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PARIS, MAI 2002 10 page
– Pourquoi n'a‑t‑on pas envoyé les familles du Vél d'Hiv à Drancy, en banlieue parisienne?» Franck Lévy eut un sourire triste. «Les Juifs sans enfant furent envoyés à Drancy après la rafle. Drancy est proche de Paris. Les autres camps à plus d'une heure de la capitale sont perdus au beau milieu de la campagne tranquille du Loiret. Ce fut là, en toute discrétion, que la police française sépara les enfants des parents. Cela n'aurait pas été si facile à Paris. Vous avez lu quelles méthodes brutales ils employaient, je suppose? – Il n'y a pas grand‑chose à lire.» Le triste sourire disparut. «Vous avez raison. Pas grand‑chose en effet. Mais nous savons comment tout s'est passé. Je vous prêterai avec plaisir quelques ouvrages, si vous voulez. Les enfants furent arrachés à leurs mères. Matraqués, battus, aspergés d'eau glacée.» Mes yeux parcoururent les clichés des petits visages encore une fois. Je pensais à Zoë, seule, arrachée à moi et à Bertrand. Seule et affamée. Sale. Cela me donna le frisson. «Les quatre mille enfants du Vél d'Hiv étaient un vrai casse‑tête pour les autorités françaises, dit Franck Lévy. Les nazis avaient exigé qu'on déporte les adultes immédiatement. Pas les enfants. L'impeccable organisation ferroviaire ne devait pas être perturbée. D'où la brutale séparation d'avec les mères au début du mois d'août. – Qu'est‑il arrivé aux enfants après? demandai‑je. – Les parents partirent directement des camps du Loiret pour Auschwitz tandis que les enfants furent abandonnés à eux‑mêmes dans des conditions sanitaires effroyables. Mi‑août, la décision de Berlin arriva. On devait aussi déporter les enfants. Cependant, pour éviter que cela se sache, les enfants furent déplacés à Drancy, puis en Pologne, mélangés à des adultes, ainsi l'opinion publique ne se douterait pas que ces enfants avaient été séparés de leurs parents et on penserait qu'on les envoyait à l'Est avec leur famille dans des camps de travail.» Franck Lévy fit une pause, regardant, comme je le faisais, les photographies punaisées au mur. «Quand ces enfants sont arrivés à Auschwitz, on n'opéra pas de «sélection». On ne les mit pas en rang avec les hommes et les femmes. On ne regarda pas qui était en bonne santé, qui était malade, qui pouvait travailler, qui ne le pouvait pas. On les envoya directement dans les chambres à gaz. – Grâce au gouvernement français, aux bus parisiens et à la SNCF», ajoutai‑je. Peut‑être était‑ce parce que j'étais enceinte, peut‑être était‑ce à cause des hormones ou parce que je n'avais pas dormi, mais je me sentis soudain totalement dévastée. Je ne pouvais détourner mon regard des photographies. J'étais comme pétrifiée. Franck Lévy le remarqua, mais ne dit rien. Puis il se leva et vint poser sa main sur mon épaule.
