Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

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LE MYSTÈRE S’ÉPAISSIT !





 

Ecoutez, moi je suis pas contre le mystère. Je trouve qu’il pimente la vie. L’inconnu, c’est ce qui fascine le plus. L’homme a besoin de points d’interrogation, ne serait‑ce que pour s’en faire des portemanteaux.

Je considère alternativement Béru et sa cousine. Y a de quoi se cramponner à la rambarde, avouez! Deux filles en manteau de fourrure blanc, au milieu de la nuit hivernale de Fouilly‑les‑Oies, c’est pas banal! Que venaient‑elles fiche dans cette vieille baraque bourrée de courants d’air? Des élégantes, style mannequins, pourvues d’une Cadillac dernier modèle! Faites‑moi une avance de phosphore, les gars, que je pige un peu…

– Je dis pas que je soye pas un peu schlass, balbutie le Gros, mais je crois bien avoir vu ce que j’ai vu, non?

Il considère le nez tuméfié et raisineux de la pauvre Laurentine.

– Et miss Dargeot‑bénit a fait mieux que voir, à ce qu’on dirait! ajoute‑t‑il. Dis, Laurentine, ton Saint‑Christophe, il roupillait ou quoi?

Bon jusqu’à l’abnégation, il offre à sa cohéritière un mouchoir qu’un chiffonnier négligerait s’il se trouvait dans une poubelle.

– Amortis‑toi la blessure, conseille‑t‑il. Si les microbes se foutent après ton aubergine, tu risques de ramasser ton blair dans la poussière. Qu’est‑ce tu penses de cette séance, San‑A.?

J’ai un geste évasif (les plus difficiles à réussir).

Le Gravos, surexcité comme une pile atomique quand ses neutrons font les voyous, enchaîne:

– Un peu culottées, ces frangines, de venir cambrioler une maison en pleine noye!

Je pige pas et ça me fait mal dans la boîte à idées.

– De la route, sous la neige, on ne la voit même pas, la ferme, Gros! Et puis, ces bergères, c’étaient pas des romanos. Elles se loquent chez Courrèges de bas en haut, chez Courrèges et chez Ciganer! Tu les vois faire des fric‑frac à travers les tas de fumier? Il fait moins quinze dehors et on est à deux cents bornes de Pantruche!

– Tout ce que tu me causeras, proteste le Mastar, les faits sont là, non? J’ai idée que ce sont des petites spécialistes du bas de laine. Elles retapissent un décès, et pendant que la famille pleure son mort, ces friponnes viennent soulever le matelas. Les nabus aiment pas les banques. Leur joncaille, ils la dorlotent dans des plumards, c’est connu!

Peut‑être a‑t‑il raison! Sans doute a‑t‑il raison! Il ne peut qu’avoir raison, sinon quelle autre explication trouver à ce mystère?

– Comme quoi, conclut le Gros, on a rudement bien fait de s’annoncer maintenant! On les a dérangées en plein charbon, ces demoiselles. Ah! les morues, si je les piquais, je te leur filerais une de ces fessées qu’ensuite leur mignon dargif aurait l’éclat du neuf!

– J’aimerais assister à la correction, soupiré‑je en évoquant la blonde chevelure de la fille en blanc.

Laurentine, c’est du bois de péquenot. C’est geignard mais solide. Malgré son tarin entamé, elle fait bonne figure.

– Il faut tout vérifier, elle recommande d’une voix devenue nasale.

Comme elle achève ces mots, on entend un bruit bizarre dans la cuisine. Un grattement… On regarde et on avise une grande caisse grillagée sur un côté.

– La niche du médor, sans doute, hypothèse Bérurier.

Sur le grillage, un papier est épinglé. D’une écriture penchée mais riche en pleins et déliés, on a écrit: «Mongénéral adore le maïs. Le dimanche, lui faire prendre une cuillère de vin sucré. Merci!»

Béru s’incline au‑dessus de la caisse.

– Eh ben! dis donc, toutou, murmure‑t‑il, tu vas devenir un vrai petit goret si t’aimes les farineux! Et du pinard sucré! Il t’avait vachement à la chouette, l’oncle Prosper!

Il se tait, se retourne et je constate que ses yeux sont prêts à lui dégouliner sur les joues.

– Ah ben, ça alors, bégaie‑t‑il, vous avez vu?


