Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

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Une mission de reconnaissance .





 

 

Je sui été faire un peu de ménage chez Alfred que la femme est aux sports divers. Je reviens dès que j’aurez finit.

Berthe.

 

Tel est le mot que Bérurier trouve épinglé à sa porte lorsque nous passons à son domicile pour y déposer l’héritier à plumes. Heureusement, le Gros a ses clés.

Il va mettre Mongénéral dans la cuisine et nous propose un remontant. Dix heures du matin! C’est la belle heure pour le premier apéro. Ça l’attendrit de visionner la Laurentine chez lui, à Pantruche.

– Tout de même, soupire‑t‑il, si nos vieux reviendraient et qu’ils nous voient en train de trinquer chez moi!

– S’ils t’ont déjà vu dormir dans le lit de maman, le plus gros de leur surprise est passé, objecte‑telle avec pertinence.

Béru fait claquer ses doigts.

– Bon, c’est pas le tout, allons reconnaître nos futurs biens, Laurentine. Ensuite d’après quoi, on reviendra croquer ici, je t’invite!

Il rédige un message à l’intention de sa femme.

 

Berthe chérie,

Je suis de retour. On hérite presque avec Laurentine, la cousine que je t’avais causé. On reviendra déjeuner avec elle et San‑A. Je te laisse ce poulet. Occupe‑toi‑z’en. Je t’embrasse en attendant le plaisir de le faire de vive voix.

Ton A.‑B.

 

– Et maintenant, en route, mauvaise troupe! versifie le Poète.

L’immeuble dont a hérité le coq tricolore se situe au 269 de la rue Legendre. Faut que je chausse ma plume balzacienne pour vous le brosser. C’est une maison basse, adossée à un grand immeuble triste, au sein d’une courette mal pavée. Elle est de peu de profondeur et fait penser à un clapier appuyé au mur de la grange. On devine que l’escalier desservant ses deux étages doit se contorsionner pour pouvoir s’élever. La façade est utrillienne, avec un plâtre grisâtre, écaillé en maints endroits. Les volets peints en blanc ont retrouvé – est‑ce par osmose? – la couleur des murs. Ils sont pour la plupart à demi fermés, mais ceux qui demeurent ouverts laissent voir des fenêtres garnies de verres dépolis. Ces verres opaques donnent à la construction une vague allure de clinique modeste. On a l’impression que des gens pauvres et tristes viennent y faire soigner des maladies sans gloire.

Des constructions hautes et noires dominent la chétive demeure qui ressemble à une verrue de ciment. Je comprends pourquoi on a mis des verres dépolis aux croisées: sans eux, mille regards indiscrets pourraient plonger dans ce minuscule hôtel particulier.

Le Gros et Laurentine s’arrêtent dans la courette au centre de laquelle une vasque de bronze ébréchée conserve un peu de la dernière neige tombée.

– Dis donc, Laurentine, amertune le Gravos, c’est pas le Palais de la Radio, la masure à Prosper! Moi je m’imaginais le bath immeuble de pierre de taille, avec encenseur et huit étages les uns par‑dessus les autres!

Elle hausse les épaules et sermonne:

– A cheval donné, on ne regarde pas la dent!

C’est un proverbe de chez eux. Dans le gris Paris, il revêt toute sa signification. Cupide mais raisonnable, Laurentine!

– On pourrait mater l’intérieur, hein, et faire connaissance avec les locataires? suggère le Monstrueux.

C’est bien dit à lui. Môssieur Béru se comporte en homme de biens (au pluriel) sachant déjà, d’instinct, gérer ceux‑ci. Le sang nabu se réveille. Assoupi, seulement, qu’il était, le raisin made in Saint‑Locdu.

– Ne disons pas que nous sommes les futurs nouveaux propriétaires, renchérit sa cousine. On est seulement des amis de l’oncle Prosper qui passent voir si tout va bien.

– Gigot! clame le Gros (ce qui est une pure francisation béruréenne du vocable argot anglais: Ji Go!).

Délibérément, il s’approche de la porte et enfonde le clito de la sonnette électrique.

– A ce qu’on dirait, estime le Sagace, y aurait qu’un locataire pour toute la carrée.