La fillette se jeta sur la nourriture placée devant elle, l'enfournant en faisant des bruits que sa mère aurait détestés. C'était le paradis. Cette soupe était la soupe la plus délicieuse, la plus savoureuse qu'elle avait jamais mangée. Et le pain! Il était si frais, si tendre. Le brie était riche et crémeux. Les pêches succulentes et douces comme du velours. Rachel mangeait plus lentement. La fillette remarqua qu'elle était pâle. Ses mains tremblaient, ses yeux étaient fiévreux. Le vieux couple s'affairait dans la cuisine, resservant de la soupe, remplissant les verres d'eau fraîche. La fillette les entendait poser des questions mais était incapable de leur répondre. Ce fut seulement quand Geneviève les emmena, elle et Rachel, prendre un bain à l'étage que sa langue se délia. Elle décrivit le grand endroit où on les avait tous emmenés et enfermés pendant des jours, sans eau ni nourriture, puis le trajet en train à travers la campagne, le camp et l'atroce séparation d'avec les parents et finalement la fuite. La vieille femme l'écouta en hochant la tête tandis qu'elle déshabillait tendrement Rachel. La fillette vit apparaître le corps décharné de son amie, dont la peau était couverte de boursouflures rouges. La vieille femme semblait consternée. «Que t'ont‑ils fait?» murmura‑t‑elle. Les yeux de Rachel cillèrent à peine. La vieille femme l'aida à entrer dans l'eau chaude et savonneuse. Elle la lava comme le faisait la mère de la fillette avec son petit frère. Puis elle porta Rachel dans une grande serviette jusqu'à un lit. «À toi, maintenant», dit Geneviève, en faisant couler un nouveau bain. «Quel est ton prénom, petite? Tu ne m'as pas encore dit. – Sirka, dit la fillette. – Quel joli prénom!» dit Geneviève en lui tendant une éponge propre et du savon. Elle remarqua que la petite était gênée d'être nue devant elle, alors elle se retourna pour la laisser se déshabiller et se plonger dans l'eau. La fillette se lava avec soin, prenant plaisir à barboter dans l'eau chaude, puis elle sortit avec agilité de la baignoire et s'enroula dans une serviette qui sentait bon la lavande. Geneviève était occupée à laver les vêtements crasseux des petites dans le grand lavabo émaillé. La fillette resta à la regarder un moment, puis elle posa une main timide sur le bras potelé de la vieille dame. «Madame, pourriez‑vous m'aider à aller à Paris?» Geneviève, surprise, se retourna vers elle. «Tu veux vraiment rentrer à Paris, petite?» La fillette se mit à trembler de la tête aux pieds. La vieille femme comprit que c'était important. Elle abandonna sa lessive et s'essuya les mains. «Qu'y a‑t‑il, Sirka?» Les lèvres de la fillette tremblaient. «C'est mon petit frère, Michel. Il est encore dans l'appartement. À Paris. Il est enfermé dans un placard, dans notre cachette. Il est là depuis que la police est venue nous chercher. Je pensais l'avoir mis à l'abri. J'ai promis de revenir pour le tirer de là.» Geneviève l'écoutait avec attention, essayant de la calmer en posant les mains sur ses petites épaules maigrichonnes. «Sirka, depuis combien de temps ton frère est‑il dans ce placard? – Je ne sais pas, dit la fillette d'un air abattu. Je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas!» D'un coup, les dernières onces d'espoir qu'elle portait encore s'évanouirent. Elle avait lu dans les yeux de la vieille dame ce qu'elle redoutait le plus. Michel était mort. Mort dans le placard. Elle le savait. Il était trop tard. Elle avait attendu trop longtemps. Il n'avait pas pu survivre. Il n'avait pas tenu le coup. Il était mort, là, tout seul, dans le noir, sans eau, sans nourriture, avec son ours et son livre d'histoires. Il avait fait confiance à sa sœur. Il avait attendu. Il avait dû l'appeler, crier son nom encore et encore. Sirka, Sirka, où es‑tu? Où es‑tu? Il était mort, Michel était mort. Il n'avait que quatre ans et il était mort, à cause d'elle. Si elle ne l'avait pas enfermé à clef ce jour‑là, il serait toujours vivant, il serait là maintenant, elle pourrait lui donner son bain, là, maintenant. Elle aurait dû veiller sur lui, elle aurait dû l'amener ici où il aurait été à l'abri. C'était sa faute. Tout était sa faute. La fillette s'écroula sur le sol, comme un petit être brisé. Des vagues de désespoir la submergeaient. Jamais dans sa courte vie, elle n'avait ressenti une souffrance si aiguë. Elle sentit que Geneviève la prenait dans ses bras, caressait son crâne rasé, lui murmurait des mots de réconfort. Elle se laissa aller, se rendit