Il s’écarte pour nous laisser regarder à l’intérieur de la caisse.

Nous nous exclamons en cœur, Laurentine et moi. Mongénéral n’est pas un chien, mais un coq! Un beau coq blanc, dont la queue est agrémentée de superbes plumes presque bleues, et dont la crête rouge vif lui pend sur le côté comme un béret basque. Un coq bleu blanc rouge en somme! Il tourne la tête latéralement afin de braquer sur nous un œil de verre, bien rond, bien jaune, et dont la paupière flétrie ne cille pas Il dormait gentiment dans sa caisse pleine de paille, Mongénéral. Tricolore et béat; et puis voilà qu’on le réveille en sursaut avec nos giries d’humains. Un fataliste, ce poulet! Il pourrait nous marquer son mécontentement, nous invectiver. Mais non, il se contente de nous bigler d’un seul lampion avec l’air de se demander pourquoi on fait des bouilles comme sur les réclames pour le laxatif Fafagogue. Il se soulève, s’étire une aile, se gratte la crête d’une patte et lance un cocorico qui ridiculiserait l’indicatif des Actualités Pathé.

– Un poulet! souffle Laurentine.

Son gros cousin réagit.

– Tu crois pas qu’il avait des ennuis avec sa carburation, l’oncle Prosper? Vivre avec un coq et lui laisser sa fortune, je te jure, faut se pincer le pancréas pour s’assurer qu’on rêve pas!

En tout cas, soupire Alexandre‑Benoît, il doit être aussi gâtouillard que son maître, ce poulaga, pour se croire aux aurores!

Effectivement, Mongénéral continue de chanter le jour retrouvé.

– Emmène‑le chez Lissac, conseillé‑je, il doit avoir une altération de ses facultés visuelles!

Revenus de notre surprise, nous explorons la maison. Pauvre bicoque en vérité et qui tombe en digue‑digue! C’est des vrais intrépides, les bouseux, mes fils! Des durs à cuire! Et des durs à geler! Leurs conditions de vie, c’est toujours l’âge des cavernes. Notez que ça commence à basculer! A leur tour ils découvrent la bagnole, la téloche et le réfrigérateur, ces plaies de la société moderne. Ils se laissent envahir, contaminer. Ils se mettent à mollir! Ils deviendront frileux, bientôt! Douillets, je prédis! La Sécurité sociale va précipiter leur chute dans le coton hydrophile! Maintenant que le toubib et les remèdes leur coûtent rien, ils commencent d’en user, et demain ils en abuseront autant que les déliquescents, que les malfoutus, que les emmitouflés des villes! Leurs beaux estom’s se boufferont aux mites! Leurs foies s’affoleront. Ils connaîtront la bile, je vous jure! Et les méchantes affres de la vésicule sournoise! Ils apprendront ce que c’est que le cholestérol, c’est écrit! La vilaine cohorte des maladies dont ils ne souffraient pas, faute de les connaître, les atteindra. C’est imminent! Ils les apprennent sur le petit écran: les troubles de ceci, les allergies à cela! Toutes les vacheries identifiées ou en devenir: les maux de rate, les virus, les fièvres éruptives, les taux d’urée, les vitesses de sédimentation, les tests, les cutis, les analyses! Ils commencent à se faire explorer le pipi, à se faire biopser les rognons, à se laisser vadrouiller dans le gros côlon. On leur entre dans le rectum comme chez soi! On leur inspecte la matrice à l’œil nu! On leur bivouaque dans les ventricules! On fait du camping dans leurs poumons, des visites organisées dans leurs testicules! Bientôt, ma parole, ils auront des migraines, nos fiers pégreleux de jadis, eux qui arpentaient les hivers avec une veste de velours et un cache‑nez de laine, les mains violettes de froid; s’ouvrant les furoncles avec leur Opinel, se guérissant les plaies avec de la fiente, la colique avec des tisanes et les maladies pulmonaires avec de la gnôle. Ah, nos bons paysans, si courageux! Matériel de guerre idéal dont la viande fut tellement utilisée! Eux qui crevaient de vieillesse, juste pour dire, ou à la rigueur du tétanos à cause de ces bongus de bourrins qu’il faut bien fumasser! Odorants péquenots, dont la crasse sentait la vie et non pas la mort comme la crasse des urbains! Eux qui étaient un étonnant croisement issu de la terre et de l’animal. Arbres vivants aux sabots encore pleins de racines! Salut, les terreux en peau d’éléphant! Salut, les analphabètes pleins de bon sens! Salut, les bouffepatates si robustes! Salut, les semeurs de froment aux mains fissurées comme des troncs de chênes‑lièges! Salut, et déjà bonsoir, à vous qui fûtes si authentiquement vivants, si authentiquement français quand vous étiez chleus! Vous voilà en route pour la décadence! Pour la faillite de vos organes! Vous allez devenir craintifs, vous qui braviez la nature! Permettez ce coup de bada de votre San‑A. Lui aussi arrive de la brousse, avec une génération de retard. Continuez votre course au progrès! Vive les trayeuses électriques, les monte‑foin automatiques, les inséminateurs artificiels! Et mes condoléances à vos vaches qui s’envoient en l’air avec des seringues déjà pasteurisées!


