Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

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Béru renoue avec son pays natal





 

Y a quand même quèque chose qui tourne pas rond, les gars, quand on y pense… Je mate le croque‑mort affalé dans le corbillard hippomobile. Un bout d’os endommagé et le voilà à l’horizontale, dans la position de ses clients les plus froids. Le gros bourrin noir qui le hale en pète d’écœurement. Il a le fion énorme, le bourrin. Jument, je veux bien, mais avec des miches monstrueusement humaines. La grosse nana! Le chemin mal déblayé ressemble à du Vlaminck. Ses ornières noires sinuent à travers la neige souillée par les bipèdes. C’est si beau la neige, si pur! Et ça devient si vite de la merde au contact des hommes. Vous pigez, vous, pourquoi nous autres on dévaste toujours tout, d’un bout du monde à l’autre? Pourquoi on ternit, pourquoi on détériore, du seul fait que nous existons? C’est vachement poisseux, la vie, non? Ça colle, ça macule, ça ébrèche, ça flétrit, ça déjectionne! On résiduse trop! Voilà le drame!

Le croque‑macchab, tout à l’heure, il marchait devant le convoi, avec ses gants noirs, son bada de notaire à bord roulé et sa bouille professionnellement en berne…

Maintenant, il grimace de douleur. Il reste plus que l’animal endolori! Il a abdiqué ses fonctions, sa dignité. Juste à cause de sa cheville qui lui fait mal! Et dire qu’il y a des mecs qui se prennent pour eux‑mêmes! Y en a qui exigent qu’on les vouvoie pendant qu’ils font l’amour! Un morceau d’os cassé, je vous dis! Ou deux degrés de plus dans le baigneur! Et y a plus d’homme! Fini, râpé, aboli! Reste que la carcasse.

Mais tout à l’heure, quand il sera rafistolé, le pompiste funèbre, il retrouvera son standing. Il reprendra goût aux civilités! Il réintégrera sa situation!

– A quoi t’est‑ce que tu penses? s’informe Béru.

Il a le même pas que le canasson, le Mastar. Comme s’il aurait quatre pattes au lieu de deux; et ses tatanes font le même bruit de sabots sur le sol gelé. Sa stalactite nasale s’est encore allongée et lui arrive maintenant au niveau du menton. Il cause derrière, sans presque bouger ses lèvres violies par le froid.

– Je regardais le zig des Pompes, Gros.

Sa Majesté octroie un coup d’œil à l’intéressé, ne le trouve pas intéressant et s’étonne:

– Qu’est‑ce qu’il a?

– Une cheville qui joue relâche, simplement. Et le voilà inutilisable… Pourquoi l’homme peut‑il tant de choses et est‑il si faible?

– Pour que ça s’équilibre, assure le Sage. S’il était pas fragile, l’homme, ça deviendrait vite le Bon Dieu!

Il me coule un regard aux paupières givrées et grommelle:

– T’as de la chance de pouvoir philosopher; moi, avec un froid pareil, j’ai la gamberge qui se coince; tout ce dont à propos de quoi je suis capable de penser, c’est à un saladier de vin chaud bourré de sucre et de cannelle…

On marche. Pire: on grimpe! Le chemin s’en va, cahin‑caha entre les haies qui laissent voir leurs nids, entre les arbres qui laissent voir leur gui. La campagne locducienne mamelonne à perte de vue. Ça me rappelle une enluminure des Très Riches Heures du duc de Berry. Il y a çà et là des accrocs dans la neige: des meules de paille, des maisons, des boqueteaux… Un grand silence éteint la nature. Le pas du cheval, le grincement du corbillard ressemblent à des bruits venus d’ailleurs…

– Ils aiment pas le voisinage des morts dans ton patelin, soupiré‑je, pour foutre le cimetière aux confins de la commune!

– Chacun chez soi! grogne l’Enflure.

Ses yeux panoramiquent sur le paysage.

– Dire que j’ai été mouflet ici, murmure‑t‑il, avec comme des chrysanthèmes dans la voix. Je m’en rappelle comme si ça serait été d’hier!

– C’était hier! assuré‑je.

– Oui, nostalgise l’Engelure. Je connaissais le moindre caillou… Tiens, tu vois ce saule?

Nous stoppons devant un vieux saule au ventre ouvert comme un haricot écossé.

– Viens voir! ordonne mon ami.