à la chaleur de ces vieux bras qui l'entouraient. Puis elle eut la douce sensation d'un matelas mœlleux et de draps propres contre sa peau. Elle tomba dans un sommeil trouble et étrange. Elle se réveilla de bonne heure. Elle était perdue. Elle ne comprenait pas où elle était. C'était étrange de dormir dans un vrai lit après toutes ces nuits sur la paille du baraquement. Elle alla à la fenêtre. Les volets étaient entrouverts, laissant apparaître un grand jardin dont les parfums montaient jusqu'à elle. Des poules couraient sur la pelouse, poursuivies par un chien facétieux. Sur un banc en fer forgé, un gros chat roux se léchait lentement les pattes. La fillette entendit des oiseaux et le chant d'un coq. Non loin, une vache meuglait. C'était un beau matin frais et ensoleillé. La fillette se dit qu'elle n'avait jamais vu un endroit plus joli et plus tranquille. La guerre, la haine, l'horreur, semblaient si loin. Le jardin en fleurs, les arbres, les animaux, aucune de ces choses ne portait la marque du mal dont elle avait été témoin depuis des semaines. Elle examina la chemise de nuit blanche qu'elle portait, un peu trop longue pour elle. À qui appartenait‑elle? Peut‑être ce couple avait‑il des enfants ou des petits‑enfants. La chambre où elle avait dormi était spacieuse, simple mais confortable. Près de la porte se trouvait une étagère avec des livres. Elle alla y jeter un œil. Ses livres préférés étaient là, Jules Verne, la comtesse de Ségur. Sur les pages de garde, une main juvénile et scolaire avait écrit: Nicolas Dufaure. Elle se demanda de qui il s'agissait. Elle descendit l'escalier. Les marches de bois craquaient, des murmures venaient de la cuisine. La maison était calme et accueillante, sans prétention. Ses pieds effleuraient maintenant les tommettes rouges. Elle jeta un œil dans le salon baigné de soleil, qui sentait bon la cire d'abeilles et la lavande. Une immense horloge comtoise sonnait les heures avec solennité. Elle marcha sur la pointe des pieds jusqu'à la cuisine et regarda par la porte entrouverte. Le vieux couple était assis autour d'une longue table et buvait dans des bols bleus. Ils avaient l'air soucieux. «Rachel m'inquiète, disait Geneviève. Elle a une forte fièvre qui refuse de tomber. Et sa peau. Ce n'est pas beau. Vraiment pas.» Elle soupira profondément. «L'état de ces enfants, Jules! L'une d'elles avait des poux jusque dans les cils.» La fillette hésitait à entrer dans la cuisine. «Je me demandais si…», commença‑t‑elle. Le vieux couple se tourna vers elle et lui sourit. «Eh bien, dit le vieil homme, voici une toute nouvelle petite fille ce matin! Avec même les joues un peu roses. – Il y avait quelque chose dans mes poches…» dit la fillette. Geneviève se leva et montra une étagère. «J'ai trouvé une clef et un peu d'argent. Tout est là.» La fillette alla prendre son bien et le tint précieusement dans ses mains. «C'est la clef du placard, dit‑elle à voix basse. Le placard où est enfermé Michel. Notre cachette.» Jules et Geneviève échangèrent un regard. «Je sais que vous pensez qu'il est mort, balbutia la fillette. Mais je veux tout de même rentrer à Paris. Je dois savoir. Peut‑être quelqu'un a‑t‑il pu l'aider, comme vous l'avez fait avec moi! Peut‑être qu'il m'attend. Je dois savoir, je dois être sûre! Je me servirai de l'argent que le policier m'a donné. – Mais comment vas‑tu aller jusqu'à Paris, petite? demanda Jules. – Je prendrai le train. Paris n'est pas si loin, n'est‑ce pas?» Ils se regardèrent encore une fois. «Sirka, nous vivons au sud d'Orléans. Vous avez beaucoup marché avec Rachel. Mais en vous éloignant de Paris.» La fillette se redressa. Elle retournerait à Paris, auprès de Michel, pour savoir ce qui s'était passé, coûte que coûte. «Je dois partir, dit‑elle fermement. Il y a sûrement des trains pour aller d'Orléans à Paris. Je partirai dès aujourd'hui.» Geneviève s'approcha et lui prit les mains. «Sirka, ici, tu es en sécurité. Tu peux rester avec nous pendant un temps. Nous sommes fermiers, nous avons du lait, de la viande, des œufs, pas besoin de tickets de rationnement ici. Tu peux te reposer, manger à ta faim et te refaire une santé. – Merci, dit la fillette, mais je me sens déjà mieux. Je dois rentrer à Paris. Pas la peine de m'accompagner. Je sais me débrouiller toute seule. Dites‑moi juste comment aller à la gare.» Avant que la vieille femme ne réponde, on entendit une longue plainte à l'étage. Rachel. Ils se précipitèrent dans sa chambre. Rachel se tordait de douleur.