– S’il nous laisserait que cette cage à rhumes, y aurait pas de quoi se faire coter nos actions en bourse, ronchonne le Béru.

Au premier, la plupart des carreaux des fenêtres ont été remplacés par des cartons. Les meubles sont rares et bancaux (je ne fais une exception que pour chacal); les murs pleurent d’humidité. Les lits ont des paillasses en feuilles de maïs séchées. On a entreposé des graines et des pommes de terre à germer dans les chambres. Pour se zoner, faut prendre à gué, sur des rondins de bois.


Il avait vu juste, Béru: la literie a été chancetiquée. La gonzesse en hermine a fouillé partout… A‑t‑elle trouvé ce qu’elle cherchait?

– On va porter plainte! glapit Laurentine. Puisque vous êtes policiers, tiens donc! Occupez‑vous‑en!

Je lui explique tant mal que bien que ça ne relève pas de mes attributions.

– Alors allons à la gendarmerie de Mézy‑Aubénieur! grince miss Guette‑au‑trou.

On lui a fait sauter le pif, mais ça ne lui était pas venu à l’idée de porter plainte. C’est seulement en voyant les lits éventrés qu’elle tombe en crise. Elle craint la fugue de la chaussette aux louis d’or, Laurentine! Son sang, elle veut bien le verser, mais pas la joncaille de l’héritage! Elle se refera des globules rouges, mais pas des napoléons. On lui a dévasté les entrailles en éventrant les humbles paillasses!

J’ouvre les tiroirs, à la recherche de je ne sais quoi. Mais on les a explorés déjà. Une enveloppe gît à terre. Elle est vide et porte l’adresse de Prosper Bérurier rédigée à la machine. Elle a été postée de Paris, bureau de la rue d’Anjou, deux mois plus tôt. Je l’enfouille. Ça fait glapir la déblairée de plus belle.

– Qu’est‑ce vous venez de mettre dans votre poche! De quel droit! Qui vous permet?

Sa suspicion fouette le sang béruréen.

– Dis donc, Laurentine, il rabroue. D’accord, tu n’as plus de pif, mais y te reste encore deux oreilles, avise‑toi seulement d’outrager San‑A. et tu vas voir tes manettes, où est‑ce qu’elles vont aller dinguer!

Il se fourrage l’intime et me demande:

– Qu’est‑ce qu’on branle à propos de ce vol?

– Personne ne prouve qu’on a volé quelque chose, objecté‑je.

Néanmoins je gamberge un chouïa, puis je décide.

– Il serait intéressant de questionner la bonne femme qui faisait le ménage.

– Tu crois?

– Et puis le toubib également.

– Pourquoi le toubib? s’étonne l’Enflure.

Mon silence le trouble. Il me sourcille à haute tension. On entend Mongénéral qui cocoricote La Marseillaise des poulets, en bas, dans la cuistance. Un vrai petit clairon, le coq à Prosper. Ça lui fait de l’effet, d’être tricolore, à ce gallinacé.

– T’as des idées sur la mort de mon tonton? appréhende le Proéminent.

– Des idées, comme ça, tu me connais, Béru, j’ai le chou qui bouillonne vite! Où peut‑on roupiller dans ton bled?

– Ben, ici, non? suggère le Gros.

– T’es louf, il fait moins deux dans votre masure!

Alors, la voix grinçante de la môme Laurentine:

– Venez chez moi.