Ça m’en a l’air, lorsqu’une bonniche loquée façon Feydeau nous délourde. Derrière elle on aperçoit un petit hall habillé de satin rouge avec, pendant du plaftard, une grosse lanterne chinetoque pourpre à franges noires.

Elle nous visionne d’un regard interrogateur, fermé à angle droit par un strabisme on ne peut plus convergent.

C’est le Béru qui gazouille:

– On est des amis à Prosper Bérurier et c’est sur sa recommandation ultime[7] qu’on vient.

La soubrette a des tifs mal peignés, rêches et roux sale. Sa coiffure, on dirait une assiettée de friture de goujons trop cuite. Ça contraste avec son coquet uniforme de camériste.

– Entrez!

On file‑indienne dans la maison. Une odeur nuancée nous griffe les fosses nasales. Ça renifle le parfum de Paris dans les prix moyens et le désinfectant, ce qui renforce l’idée que la maison est une clinique.

La soubrette pousse une porte à deux étroits battants matelassés. On découvre un salon plein de chinetoqueries: des meubles laqués, des chaises aux pieds tourmentés, des éventails, et, avachi sur une table basse, un gros bouddha au nombril en forme de clin d’œil qui ressemble à Bérurier.

– Si vous voulez bien vous asseoir, je vais prévenir Madame.

Nous répartissons notre trio sur les sièges en considérant les œuvres d’art asiatiques proposées à notre attente. Pour ma part, j’ai horreur des chinoiseries et, d’une façon générale, de l’art plus ou moins exotique. Je suis pour la haute et épique époque, les gars. La Renaissance, le Louis XIII, un brin de Louis XV rustique à l’extrême rigueur. Ou alors le danois moderne. Mais le mobilier de Pékin, de Casablanca ou de Douala me fait prodigieusement tarter. Mon dargif, par hérédité, continue d’affectionner les fauteuils os‑de‑mouton; mes yeux se complaisent des bahuts à pointes de diamant ou à petits caissons et la peau de mes doigts garde la nostalgie des bois robustes, patinés par les ans, dont le grain est aussi doux et aussi fin que les miches d’une jeune vierge.

– Ce sont des gens confortables qui habitent ici, décide Laurentine.

Elle est impressionnée, miss Qui‑quête‑pour‑le‑denier‑du‑culte. Son premier contact avec Paname!

Elle est habillée trop long, et en noir, sauf un petit col de lapin gris à son manteau. Elle a un bitos en faux astrakan garni d’une voilette derrière laquelle on aperçoit son minois en fer de pioche.

Les battants de la porte s’écartent et une dame s’avance sur nous. Tout sourire! La respiration de Laurentine fait soudain un bruit de moulin à café en plein effort. Elle est choquée par le déshabillé de la maîtresse de maison. Mais que je vous solde la dame en question. C’est une forte personne bourrée de rondeurs de bas en haut.


Elle est blonde platinée, avec du rose ocre aux joues et du rouge violacé aux lèvres. Un peu de vert sur les paupières pour faire plus champêtre, et une mouche noire sur une pommette pour faire franchement Pompadour. Elle porte un déshabillé en voile entièrement sculpté dans de la barbe à papa. A travers les vapeurs du vêtement – mais a‑t‑on le droit d’appeler ce morceau de brume un vêtement? – on devine le slip et le soutien‑chose noirs. L’œil bouffi a quelque chose de polisson. Elle nous défrime posément en masquant tant bien que mal sa surprise.

– Bonjour, roucoule‑t‑elle en s’appliquant à zozoter pour que ça fasse plus petite fille gentille.

Béru, en pleine initiative, se lève. Son chapeau lui choit des genoux. En se baissant pour le ramasser, il se laisse entraîner par le poids de sa lourde tête de penseur, fait un pas en avant et met le pied droit au beau mitan du couvre‑sous‑chef. Le malheureux bada, qui ressemblait à un tas de choucroute, ressemble dorénavant à une tourte mal cuite.

– On vient sur la recommandation de M. Bérurier, bredouille mon ami en finissant par ramasser son couvercle à poubelle.

Elle fronce ses beaux sourcils dessinés au crayon à z’yeux.

– Bérurier? mnémonise‑t‑elle. Je ne vois pas. Ici, les noms de famille; vous savez… On se contente des prénoms, et même des sobriquets.