Dans le tronc creux, il y a comme des échelons.

– C’est moi que je les ai fabriqués, me dit Béru. Je grimpais dans les branchages. J’avais fait une cabane où que j’allais avec une petite écolière…

Ses grosses paluches aussi caleuses que l’écorce du saule se promènent sur l’arbre. Il le caresse comme on caresse une bête retrouvée… C’est une émanation de la terre, Bérurier. Jailli des profondeurs, il est. Avec pour toujours des racines aux pieds et des feuilles au bout des doigts.

– La gosse que je te cause s’appelait Marchandise de son nom de famille. Je me rappelle plus le préblaze. Ses vieux, c’étaient des pouilladins rappliqués au pays de fraîche date. Le père rétamait les casseroles entre deux bitures. C’était lui surtout qu’il rétamait! Ce que je me souviens, c’est à quel point qu’ils étaient cradingues, tous, dans cette family. Les dabes, les mômes… Au début, on a cru qu’ils étaient gitans, mais ils étaient seulement craspects. Personne leur causait! Les étrangers, on n’aimait pas à c’t’ époque. Ni la guerre ni la téloche n’avaient encore mis du frottement entre les peuples. Ils vivaient dans une cabane, à l’autre bout de Saint‑Locdu. Un vrai palace de zonier si t’aurais vu! A l’école, les gamins, on les laissait en quarantaine. En sortant, on les traitait de bicots et on leur filait des cailloux sur le portrait. Moi comme les autres. C’était pas méchanceté de notre part. Ce que ça correspondait, je saurais pas te le dire… On s’excitait. On se voulait entre nous, à Saint‑Locdu, comme si ç’aurait été ça notre force!

Un jour, je revois la scène… Comme on grimpait un sentier qui raccourcissait pour aller chez moi, nous voilà tous aux trousses de la môme Marchandise. On y jetait des boules piquantes dans les tifs. Elle disait rien. Les mecs brimés, si tu remarqueras, ils savent se taire! Voilà que moi, je vois une belle bouse toute fraîche pondue. Je la récolte avec un couvercle de boîte à sucre. Je m’approche de la gosse par‑derrière, et v’lan! Je l’emplâtre! Ç’a été le méchant éclat de rire! La petite s’est retournée. Quel âge qu’elle pouvait avoir, en ce temps‑là? Dix piges, peut‑être. T’as jamais vu une fille avec de la chose sur la figure, San‑A.? Y a rien de plus triste au monde! Elle en avait plein les joues, plein les cils; au front aussi… Et puis sur la bouche. Elle s’est torchée avec son coude… Je pourrais jamais te dire pourquoi le cœur s’est mis à me cogner. Les larmes me sont venues aux yeux et y a fallu que je chique à la crise hilarante pour les planquer.

Il a des larmes aux yeux, rétrospectivement, Béru.

Il regarde s’éloigner le corbillard au tournant du chemin… La grosse tache noire ne fait pas funèbre sur la neige…

– Et alors, Gros, insisté‑je en regardant le saule creux.

Il hausse ses vastes épaules.

– Le lendemain, je suis parti de bonne heure pour aller l’attendre aux zabords de sa cage à poux. «Je te demande pardon pour hier, Marchandise, je lui ai fait.»

Elle a pas répondu.

– Tu veux pas aller, ce soir à la sortie, jusqu’au vieux saule qui se trouve sur le chemin des Mulatiers?

Toujours pas de réponse. J’ai pas insisté. Mais le soir, quand j’ai rappliqué ici après l’école, elle y était déjà. Au creux de l’arbre, comme une estatue dans sa niche. Cradingue, mais jolie quand même. On est montés dans ma cabane où que je m’ai mis à l’embrasser comme un fou. Elle puait comme des gogues de caserne, Marchandise. Ça m’offusquait pas. Je m’en ressentais pour elle. Je me demande même si c’était pas c’t’ odeur qui me séduisait en elle, autant que ses yeux noirs et ses longs cheveux embrouillés.

Elle m’a raconté sa vie, comme quoi son père c’était pas son père et comment qu’il la calçait les nuits de saoulographie, devant toute la famille. Ils étaient pas sectaires, chez les Marchandise! Le dabe s’embourbait tantôt la mère, tantôt la fille! Pas de jalouses! Moi, à l’époque, ça m’intéressait d’autant plus que j’avais encore jamais relui.