On la regarde. La tempête sous un crâne! Elle a dû vachement hésiter avant de balancer cette propose. Mais elle a peur de nous abandonner à nous‑mêmes. Elle redoute d’obscures arnaques, la vieille toupie! Elle se dit que tout poulagas que nous soyons, on n’est peut‑être pas tellement franco du collier, alors elle veut nous garder en surveillance! Elle vigile à tout crin, y a des intérêts supérieurs qui sont en jeu, mes fils!

Bérurier ne paraît pas autrement séduit par la proposition. Il hoche sa noble tête d’intellectuel déguisé en connard et finit par laisser tomber:

– Vu la brouille de nos deux familles, Laurentine, je crois pas pouvoir accepter ton invitation.

Ici, se place une véhémente intervention sanantoniesque.

– Oh, dis, bébé‑lune! explosé‑je, le sol est gelé, c’est pas le moment de déterrer la hache de guerre!

Elle a une petite cahute confortable, miss Laurentine. Avec toutes les commodités: vécés avec chasse, l’eau chaude et l’église de l’autre côté de la rue! Ça sent le propre et l’encaustique, chez elle. Un poêle de faïence répand une chaleur douillette et des relents de cacao flottent dans toute la maison.

Elle possède une chambre «à donner: celle de sa vieille môman, clamsée l’année précédente. La brave dame règne encore sur le logis, depuis un grand cadre d’ébène. Elle a la bouche en guidon de course, un regard de guenon vicieuse et sur la tête un fichu de dentelle noire. En entrant dans la piaule, le premier soin du Gros est de tourner la photo face au mur.

– Je pourrais jamais en écraser si je sentirais le regard de cette vieille vache posé sur moi pendant mon sommeil, m’avertit‑il. Y avait pas plus sournoise que l’Hortense. Un brouille‑ménage, cette vioque! Sa spécialité c’était la lettre homonyme! Sitôt qu’un zig dans le bled grimpait la femme d’un autre, elle était affranchie du coup, madame Zyeute‑au‑trou! Son burlingue de renseignements fonctionnait mieux que nos services de contre‑espionnage, espère un peu…

Tout en causant, il se défringue. Son bide constellé de cicatrices apparaît, rond, dodu, poilu, copieux. Il le gratte à pleins ongles pour faire tomber les miettes de pain qui s’y sont réfugiées, et poursuit en ôtant son bénard:

– Dès qu’elle était au parfum d’une partie d’orifice, elle adressait le rapport circonstancié aux cocus, recta! C’était la terreur du village. Les hommes osaient plus se farcir de nanas en dehors du plumard conjugal, rien qu’à l’idée d’Hortense. Un vrai bromure, cette carne! Tout le pays subissait sa loi! Pendant dix piges, la natalité a dégringolé en chute libre. Les julots se mettaient à la boisson. Y en a bien qu’ont essayé de réagir; tiens, l’instituteur que t’as vu ce soir. Il brossait la couturière. Quant sa mémée a reçu sa bafouille rapporteuse, il est allé à la gendarmerie porter plainte. Les pandores ont fait une enquête. Ils le savaient partinemment que le message signé anonyme venait d’Hortense. Mais, pour le prouver, c’était tintin! La mère à Laurentine avait une main gauche fantastique pour camoufler son écriture. Elle continuait à caracoler dans la délation, Hortense. Ça la grisait d’apprendre aux autres qu’ils étaient cornards. Et puis, un jour, j’ai mis le holà à ses activités! affirme le Terrible.

– Toi! soupiré‑je en me flanquant dans le plumard à suspension pneumatique.

Un sommeil terrible! La réalité se déguise en fumée blanche: j’ai le conclave positif!

– Oui, clame le Virulent, moi‑même personnellement, San‑A. Le jour que je m’ai payé la bouchère et qu’Hortense a adressé son message habituel au mari, tu sais ce que j’ai fait?

Il pouffe en s’abattant près de moi dans le lit, heureusement très vaste. Les ressorts poussent un cri de surprise. Le Gros se trouve une position commode et poursuit:

– Avec de la barbe de maïs, je m’ai fait une paire de bacchantes, puis je m’ai barbouillé la frime au bouchon brûlé. Ensuite je suis t’allé guetter Hortense par le chemin des Récamier. Chaque soir, elle allait chercher son lait chez un fermier. Il faisait noye. Quand elle est radinée, je lui ai sauté sur le poil. J’avais repéré le trou à purin d’une métairie, à deux pas. J’ai traîné la vioque jusque‑là.