– Son prénom c’est Prosper, complète le Mahousse. C’est le propriétaire de la crèche.

– Moi, je ne suis que sous‑locataire, s’excuse la forte personne. Mais bref, passons, je veux bien admettre…

– Ah ça, vous pouvez admettre! s’enroue le Gros. Si je vous le dis c’est que je peux le prouver.

– Je vous ai dit: bref! objecte la dame.

Elle retrousse une manche kimonesque de son déshabillé, dévoilant un bras plus potelé que le fion du plus beau bébé de France‑et‑de‑grande‑banlieue. Il y a des fossettes partout! Et des bracelets d’or! L’un d’eux représente un serpent qui se mord la queue. Image de l’infini!

Puis elle nous balaie de son beau regard marron‑tirant‑sur‑le‑vert.

– En somme, vous venez pour quoi?

– On aimerait visiter les lieux, si ça serait un effet de votre bonté.

Elle agite un doigt alourdi d’une bague grosse comme ça, dont la pierre est soit un diamant de vingt carats, soit un bouchon de carafe en cristal de Bohême‑Moravie. Et elle a cette repartie qui stupéfie l’intéressé ainsi que les deux personnes qui l’accompagnent:


– Polisson! dit‑elle.

– Ecoutez, chère madame, soupire le Gravos, lequel réagit aux charmes plantureux de notre hôtesse.

– Appelez‑moi Froufrou, fait‑elle.

Cette fois, Béru me file un coup de périscope éperdu. A mon tour, je mate la cousine. Elle est un peu coincée par la stupeur, derrière sa voilette, Laurentine.

– Suivez‑moi! décide la dame au déshabillé arachnéen.

On lui file le train. Elle grimpe l’escadrin, Béru sur ses talons. Il est fasciné par le valseur de notre délicieuse hôtesse, le Sanguin. Sa belle bouille d’honnête homme oscille pour suivre le lent balancement de ce somptueux postérieur qui le précède.

Parvenus au premier, la dame pousse une porte. On entre dans une assez vaste pièce toute en longueur. Les volets sont fermagas, les rideaux tirés… C’est capitonné… Plafond plissé soleil, en velours rouge, tentures noires. Un peu Borniol peut‑être? Il y a un immense lit à six places qui tient tout le fond de la pièce. Et puis des canapés polissons, vachement surmenés, dont les ressorts à boudin ont depuis longtemps déclaré forfait.

– Asseyez‑vous! conseille‑t‑elle, je reviens.

Avant que nous ayons pu intervenir, la voilà qui a disparu.

– Cette femme est bizarre, décrète Laurentine. Vous ne croyez pas qu’elle?…

Elle se tape la tempe de son index replié.

– On voit que t’es jamais sortie, Laurentine, affirme dédaigneusement le Gravos. A Paris, c’est le style bon accueil, ça! T’arrives, on est familier, on te reçoit à l’aimable, comme si tu serais chez toi!

– Elle a dû se douter de la vérité, objecte la cousine. Elle nous fait la cour.

– Peut‑être, concède le Gros, mais avoue que c’est délicat. Elle en a rien à foutre de nous, après tout, Mme Froufrou. Du moment qu’elle douille son terme, qu’est‑ce que ça lui importe qu’on soye les futurs proprios, je te demande. Moi, je la trouve charmante, cette dame. Et bien de sa personne. Elle est sexy, quoi!

– Je t’en prie! proteste Laurentine.

Il est malaisé d’endiguer le lyrisme du Mastar.

– Je voudrais te signaler une chose, cousine. La dame qu’on cause a sensiblement ton âge, mais t’as l’air d’être sa mère!

– Merci! grince l’incriminée.

– Tu devrais te ravaler un peu la façade, ma vieille! C’t’ un conseil de cousin. Suis l’exemple de Malraux qui rebadigeonne Paris. Tu te filerais un chouïa de fond de teint sur la tronche, avec du rouge à lèvres et un coup de Bic aux sourcils, que tu ferais tout de suite moins maladie du foie. Et puis tes loques, surtout! A quoi ça rime de s’habiller en chaisière! Même le bon Dieu, ça le ferait sauver, tes jupons façon soutane. Tu fais plus curé qu’un curé! D’ailleurs, les abbés, maintenant, ils se fringuent en civil. J’en ai connu un, l’été dernier, il portait un boxeur‑chorte à carreaux!

