‑e». Elle se prend la coupole à deux mains. Elle bat des paupières. Elle soupire:

– Attends, ne me brusque pas, il faut que je cherche à me souviendre.

– Ah! dis donc, elle est drôlement délabrée de la pensarde, ma pauvre Minouchette, s’apitoie Sa Majesté. Il a dû bougrement forcer la dose, le Kelbel. Mais il va me payer ça! Vise un peu ma Berthy, Gars. On dirait qu’elle regarde jouer «Mais te balade donc pas toute nuesur le préavis de Notre‑Dame[50]! Elle a les coquards qui floconnent.

– Bon, c’est pas le tout, tranché‑je, maintenant il s’agit d’exploiter la situation puisque nous l’avons bien en main.

– Prêt à la manœuvre! lance‑t‑il, revigoré.

Il embrasse sa dame entre les seins.

– Je te ferai oublier tout ça, ma Grosse, promet‑il. Tu verras, le temps effacera…

– En attendant, essaie d’effacer l’évanouissement du prince, car j’ai absolument besoin de lui parler; moi, je m’occupe de ramener Berthe à la réalité.

J’entraîne la dame de ses pensées dans une pièce voisine tandis que Béru rafle une bouteille de scotch pour mieux jouer les soigneurs.

 

Date: 2015-12-13; view: 439; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



mydocx.ru - 2015-2024 year. (0.007 sec.) Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ - Ïîæàëîâàòüñÿ íà ïóáëèêàöèþ