J’y demandais des détails, à la pauvrette; le comment qu’il s’y prenait, le rétameur, pour la pratiquer; et ce qu’elle ressentait pendant qu’il lui démantelait le trésor! Docile, elle me racontait tout. Y avait pas de vice. On discutait dans le résigné. On se disait, elle et moi, que c’était commak, l’existence. Chez nous, on tenait le taureau et à force de le voir escalader ces dames pour leur faire leur joie de vivre, la chose me paraissait naturelle!

Bérurier flatte une dernière fois la croupe en peau d’éléphant de son saule‑garçonnière.

– Et dans le fond, dit‑il en reprenant sa marche, n’est‑ce pas que c’est naturel, San‑A.? Un mâle, une femelle, que ça soye vieux, que ça soye jeune, c’est fait pour, non? On l’a entouré de trop de chichis, l’amour! On simagrée à outrance. C’est pas dans des draps brodés qu’on gesticule le mieux!

Nous pressons le pas, mais le corbillard est déjà loin. Nos souliers miaulent dans la neige durcie. Je le sens ruisselant de souvenirs, mon Béru. Il a le passé qui dégouline à travers sa cambrousse peinte en blanc.

On aborde les premières maisons. Des chiens qui font semblant d’être méchants tirent sur leurs chaînes en nous aboyant les nouvelles de Saint‑Locdu.

Sa Bérurerie stoppe devant une fontaine gelée. La glace est verte à cause de la mousse tapissant le fond du bassin.

– C’est là que je m’arrêtais, en revenant d’en‑champ pour faire picoler le bétail! dit‑il. Y a des moments, San‑A., où que je me demande si j’aurais pas dû rester ici, au dargif des vaches, au lieu de devenir vache moi‑même. Maintenant, je reconnais presque plus personne: les vieux sont trop vieux et les jeunes trop jeunes. Pendant des années, quand je radinais, aux vacances, j’avais toujours l’impression d’être un enfant de Saint‑Locdu. Et puis, un jour, j’ai rencontré des jeunes gens inconnus… A la ressemblance, j’essayais de leur foutre un nom; seulement, en cambrousse, tu sais ce que c’est? Tout le monde bouillave avec tout le monde, et tout le monde ressemble à tout le monde. Aussi je m’ai gouré dans mes estimations. Alors, j’ai pigé que c’était râpé, que j’avais viré de bord, changé de planète pour ainsi dire!

On pénètre dans le cœur du village. Comme beaucoup de patelins, Saint‑Locdu‑le‑Vieux, c’est avant tout une rue. Celle‑ci grimpe jusqu’à la place de l’église, un bel édifice pur roman, entre parenthèses. Après l’église, la rue redevient chemin et mène au château dominant la contrée.

– On va s’arrêter chez Valentin pour écluser un saladier de vin chaud! ordonne Béru.

Valentin, c’est le principal bistrot du bled. Le super‑market en quelque sorte. Il fait boulangerie‑épicerie‑mercerie‑faïence‑charbon… La salle de café est basse. Un papier peint cloqué la tapisse, qui représente des scènes de chasse. Le motif se répète à vous flanquer la nausée: un épagneul à l’air glandouillard tient gauchement dans ses crocs un superbe faisan. Y a des réclames pour la Suze, dans les jaunes éteints, sur lesquelles on voit un monsieur au bras noueux arracher de la gentiane dans un paysage de montagne. Ça renifle la vinasse à bord. Et puis le vieux plancher humide, et aussi le papier moisi et le clébard crotté. Ça serait pas l’épagneul, des fois, qui chlinguerait de la sorte? Ou bien son faisan qui aurait les vers?

Le troquet est bondé. Ici, les enterrements sont des espèces de fêtes communales. Après les obsèques, les bonshommes se retrouvent au bistrot et partent en java jusqu’à plus d’heure! Ça tonitrue vilain dans la strasse quand on débarque. Des voix rocailleuses se chevauchent. C’est à qui fera donner ses cuivres pour grimper sur ceux du voisin. Mais notre arrivée rétablit le silence. Un silence trop brutal pour être naturel.

Bérurier, qui, un instant auparavant, a serré toutes ces pognes, est brusquement intimidé. Je l’ai jamais vu commak, le Gros. Une rosière qui débarquerait par erreur dans une pissotière à six places! Il pâlit, ne pouvant rougir puisqu’il est déjà violet, et porte un doigt gercé à son bada.