Le retour de Mme Froufrou abrège ses conseils.

Elle n’est plus seule, la locataire des Béru. Deux jeunes personnes l’accompagnent. L’une est une petite Eurasienne faite au moule, avec une frange de cheveux noirs qui lui arrive au ras des yeux et une bouche rieuse; l’autre une superbe blonde, très nordique d’aspect, au regard limpide comme une stalactite.

– Voici Youki et Alexandra, ce que j’ai de mieux en ce moment, affirme madame Froufou. Je suis certaine que vous en serez très contents. Ce sont du reste deux merveilleuses spécialistes des ébats collectifs. Et puis roulées comme pas trois! Regardez un peu ça! (Elle soulève le pull d’Alexandra.) Dessous il y a une paire de machins‑trucs sans emballage, qui ferait dresser les cheveux d’une boule d’escalier. Pas de l’ersatz, de l’authentique! Une pure merveille de l’art contemporain!

– Quelle horreur! glapit Laurentine en faisant un signe de croix express!

La môme Alexandra blêmit!

– Quoi, quelle horreur! pouffe‑t‑elle avec un accent suédois mis au point rue de Belleville. Non, mais vous entendez cette planche à laver qui chique les difficiles devant ma laiterie modèle! Sans charre, Madame a autant de formes que la vitre et elle se permet des critiques!

– Calmez‑vous, Alexandra, rabroue Froufrou. Vous ne comprenez pas que Madame plaisante et marque au contraire son admiration!

Elle se tourne vers Laurentine.

– Ces Scandinaves n’ont pas le sens de l’humour, excuse‑t‑elle. En tout cas, elles ont les plus belles jambes d’Europe. Du monde, non. Les Américaines les battent. J’en ai eu une, l’an dernier: Betty, vous auriez vu ces jambes… Une statue grecque! Notez qu’Alexandra ne se défend pas mal…

Elle relève la jupe de l’intéressée à la hauteur de son menton. Nous avons une vue imprenable sur l’intimité d’Alexandra. Béru est violet foncé. Il a la bouche entrouverte, les yeux injectés de sang et la langue couverte d’écume.

Quant à Laurentine, c’est une momie. Elle est raide et sans voix! Elle ferme les yeux. Y a une rafale de paters qui lui part de l’âme. Elle acte‑de‑contritionne à tout‑va! Elle est gâtée, Laurentine, depuis l’enterrement de son tonton! L’exhibition chez Valentin, hier… Son coup de bourre‑pif, la nuit, à la ferme isolée… Et maintenant…

Un rire immense me vient comme la marée montante arrive du fond de l’infini. Ça me gronde dans la moelle! Ça m’investit sans m’avertir! Ça me remonte depuis l’extrémité des nougats! Ça me roule les cellules comme des galets! Ça me disperse le maintien! Ça m’anéantit le sérieux! Ça me foudroie la dignité! C’est une vraie colique! Une hémorragie! Une explosion! Une dislocation! Je me tords, me gondole, me contorsionne, m’époumone, me trémousse, me tortille, me feu‑d’artifice! Je rie, je rue, je roule, je rugis, je râle, je rossignole[8], je robinette de la rate! Du coup j’accapare l’attention! Je monopolise le présent! On me regarde! On s’inquiète! On attend! On espère! On prie pour moi!

– Qu’est‑ce qui t’arrive? articule le Puissant.

Je laisse partir ce torrent d’hilarité qui me traverse! Je dégorge!

– C’est pas à moi qu’il arrive, c’est à vous! Vous venez d’hériter d’un bordel, Gros!

Il ouvre un coin de bouche. Sa joue gauche lui remonte par‑dessus l’œil. On voit son râtelier tordu, ses amygdales poreuses, sa luette (gentille luette) tuméfiée, on distingue ses cordes vocales encrassées; on devine son œsophage craquelé. C’est la stupeur qui lui fait ça, à Bérurier. Il opère une plongée vertigineuse dans la réalité. Il pige à son tour la stupéfiante vérité! Mongénéral, le valeureux coq tricolore, est propriétaire d’une maison close! D’un lupanar, d’un claque, d’un bouic, d’un clandé.