Ses draps étaient maculés d'une substance noire et putride. «C'est bien ce que je redoutais, murmura Geneviève. La dysenterie. Elle a besoin d'un docteur, d'urgence.» Jules dévala l'escalier. «Je vais au village, voir si le Dr Thévenin est là», dit‑il en se précipitant dehors. Une heure plus tard, il était de retour, appuyant aussi fort qu'il pouvait sur les pédales de son vélo. La fillette l'observait par la fenêtre de la cuisine. «Notre vieux garçon de docteur n'est pas là, dit‑il à sa femme. La maison est vide. Personne n'a pu me renseigner. Alors, je suis allé jusqu'à Orléans. J'ai trouvé un jeune, j'ai insisté pour qu'il vienne, mais c'était un fieffé arrogant qui avait plus important à faire avant, soi‑disant.» Geneviève se mordit les lèvres. «J'espère qu'il va venir. Et vite!» Le médecin n'arriva qu'en fin d'après‑midi. La fillette n'avait plus osé parler de son départ à Paris. Elle avait compris que Rachel était très malade. Jules et Geneviève étaient trop inquiets au sujet de Rachel pour faire attention à elle. Quand ils entendirent le docteur arriver, annoncé par les aboiements du chien, Geneviève demanda à la fillette de se cacher dans la cave. Ils ne connaissaient pas ce docteur, lui expliqua‑t‑elle rapidement. Ce n'était pas le médecin habituel. Ils devaient rester sur leurs gardes. La fillette se glissa par la trappe et s'assit dans le noir, écoutant les conversations. Elle ne pouvait pas voir le visage du docteur, mais elle n'aimait pas sa voix, stridente et nasale. Il demandait sans cesse d'où venait Rachel et où ils l'avaient trouvée. Il était insistant et buté. La voix de Jules restait calme. Rachel était la fille d'un voisin qui était parti à Paris pendant quelques jours. Mais la fillette savait, au seul ton de sa voix, que le docteur n'en croyait pas un mot. Il rit méchamment et reprit son laïus sur l'ordre et la loi, sur le maréchal Pétain et la vision nouvelle de la France. Sur ce que la Kommandantur penserait de cette petite fille maigre et basanée. Finalement, elle entendit claquer la porte d'entrée. Puis, de nouveau, la voix de Jules. Il semblait atterré. «Geneviève, dit‑il. Qu'avons‑nous fait?»
«Il y a quelque chose que je voulais vous demander, monsieur Lévy. Quelque chose qui n'a rien à voir avec mon article.» Il me regarda et retourna s'asseoir à son bureau. «Je vous en prie. Dites.» Je me penchai vers lui. «Si je vous donne l'adresse exacte d'une famille arrêtée le 16 juillet 1942, pourrez‑vous m'aider à retrouver sa trace? – Une famille du Vél d'Hiv? – Oui, dis‑je. C'est important.» Il observait mon visage fatigué, mes yeux gonflés. J'avais la sensation qu'il lisait en moi et savait mon chagrin, ainsi que toutes les choses que j'avais découvertes sur l'appartement. Oui, j'étais sûre qu'il voyait tout ce que je portais en moi ce matin‑là, assise en face de lui. «Depuis quarante ans, Miss Jarmond, j'ai répertorié la vie de chaque personne juive déportée de ce pays entre 1941 et 1944. C'est un travail long et douloureux, mais c'est un travail nécessaire. Oui, je peux vous donner le nom de cette famille. Tout est dans cet ordinateur, juste là. Nous pouvons trouver ce nom en quelques secondes. Mais pouvez‑vous me dire pourquoi vous vous intéressez à cette famille précisément? Est‑ce juste une curiosité de journaliste ou y a‑t‑il autre chose?» Je me sentis rougir. «C'est personnel, dis‑je. Et pas très simple à expliquer. – Essayez tout de même», dit‑il. J'hésitai un instant, puis je lui racontai l'histoire de l'appartement de la rue de Saintonge, ce que Mamé m'avait dit, ce que mon beau‑père m'avait dit. Je finis par lui avouer, et sans aucune hésitation cette fois, que je pensais sans cesse à cette famille, que je voulais savoir qui ils étaient et ce qui leur était arrivé. Il m'écoutait, en hochant parfois la tête. Puis il me dit: «Vous savez, Miss Jarmond, faire revivre le passé n'est pas chose facile. On a parfois des surprises désagréables. La vérité est plus terrible que l'ignorance. – Je sais, dis‑je. Mais je veux savoir.» Il me fixa sans ciller. «Je vais vous donner ce nom. Mais pour vous seule. Pas pour votre magazine. J'ai votre parole? – Oui», répondis‑je, surprise par son ton solennel. Il se dirigea vers l'ordinateur. «Vous me redonnez l'adresse, s'il vous plaît?» Je m'exécutai. Ses doigts volaient sur le clavier. Puis l'ordinateur émit un petit bruit. Mon cœur s'arrêta. L'imprimante cracha une feuille de papier que Franck Lévy me tendit et où je lus:
26, rue de Saintonge 75003 Paris
STARZYNSKI Wladyslaw, né à Varsovie en 1910. Arrêté le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Véld'Hiv. Beaune‑la‑Rolande. Convoi n° 15, 5 août 1942. Rywka, née à Okuniew en 1912. Arrêtée le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Vél d'Hiv. Beaune‑la‑Rolande. Convoi n° 15, 5 août 1942. Sarah, née à Paris dans le 12e arrondissement en 1932. Arrêtée le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Vél d'Hiv. Beaune‑la‑Rolande.
L'imprimante sortit un autre document. «C'est une photographie», dit Franck Lévy. Il la regarda avant de me la donner. Il s'agissait d'une fillette d'une dizaine d'années. La légende disait: juin 1942, école de la rue des Blancs‑Manteaux. Juste à côté de la rue de Saintonge. La fillette avait des yeux clairs en amande. Bleus ou verts, c'était difficile à dire. Des cheveux blonds aux épaules, légèrement ondulés. Un beau sourire timide. Un visage en forme de cœur. Elle était assise à son pupitre d'écolière, un livre ouvert devant elle. Sur sa poitrine, l'étoile jaune. Sarah Starzynski. Un an plus jeune que Zoë. Je relus la fiche. Je n'avais pas besoin de demander à Franck Lévy où le convoi n° 15 avait fini. Je savais que c'était à Auschwitz. «C'est quoi, ce garage de la rue de Bretagne? demandai‑je. – C'est là que la plupart des Juifs du 3e arrondissement furent regroupés avant d'être emmenés rue Nélaton, au vélodrome.» Quelque chose m'intriguait. Pour Sarah, la fiche ne mentionnait pas de numéro de convoi. Je m'en ouvris à Franck Lévy. «Cela veut dire qu'elle n'est montée dans aucun train pour la Pologne. Voilà tout ce que je peux en dire. – Aurait‑elle pu s'échapper? dis‑je. – C'est difficile à dire. Quelques enfants, en effet, se sont échappés de Beaune‑la‑Rolande et ont été recueillis par des fermiers des alentours. D'autres, beaucoup plus jeunes que Sarah, ont été déportés sans qu'on puisse vraiment enregistrer leurs identités. Dans ce cas, on trouve la chose suivante: «Garçon, Pithiviers.» Hélas, je ne peux pas vous dire ce qui est arrivé à Sarah Starzynski, Miss Jarmond. La seule certitude, c'est qu'elle n'est pas arrivée à Drancy avec les autres enfants de Beaune‑la‑Rolande et de Pithiviers. Elle n'apparaît pas dans les registres.» Je regardai de nouveau le beau visage innocent. «Qu'a‑t‑il bien pu lui arriver? murmurai‑je. – La dernière trace que nous ayons d'elle, c'est à Beaune. Peut‑être s'est‑elle sauvée, peut‑être a‑t‑elle été recueillie par une famille du coin et est‑elle restée cachée jusqu'à la fin de la guerre sous un nom d'emprunt. – Cela était‑il fréquent? – Oui. Un grand nombre d'enfants juifs ont survécu de cette façon, grâce à l'aide et à la générosité de familles françaises ou d'institutions religieuses.» J'insistai. «Pensez‑vous que Sarah Starzynski a été sauvée? Pensez‑vous qu'elle a survécu?» Il baissa le regard sur la photographie de cette charmante enfant au sourire timide. «Je l'espère. À présent, vous avez l'information que vous désiriez. Vous savez qui vivait dans votre appartement. – Oui, dis‑je. Merci, merci beaucoup. Mais je me demande toujours comment la famille de mon mari a pu vivre à cet endroit en sachant