– Salut! qu’il fait en se frottant les cordes vocales au gras de lard, comme des dents de scie.

L’assistance murmure un salut. C’est maintenant les retrouvailles entre Béru et ses compatriotes. A la porte du cimetière, c’était une mesure pour rien: un numéro classique, exécuté par toute la troupe de Saint‑Locdu‑le‑Vieux. Bérurier représentait une famille en deuil. Cette fois, c’est sa personne qui est concernée.

Il regarde l’assemblée, prend ses repères en distribuant des œillades, puis gagne la table où le maire du pays rouquine de plus belle.

– On peut t’offrir un pot, Mathieu? s’inquiète le Mastar.

– Ben voyons, accepte l’interpellé.

Les bonshommes se tassent les miches sur le banc de bois, ciré par des générations de pantalons.

Ils sont presque tous vêtus de noir et portent des feutres ronds, cabossés, avec un bord renforcé. Le taulier vient serrer la louche à Béru. Valentin! Il est en boulanger: falzar à petits carreaux, gilet de flanelle béant sur une poitrine velue et enfarinée. C’est un gros au nombril borgne.

Un mou rusé dont les yeux font la navette.

Sa Majesté commande un saladier de vin chaud. Il a omis de me présenter. A Saint‑Locdu, les mondanités n’ont pas cours. Tout naturellement, la converse roule sur le défunt. De quoi, de qui pourrait‑on décemment parler en revenant d’un enterrement?

– C’est moi qui t’ai envoyé un télégramme, Alexandre‑Benoît, avertit le maire. Si y aurait eu que ta punaise de Laurentine pour t’informer, tu serais été prévenu au calendrier grec!

Béru remercie chaleureusement.

– J’ai eu pour trois francs vingt de télégramme, ajoute le premier magistrat, lequel a encore du jaune d’œuf entre les doigts.

Mon compagnon rembourse le maire.

– De quoi qu’il est décédé, tonton? s’inquiète‑t‑il.

Mathieu regarde le fond de son verre vide et se met à imprimer des ronds de vinasse sur la table. Il stylise un vélo, puis l’emblème du billard, ensuite une auto, et enfin l’écusson des Jeux olympiques.

– Je saurais pas te dire, Alexandre‑Benoît, tu devrais voir le docteur. C’est la Mélie qui l’a retrouvé mort, l’autre matin, en allant lui faire son ménage… D’après ce que m’a dit le médecin, il se serait levé la nuit. Il aurait raté une marche de son escalier et se serait estourbi en tombant. Ton oncle Prosper, près de ses sous comme tu le connaissais, il faisait pas de feu chez lui, la nuit. Il aurait pris une congestion et il en est mort. A son âge, ça pardonne pas, d’autant qu’il faisait moins dix, l’autre nuit. Quand là Mélie est arrivée, elle l’a trouvé, raide, dans sa cuisine.

Le maire se tait. La servante apporte le saladier de vin chaud. Une légère mousse violacée frise à la surface du généreux liquide. Des quartiers de citron nageotent dans le pinard chauffé. Béru officie, louche en main. Il emplit les verres avec la dextérité d’un cuistot de cantine distribuant le rata.

– En tout cas, murmure le maire, à travers la fumée de son godet, j’ai idée que toi et la Laurentine, vous allez pas vous ennuyer…

– A cause? demande le Gros.

– A cause d’à cause, rétorque Mathieu avec tact et précision.

Et d’ajouter, à titre de complément d’informations:

– Prosper, tu permets, depuis le temps qu’il les mettait à gauche, il doit vous laisser un bas de laine gros comme mes bottes!

Il faut reconnaître une chose: Béru, c’est pas un cupide. Ainsi, je vous parie un tour de chevaux de bois contre la tour de Pise qu’il n’avait pas encore songé à l’héritage. Mais cette perspective qui lui est brusquement offerte le charme. Il se dit qu’il n’est pas désagréable d’enfouiller un petit tas de blé, alors le chagrin lui vient de ce vieux tonton si misérablement disparu et qui a passé sa chétive existence à amasser des sous pour lui.

– Tu crois que je vais hériter? demande‑t‑il au maire.