Dame Froufrou nous observe, pas contente, inquiète! Elle vient de comprendre que ça ne carbure pas normalement! Elle subodore la vaste confusion! Elle réalise que nous ne sommes pas venus pour des galipettes à grande mise en scène!

– Mais, messieurs, soupire‑t‑elle, pouvez‑vous me dire…?

Non, on ne peut pas! On étouffe trop de marrade; car le Gros se répand en rires homériques, lui aussi! Il a sa brioche qui cahote comme un chargement de fourrage dans les ornières d’un chemin creux. Il postillonne, il éclabousse, il envoie des bourrades à Laurentine. Il lui bouscule ses oraisons à la sortie!

– Non, finit‑il par bavocher, tu te rends compte, Titine, que t’es au claque! Au claque, ma vieille, toi, la ramoneuse de cierges de Saint‑Locdu! Quand ton curé va savoir ça, il aura des vapeurs! Ah! ce que c’est drôle! Ah! ce que je me marre! J’en peux plus! Je me sens aller dans mon Eminence! Je me coince les soufflets! Tiens, regarde, je pleure! C’est trop fort! ça me chatouille les tripes! J’ai les joyeuses qui s’entortillent! Faut que j’arrête sinon je vais canner d’asphyxie! C’est pas supportable! Je risque une lésion de la rate! Je vais me déchirer une éponge! J’aurai droit à l’hernie être anglais! Laurentine au boxon! Ça va être un sacré cri à Saint‑Locdu! Quand la nouvelle leur arrivera, ils mourront de marrage, les gars de là‑bas! Y aura un article dans l’Echo des Bosquets!

Un glapissement pareil à la sirène d’un chalutier en perdition retentit! C’est la cousine qui l’a poussé. Elle jaillit telle une furie. Elle bouscule les deux pensionnaires de Mme Froufrou! Elle fonce dans l’étroit couloir aux murs tapissés de gravures galantes.

Un instant. Puis nous percevons un grand cri! Un grand choc! Un râle! Des exclamations! Quelques interjections aussi pour faire plus gai; avec un soupçon d’onomatopées qui nous restituent, extrêmement véridiques: le barrissement de l’éléphant, le grondement de l’ours blanc du Labrador; le mugissement de l’ovibos des régions boréales et le miaulement du loup‑cervier. On cesse de rire! On se précipite! On s’informe. Une porte ouverte nous projette la réalité en pleine figure. En se taillant, Laurentine Berlinguet s’est gourée de lourde. Elle est entrée dans une pièce occupée par un gros monsieur d’un certain âge et une frêle jouvencelle sans carte d’électeur et sans feuille de vigne. Le monsieur d’un certain âge possède un bide comme un obus, pointu du haut, une couronne de cheveux blancs autour de la calvitie et des fixe‑chaussettes d’un modèle périmé. Outre ces petites sangles élastiques, signalons qu’il a pour seuls vêtements les poils de sa poitrine et sa cicatrice d’appendicite.

Lui, tient sa carte d’érecteur à la main et il s’apprêtait à déposer son bulletin dans l’urne lorsque miss Laurentine a fait une brutale irruption dans sa vie sexuelle. La jouvencelle, agenouillée, patiente, aimable, regarde l’arrivante effondrée sur la moquette, bousillée par les émotions fortes.

– Vous pourriez pas fermer la porte! reproche‑t‑elle en nous apercevant, j’aime pas qu’on me regarde quand je travaille!

Son clille rouscaille vilainement. Il est pas venu ici pour faire une démonstration publique! C’est un tranquille, un furtif! Y a des rubans à la boutonnière de sa veste soigneusement posée sur un dossier de siège. Il est connu! Il a une situation! Il appartient au hémèrepé. Et abonné au Gaz de France, s’il vous plaît! Quelqu’un, quoi! Il faut des quelqu’un dans la vie! Notre pays, Dieu merci, en a à revendre! A louer! A brader! A offrir en prime!

On marche dessus dans l’autobus! On en bouscule dans les rues! Ils décident; ils président; ils conseillent; ils désapprouvent; ils glorifient; ils sanctifient; ils dévotionnent. C’est du boulot, non? Faut avoir l’influx nerveux pour le faire!