Je fais partie du Cucul‑Clan, Hortense, j’y ai mugi en travestissant ma voix. Section des lettres homonymes! La prochaine que t’écriras, tu seras arrosée d’essence et on foutra le feu à ta saloperie de carcasse! En attendant, voilà un avertissement.

Et zoum! Dans le bouillon!

Béru, qui s’endort, ajoute d’un ton pâteux:

– Jamais plus elle a récrit une bafouille, cette seringue!

Nous allons roupiller pour de bon, mais la porte s’ouvre. Laurentine est là, verdâtre, enflammée, terrible, dans une longue chemise de nuit en toile de lin.

– Misérable! hennit‑elle, misérable, ainsi c’était toi!

– Tiens! soupire Béru, Mam’zelle Peau‑d’hareng écoute aux lourdes! Y changeront jamais dans cette bon dieu de famille!

Mongénéral remet ça. Cette fois, y a pas gourance de sa part: il fait bel et bien jour.

On a installé le précieux volatile dans la cuisine de Laurentine. Aussi, il est à la fête, ce coq quatorze‑juilletard.

La bouille sinistrée, le naze rouge et vert, la vieille fille achève de préparer le café. Elle ne répond pas au salut du Gros. La haine qui divise les Bérurier et les Berlinguet vient de prendre un nouvel essor.

– Alors, Beau Cierge, on fait sa tête de lard? observe mon ami. T’as de la rancœur pour ce que je causais à propos de la blague que je fis à ta daronne?

– Une blague! Jeter maman dans une fosse à purin, il appelle ça une blague, me témoin‑prend‑elle.

– Baste! ricane Son Ampleur, c’est le seul bain qu’elle a jamais pris de sa vie! Tu trouves plus honorable d’envoyer des bafouilles de dénonciation à tout le village, comme un homme‑sandwich virgule ses prospectus?

Elle pince les lèvres. Mongénéral nous tonitrue un truc dans sa langue.

– Oh, dis, le chaperon rouge, moule‑nous avec ta conférence de presse! l’interpelle Béru. Tu devrais lui cloquer son taf de maïs, au riche héritier! Un poulet qu’est à la tête de cent briques, ça se choye, ma vieille!

Il se penche sur la caisse.

– Je me demande son âge, à ce bestiau! T’as vu ces fourchettes à escargots qu’il a aux pattes? Ça vit combien, un poulardin, dix, douze ans, pas plus?

– J’en ai vu de quinze ans, ne peut s’empêcher de lamenter Laurentine qui fait siennes pour un instant les préoccupations de son abominable cousin.

– Suppose qu’il ait que trois piges, ça nous promet des grosses impatiences, calcule Alexandre‑Benoît. D’ici que ça soye encore lui qu’hérite de nous, y a pas loin!

On se cogne un caoua bien réconfortant et nous affrontons à nouveau les froidures de Saint‑Locdu.

La Mélie, c’est une grande gaillarde voûtée par les gros turbins. Des bras de singe, des épaules de portefaix, et dans toute sa personne, quelque chose de malheureux et de résigné. D’ailleurs, les gens malheureux sont inévitablement résignés. Elle a de grands cheveux roux‑gris, filasse, qui n’ont pas été lavés depuis la fois où elle avait oublié son parapluie. Son sourire ressemble à un tiroir mal fermé et elle a les yeux gentils d’une bête de somme. En voyant entrer ce trio dans sa bicoque plus démantelée que celle de Prosper, elle semble intimidée, mais pas surprise.

Laurentine lui vote un hochement de tête et Béru déballe son pedigree, manière de remettre dans la mémoire de la bonne femme le résumé de ses chapitres précédents.

– Je voudrais vous causer de notre pauvre onc’, termine‑t‑il, en retrouvant d’instinct l’accent de son terroir.

Elle se croit obligée de chialer un petit coup, la Mélie, par politesse. Prosper, il devait la payer au tarif des indigents et, en plus, se faire mettre à jour le compresseur quand un retinton lui venait! Mais il faisait partie des habitudes de la pauvre femme, et une habitude foutue, chez ces gens‑là, ça les déséquilibre. Faut qu’ils se cramponnent aux coins de table pour pas chuter.

– Y a longtemps qu’il avait ce poulet, dites, Mélie? demande Laurentine, toute préoccupée du sujet.