– Vois le notaire! conseille le first magistrat de Saint‑Locdu; mais vu que la Laurentine et toi vous êtes ses seuls parents…

L’image de l’aigre, sèche et vénéneuse cousine, se dresse dans l’esprit de Béru, tel un épouvantail au cœur d’un gras labour. C’est le moche revers de la médaille dorée. Il a dans l’idée, Alexandre‑Benoît, que le partage ne se fera pas sans douleur.

On écluse le vin chaud. Pardon, chapeau! C’est des techniciens, chez Valentin! Il est sucré, poivré, cannellisé à point! Un nectar (de vigne).

– Qu’est‑ce que t’en penses? triomphe le Gros.

Je rends à son vaillant pays natal le vibrant hommage qui lui est dû. Béru profite de la chose pour annoncer au peuple ébloui que je suis le limier number one de France. Ça ne les épate guère. Ils ont beau être de la brousse, ils n’aiment pas le poulaga. Ce qu’ils ressentent pour les messieurs de notre profession ressemble à de la méfiance, à de la répulsion, à de la honte! C’est tout juste s’ils ne murmurent pas: «Y a pas de mal», histoire d’être courtois.

Le Mastar me beurre la tartine à tout‑va, comme quoi aucun mystère ne m’a jamais résisté. J’ai dénoué les affaires du siècle. Partout où je passe, les points d’interrogation tombent comme la luzerne sous la lame d’un faucheur.

On recommande un second saladier, puis trois, puis quatre. La fumée emplit la salle. Le brouhaha des conversations fait penser au Parc des Princes un jour de Tournoi des Cinq Nations. Complètement naze, le Gros chiale sur son tonton disparu.

– Je l’avais pas revu depuis mon mariage, révèle‑t‑il, mais je pensais souvent à lui. Un grippe‑oseille, d’accord! Un taciturne, re‑d’accord; mais c’était l’homme intègre. La grande tradition française! Des comme lui, le moule est cassé! Verdun! Médaille militaire! Croix de guerre avec plus de palmes qu’un élevage de canards! Et une voix comme l’Opéra paierait chérot pour en avoir! Il te vous interprétait «les Bœufsde Pierre Dupont, à la Chaliapine, le tonton Prosper! Le plus bel organe du département! A son bel âge, on se l’arrachait pour les banquets! Quand le dabe du notaire actuel est clamsé, c’est lui qui s’est farci la messe braillée bien qu’il fût anticlérical. Tout le monde pleurait!

Et sa réputation ne se limitait pas seulement à sa voix! Dans le pays, on le savait, qu’il était doué par la nature, Prosper! Les dames le mataient avec crainte et envie. Elles se demandaient toutes si elles étaient capables de lui héberger sa Gemini VII au tonton Bérurier. Ça se chuchotait, les échecs de certaines! Y avait eu des grincements de dents chez les juponnées du canton, des clameurs désespérées, sur l’air de «J’ai beau m’asseoir dans la vaseline».

Faut dire que c’est une particularité des Bérurier, ce surdéveloppement du fouinozoff à tête chercheuse.

Le Gravos en larmoie dans son verre.

Cette fois, c’est la fierté qui lui taquine les glandes lacrymales. Eux autres, les Béru, ils sont marqués par l’abondance du kangourou. Depuis seize générations, on n’a jamais vu un Béru avec un scoubidou de sous‑officier de réserve.

Toujours les plus belles panoplies de plumards! Une tradition! Même chez les Goix, qui passent pour être une belle dynastie de casse‑sommiers, on a le calbard moins triomphant.

Il en est là de son numéro, mon Inestimable, lorsqu’un grand zig à tronche plate s’avance en titubant jusqu’à notre table. Signe particulier, ce zouave a les pommettes en creux, le front proéminent et les narines en points‑virgules.

Il pose ses deux pattes velues de part et d’autre du saladier vide et se penche sur Béru. Lors, il joint ses lourds sourcils de griffon et prononce cette phrase d’une rare éloquence, et dont le sens caché n’échappera qu’à ceux qui voudront bien s’en donner la peine:

– Faudrait voir à voir qu’on voie!

Béru se tourne vers le maire.

– Qui c’est, ce gorille, Mathieu? demande‑t‑il. Je voudrais savoir ce dont à propos il rouscaille, vu que si ses motifs sont pas fondés, il va avoir droit à son infusion de phalanges!

– C’est le fils Goix, renseigne le maire.