En revanche, un quelqu’un en bon état a le droit de se confier l’intime à une demoiselle faite exprès pour, sans que six mirontons le regardent, non? Elle est où, la morale chrétienne autrement, dites un peu? Si on n’a plus le droit de se faire téléphoner au souverain pontife sans être dérangé, ça la fout mal! De quoi revendiquer! Réclamer le remboursement intégral de son dédit! Il l’entend pas de cette oreille, le Casanova aux fixe‑chaussettes. A propos, elles sont mauves, ses bretelles à socquettes!

Mme Froufrou, pour lors, éclate. Elle imprécationne formidablement après Laurentine, comme quoi cette tarderie lui démolit le fonds de commerce! C’est une empêcheuse de gagner son pain‑à‑la‑sueur‑de‑son‑front, cette mocheté! Elle vous condamnerait à la faillite! Vous cloquerait des complexes dans le grimpant d’un brigadier de gendarmerie! Un danger public, elle affirme! Une engendreuse de maléfices! Une désarmorceuse de coups fourrés! Qu’est‑ce qu’il va dire, M. Albert, maintenant, avec cette émotion de la dernière seconde qui lui a réduit la couleuvre de broussailles à l’état de soupçon, hein? Et Dorothée, qui s’apprêtait à recueillir le fruit de ses efforts, comment elle va le récupérer, ce temps perdu? Obligée de tout reprendre à la base! D’effacer le compteur pour redémarrer à zéro, c’est charmant! Sans parler de son diplomate guinéen qui ne va pas tarder et qui ne pourra pas se permettre de poireauter vu qu’il a une conférence à l’Unesco! Ça tourne à l’émeute, notre visite chez l’oncle Prosper! Les vociférations, les imprécations se succèdent! Y a miss Fleur‑de‑Lotus qui renaude en cambodgien moderne! Et puis Alexandra aussi, laquelle n’a pas digéré l’exclamation de Laurentine à propos de ses pare‑chocs à poumons!

Béru se marre encore, mais moins fort. Sa rifouille se calme, comme le vent sous l’averse. Les grondements de son bide s’éloignent. Il finit par s’arrimer le sérieux au piquet de sa dignité.

– Stop! hurle‑t‑il soudain.

Son bel organe caverneux rétablit le calme. M. Albert se serviette avec promptitude. Mme Froufrou met une sourdine au pavillon de sa trompette. Les pensionnaires se taisent, mais restent la bouche ouverte par déformation professionnelle!

– On ne s’entend plus, mugit le Féroce, qu’est‑ce qu’est que ce bordel?

Il se reprend et murmure, adouci, à l’adresse de la patronne:

– Excusez‑moi, ça m’a échappé.

La personne se tourne vers moi.

– Vous qui me paraissez un peu plus évolué que ce gros lard, dit‑elle, vous pourriez m’expliquer ce que vous êtes venus fabriquer ici?

– Le gros lard que vous causez pourrait peut‑être vous voter des ennuis sérieux! tonne mon camarade en brandissant sa carte de flic.

– Mince, un Royco! grogne la grosse dame d’une voix fataliste.

Elle nous refoule vers la sortie.

– Excusez le dérangement, monsieur Albert, fait‑elle au client en panne, Dorothée va vous finir, mais vous ne paierez pas; c’est pas dans les manières de l’établissement de troubler les habitués!

Elle ferme la porte dans son dos.

– J’écoute! dit‑elle noblement.

M’est avis qu’il est de mon devoir d’intervenir. Je lui raconte tout, sans mentionner toutefois que c’est un poulet qui est maintenant propriétaire du clandé.

– Comprenez‑vous, terminé‑je en matière de péroraison, nous ignorions en entrant ici ce qu’était cet immeuble et ce qu’on y faisait!

– C’est scandaleux! réagit enfin Laurentine. Je veux m’en aller! Porter plainte! Il faut agir, et vite! Alerter la paroisse! Un prêtre pour exorciser! Qu’est‑ce que je dis, un prêtre: un évêque au moins! En appeler à Sa Sainteté, même! Evacuer! Brûler! Désinfecter! Repeindre!