– Cinq ou six ans, révèle la femme de ménage. Il l’aimait bien, son coq.

– Ça, on le sait! grogne Béru.

Il se tourne vers sa cousine.

– On va être bonnards pour poireauter une dizaine d’années, tu vas voir le coup.

Je les laisse supputer la longévité du gallinacé et j’entreprends la Mélie.

– Il était malade, ces derniers temps, l’oncle Prosper?

– A chaux et à sable! récite‑t‑elle pour avoir lu la formule dans un vieux numéro du Pèlerin.

– C’est vous qui l’avez trouvé mort?

Elle met sa main immense et rouge devant ses yeux pour chasser la vision, mais en conservant cependant les doigts écartés pour continuer à me voir.

– Parlez‑moi z’en pas, mon pauvre monsieur! C’était l’autre matin. Juste quand t’est‑ce que j’arrive. Au pied de son escalier…

Elle revoit – et raconte tant bien que mal – le corps de Prosper en bannière, le dargeot à l’air, tout blanc, tout maigrichon et ses poils aux guiboles, ses varices, ses bras z’en croix, son bonnet de nuit plein de sang, son bougeoir de cuivre écrasé, la bougie… Tout!

Il était clamsé depuis plusieurs heures déjà. Le raisin avait gelé. Quand on l’a soulevé du plancher, ça a fait un bruit terrible, comme lorsqu’on décolle du sparadrap. Une poignée de ses cheveux blancs est restée plantée dans le sol, pareille à quelque louche chiendent sorti du parquet.

Sombre détail: près du cadavre, Mongénéral cocoriquait à outrance. Il saluait le jour neuf, indifférent à la mort de l’homme qui lui léguait sa fortune! Un chant de nouveau riche!

J’interromps la Mélie. Elle propose du café. En cambrousse, c’est dans les usages, quelle que soit l’heure, le caoua. Heureusement qu’ils ont la nervouze en veilleuse, sinon, avec tout ce qu’ils éclusent comme jus, ils auraient tous la danse de Saint‑Guy, les terreux! Faut accepter sous peine de les vexer. On dit banco. La Mélie met l’eau[5].

Pendant que sa casserole, au derrière noirâtre, se fait chauffer le baigneur, je continue d’enquêter.

– Il recevait beaucoup de visites, l’oncle Prosper, madame Mélie?

Elle s’exorbite de bas en haut et de gauche à droite.

– Lui! Personne! Il vivait en hermine!

La confusion me fait évoquer la fille blonde de la nuit.

– Jamais personne n’est venu le voir? Réfléchissez bien.

Elle gamberge vilain. Ça la plisse, la crispe, la contracte, la fissure, la tire‑bouchonne, la gondole, la déforme, la transforme, la décompose. Elle ferme un œil, se mord le dedans des joues, se fait des nœuds aux doigts, se met les pieds en bottes de radis et les jambes en bottes de sept lieues. Elle larmoie, elle souffrette, elle craquelle, elle geint, elle grince, elle titube, elle pousse, elle se pâme, elle spasme, elle se pince, elle spécule, elle spéculum (e), elle dominus vobiscum (e), elle se force, elle se démantèle, elle s’ouvre, elle s’extrait, elle s’extrapole, elle s’apostolique, elle pond, elle répond:

– Oui, en effet…

Je bondis.

– Qui, quand?

– Le mois dernier, m’sieur le curé a passé pour le dernier des cultes!

– Et c’est tout? westinghousé‑je.

– C’est tout!

– Vous n’avez jamais vu une jeune femme blonde rôder autour de sa maison?

– Jamais!

– Vous n’avez jamais aperçu d’auto stationnée près de chez lui?

– A part celle du boulanger, jamais!

– Le jour de sa mort, la maison était en ordre?

La Mélie médite.

– Ben, à part son lit…

– Qu’avait‑il, son lit?

– Le matelas était déchiré… Et y avait plein de feuilles de maïs autour… Le médecin a dit qu’il avait dû prendre une crise de cœur et se débattre. Et puis…

Le docteur (vous me croirez si vous voulez, et si vous ne voulez pas, allez vite vous asseoir sur un paratonnerre) se nomme Purgon.

Faut le voir gravé sur une plaque de cuivre pour y croire.