que les Starzynski avaient été arrêtés. Cela m'est totalement incompréhensible. – Ne les jugez pas trop vite, me mit en garde Franck Lévy. Bien sûr, il y avait beaucoup d'indifférence chez les Parisiens, mais n'oubliez pas que Paris était occupé. Les gens avaient peur pour leur vie. C'était une époque très particulière.» En quittant son bureau, je me sentis soudain très fragile. J'étais au bord des larmes. Cette journée avait été épuisante. J'étais littéralement vidée. Comme si le monde se resserrait autour de moi, faisant pression de tous côtés. Bertrand. Le bébé. La décision impossible que je devais prendre. La discussion que je serais obligée d'avoir ce soir avec mon époux. Et aussi, le mystère de l'appartement de la rue de Saintonge. L'emménagement de la famille Tézac, juste après l'arrestation des Starzynski. Mamé et Édouard qui ne voulaient pas en parler. Pourquoi? Que s'était‑il passé? Pourquoi refusaient‑ils de me le dire? En marchant en direction de la rue Marbeuf, je me sentis submergée par quelque chose d'énorme et d'incontrôlable.
Le soir, je retrouvai Guillaume au Select. Nous nous assîmes à l'intérieur, près du bar, loin de la terrasse bruyante. Il avait apporté des livres. J'étais ravie. C'était ceux que je cherchais sans pouvoir mettre la main dessus. Notamment un, sur les camps du Loiret. Je le remerciai chaleureusement. Je n'avais pas prévu de partager avec lui mes découvertes de l'après‑midi, mais tout sortit malgré moi. Guillaume m'écouta avec attention. Quand j'eus terminé, il me dit que sa grand‑mère lui avait parlé de ces appartements réquisitionnés après la rafle. La police avait apposé des scellés sur certains, qui avaient été brisés après quelques mois ou quelques années, quand il semblait sûr que plus personne ne reviendrait. Selon sa grand‑mère, la police travaillait le plus souvent avec la complicité des concierges, qui trouvaient toujours de nouveaux locataires en un claquement de doigts. C'était probablement ce qui était arrivé à ma belle‑famille. «Pourquoi est‑ce si important pour vous, Julia? finit par me demander Guillaume. – Je veux savoir ce qui est arrivé à cette petite fille.» Il me scruta du regard. Ses yeux étaient profonds et graves. «Je comprends, mais faites attention quand vous interrogez la famille de votre mari. – Je suis sûre qu'ils me cachent quelque chose. Je veux savoir quoi. – Soyez prudente, Julia», répéta‑t‑il. Il me sourit, mais ses yeux restèrent sérieux. «On ne joue pas impunément avec la boîte de Pandore. Parfois, il vaut mieux qu'elle reste fermée. Parfois, il vaut mieux ne rien savoir.» Franck Lévy m'avait mise en garde de la même façon, ce matin même.
Jules et Geneviève s'étaient agités dans tous les sens dans la maison pendant une dizaine de minutes, comme des animaux affolés, remuant les bras sans dire un mot. Ils semblaient désespérés. Ils essayèrent de déplacer Rachel pour l'amener au rez‑de‑chaussée, mais la petite fille était trop faible. Ils décidèrent finalement de la laisser dans son lit. Jules faisait de son mieux pour rassurer Geneviève, sans grand succès. Elle s'écroulait régulièrement sur le fauteuil ou le canapé le plus proche et fondait en larmes. La fillette les suivait comme un petit chien inquiet. Ils ne répondaient à aucune de ses questions. Elle remarqua que Jules n'arrêtait pas de regarder en direction de l'entrée, jetant un coup d'œil vers la barrière, par la fenêtre. La fillette sentit la peur envahir son cœur. À la tombée de la nuit, Jules et Geneviève s'assirent face à face près de la cheminée. Ils avaient retrouvé leur calme. L'inquiétude s'était pondérée. Cependant, la fillette voyait bien que les mains de Geneviève tremblaient. Tous les deux étaient pâles et n'arrivaient pas à détacher leurs yeux de la grande horloge. Date: 2015-12-13; view: 421; Нарушение авторских прав |