Elle s’affole! Elle se signe! Elle clapote des oraisons, par petits bouts en crottes de chèvre. Elle se sent investie par des démons. Ils lui grimpent après, lui chatouillent la jarretière, lui escaladent le pantalon. Ils fourmillent, nombreux, ardents, polissons. L’impossible s’est produit, l’inadmissible est arrivé, le plus monstrueux des inrêvables cauchemars a eu lieu: Laurentine, la pure, la religieuse, la dévote, la contrite, la sacerdotale; celle qui signe ses pensées d’une croix, qui renouvelle les cierges, qui creuse de ses genoux cagneux le froid plancher des confessionnaux, qui jette des feuilles de rose à la Fête‑Dieu, qui se lotionne le front à l’eau bénite, qui se creuse la poitrine à coups de Je‑confesse‑à‑Dieu, qui reprise des soutanes, qui repasse les surplis (américains), qui plumeaute les statues, de saint Joseph, de Jeanne d’Arc, de saint Michel Archange, de sainte Thérèse, de saint Pierre (et Miquelon), de saint Emilion, de saint Kolonalahune, de saint Cassète et de sainte Valérie‑en‑Jean‑Cau: celle qui mange du poisson le vendredi; celle qui messebasse tous les matins; celle qui s’est gardée intacte pour comparaître devant son Sauveur avec son bon de garantie d’origine, Laurentine, la virginale, se trouve dans un claque! Laurentine est la presque copropriétaire d’un claque!

Elle trouve la sortie, cette fois. Elle dévale l’escalier, rate une marche, se pète les meules sur le carreau… Elle sort, claque la porte!

Dame Froufrou congédie ses deux pensionnaires d’un geste.

– Quelle histoire! gémit‑elle, alors c’est un flic qui hérite de cette maison?

– Positivement, sentence Béru, très noble, très authentique dans son nouveau rôle de capitaliste.

– Feu Prosper Bérurier connaissait‑il l’usage qu’on faisait de son immeuble?

Elle hausse les épaules.

– Je n’en sais rien; moi, que voulez‑vous, je ne suis que la gérante.

– Qui est le patron?

Elle s’offre le luxe d’hésiter, mais je sors ma carte de poulaga à moi. En voyant s’étaler dessus mon grade de commissaire, elle met les pouces.

– Le patron est M. Jérôme Laurenzi, dit‑elle.

– Tiens! Tiens,! fais‑je.

Vieille connaissance. Un truand mondain! Toujours soupçonné, jamais mouillé. Laurenzi, c’est un monsieur. Il a de la classe, mais pas de morale. Il aurait pu devenir chef d’industrie, il n’a été que chef de gang par personnes interposées. Sa quiétude bourgeoise avant tout! Un promoteur! Un financier! Il aime la musique, il protège les arts et fait du bien, du vrai bien à de vrais pauvres. Une belle figure, insolite, bizarre, attachante.

– Quelle est son adresse actuelle?

– Il habite rue de Buzenval à Saint‑Cloud.

– Un voisin, murmuré‑je, vu que je crèche tout près. Très bien, on ira lui causer de l’air du pays. Bonsoir, jolie madame, ravi de vous avoir connue.

Bérurier perd un brin de dignité pour hasarder sa main conquérante, presque proprio, vers le bustier de Froufrou.

– Vos pensionnaires sont fraîches comme des petits cœurs, convient le Pertinent, mais entre nous et un pot de vaseline, si j’aurais à escalader quelqu’un dans cette turne, c’est plutôt vous que je choisirais, chère mahame!

Ça lui lubrifie la vanité, à la brave hôtesse. Ce compliment direct la fait rougir, ma parole!

– Flatteur! susurre‑t‑elle en caressant d’une main aussi experte que baguée la région rasurelienne du Gros.

– Officiel! réaffirme celui‑ci.

Et il ajoute, en faisant jouer ses ramasse‑miettes façon Rudolph Valentino:

– La qualité, je m’en ai toujours foutu, ce qui compte, c’est la quantité. Et de ce côté‑là, sauf votre respect, c’est pas avec une pince à sucre qu’on peut vous agacer les roberts!

 







Date: 2015-12-13; view: 450; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ



mydocx.ru - 2015-2024 year. (0.055 sec.) Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ - Ïîæàëîâàòüñÿ íà ïóáëèêàöèþ