C’est un vieux pochard pas rasé, bouffi, aux cils farineux, au regard gélatineux, au nez constellé de gros points noirs. Il est vêtu d’un pull marron, déchiré, et il porte un béret basque surmonté d’une petite queue poireuse.

Je lui dis qui je suis et pourquoi je viens. Il m’écoute, abattu dans son fauteuil comme un albatros sur le pont d’un cargo. J’ai idée que, malgré l’heure matinale, il est déjà naze. Ses lèvres violettes ressemblent à des hémorroïdes mal soignées. De grosses valoches à soufflets lui gonflent les pommettes.

Lorsque je me tais, il promène à plusieurs reprises sa langue dénaturée sur ses commissures pour s’huiler les articulations.

– Parce qu’en somme, vous croyez que sa mort est suspecte? résume‑t‑il.

Sa voix a les inflexions caressantes d’une chasse d’eau.

– En somme, oui! admets‑je.

– Pourquoi?

– Disons que j’ai mes raisons. Vous êtes certain qu’il est mort d’un arrêt du cœur?

– On meurt toujours par arrêt du cœur, ironise‑t‑il.

Mais il voit à ma frite pas contente que je n’apprécie guère les boutades de ce style et il reprend:

– Qu’est‑ce que vous voulez que je vous dise: il faisait moins dix… Il était violacé, raide… Le bougeoir… En chemise… Au pied de l’escalier… J’ai pensé qu’il s’était levé pour pisser… Une marche ratée… Estourbi… La congestion était inévitable!

J’aime assez son style, au toubib. Il est plus télégraphique qu’oral, mais il ne manque pas d’une certaine concision.

– La femme de ménage vient de m’apprendre que sa paillasse avait été défoncée.

– Crevée… Mais la toile était pourrie… Il a suffi qu’il tombe du lit… Se raccroche! Normal… Pourrie: une toile d’araignée.

– Autre chose, la Mélie m’a dit que Prosper Bérurier fermait toujours sa porte à clé… Or, ce matin‑là, quand elle est arrivée, la porte n’était fermée qu’au loquet…

Le docteur Purgon hausse les épaules. Je l’ennuie. Le cas Prosper l’ennuie! La vie l’ennuie. Il habite en dedans de lui, au rez‑de‑chaussée. Il ne lui reste plus que le vin rouge. Il a hâte que je me débine. Il louche vers la cheminée sur laquelle une bouteille de bordeaux à moitié pleine[6] lui fait de l’œil. Ils ont l’air de vachement bien s’entendre, la boutanche et lui. C’est la grosse connivence, l’indéfectible amitié.

– Il venait peut‑être de pisser… Sur le pas de sa porte… Le froid… Il a voulu retourner au chaud… Il sera tombé en montant et non en descendant. Je suppose… Tout ça gratuit! On l’a peut‑être tué, en effet! C’est pas mon boulot! Si vous avez des doutes, demandez une autopsie!

Je me lève.

– L’idée est bonne, docteur! A votre santé!

– J’oserais vous demander un service? roucoule Laurentine en me virgulant un œil de plâtre sur fond jaunasse.

– Faites, mademoiselle.

– Vous pouvez m’emmener avec vous à Paris?

Béru part d’un gros rire ventral.

– Tiens, v’là miss Bénissez‑moi qui se dessale! Fais gaffe, Laurentine! C’est plein de petits pernicieux à Paname, d’ici que tu retrouves ta vertu dans la boîte aux souvenirs, y a pas loin!

Elle est fulmigène, Mlle Berlinguet, et se plante devant son horrible cousin.

– Je vais à Paris, uniquement pour visiter l’immeuble légué par l’oncle. Nous en avons l’usufruit, tu parais l’oublier.

– Je l’oublie pas, assure le Gros.

– Et tu comptais sans doute t’occuper tout seul de cet immeuble, Alexandre‑Benoît?

– Puisque j’étais sur place! Mais si t’as envie de venir faire tes galipettes dans la capitale, gêne‑toi pas, il faut bien que vieillesse se passe!

Peut‑être que si elle se doutait de ce qui va arriver, elle renoncerait à Paris by night, Laurentine…

Du moins, je le pense…

 

 







Date: 2015-12-13; view: 435; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ



mydocx.ru - 2015-2024 year. (0.075 sec.) Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ - Ïîæàëîâàòüñÿ íà ïóáëèêàöèþ