– Pas possible! amabilise soudain Béru, un gars que j’ai connu haut comme trois pommes!

– Faudrait voir à répéter ce que vous venez de causer au sujet des Goix! bave Goix junior en dardant sur mon ami ses yeux en forme de vilains crachats.

Bérurier, le vaillant, Bérurier le juste, branle le chef d’un mouvement lent et conciliant.

– Panique‑toi pas, fiston. Ça marchait plutôt dans le flatteur. Je disais que vous aviez une bath réputation d’artilleurs en chambre, dans votre famille.

Vous avez dit autre chose, insiste le teigneux.

– Je me rappelle plus quoi t’est‑ce, sincérise mon ami.

– C’était à propos de la chose. Vous prétendiez comme quoi, chez les Bérurier, vous étiez plus avantageux que chez nous autres!

– Y a pas de mal à porter le dossard numéro 2, mon pote, s’impatiente Sa Majesté. Note que je cause d’une époque où t’étais pas né. Possible que depuis t’aies fait tomber la moyenne et que les Goix rétrogradassent. Si j’estime selon ta frite, c’est même presque probable!

L’autre cille un brin, le temps d’enregistrer.

– Vous faites le malin, riposte‑t‑il, mais si on tomberait le pantalon, j’en sais un qui n’aurait pas l’air fin!

C’est pas le méchant homme, Béru. Mais la patience n’a jamais été son violon d’Ingres. Surtout lorsque l’honneur des Bérurier est pris à partie[3].

– Ecoute, Goix fils, apostrophe le Doué. Je reviens pas à Saint‑Locdu pour me laisser mettre en doute.

Déballe un peu ta came, et je te dirai si t’as le ruban bleu!

– C’est trop facile! flétrit l’héritier des traditions goixiennes. Commencez donc par y faire voir, vous, gros gueulard!

– Jockey, abdique Béru en ôtant son pardingue, on va jouer cartes sur table, bonhomme[4].

Lors, un gentil vieillard s’approche. Il a l’œil bordé de rouge, mais qui reste sévère. Un béret plus ou moins basque; un gros cache‑nez tricoté, en laine grasse; un complet flétri dont les revers font la feuille de tulipe. C’est, m’apprend‑on, M. Martinet, l’ancien instituteur de Saint‑Locdu. Il a pris sa retraite ici après y avoir combattu l’inculture pendant une trentaine d’années. Mais sa voix a conservé les inflexions chantantes de son Var natal.

– Alexandre‑Benoît! morigène le retraité, tu ne vas pas te déculotter en public le jour de l’enterrement de ton oncle, tout de même!

Le Mastar, qui se déboutonnait déjà la bretelle, reste un moment indécis, soupesant le reproche. Mais ses yeux tombent sur Goix et il réagit.

– Excusez‑moi si je vous demande pardon, m’sieur Martinet, mais justement, c’est la mémoire de mon pauvre oncle que je défends!

L’ultime patte de ses bretelles déclare forfait. Un bouton de sa braguette roule sur le plancher.

– Prêt? demande le Gros!

Goix a déjà le grimpant en position de chute libre. Le vêtement ne tient plus que par les seules mains de son possesseur. Un geste à faire, et le largage s’opérera.

– Prêt! répond‑il.

Mais Bérurier a un sens instinctif de la mise en scène.

– Je demande à l’honorable société de bien vouloir fermer sa gueule et ouvrir ses lampions, déclare le Mondain. Auparavant, s’il y en avait des certains qui voudraient prendre des paris, je leur laisse le temps d’aligner leurs mises. C’est moins aléatoire que le tiercé et ça peut devenir d’un meilleur rapport.

Cette invite prouve bien qu’il n’est plus d’ici, Béru. C’est devenu un produit – ou un sous‑produit – de la grand‑ville. Un contaminé à part entière! Il se fait des berlues, le Chéri, s’il s’imagine que les Saint‑Locduciens vont risquer trois fèves sur ses bas morcifs!

Un silence hostile le lui fait comprendre. C’est le retour aux sources à vive allure!

– Allons‑y, bébi, dit‑il à son challenger.

Les deux compères dévoilent alors la statue équestre de leur amie Coquette. Je songe au malheur qu’il ferait, Béru, s’il se trouvait sur la scène de l’Olympia au lieu de se produire dans le café‑mercerie‑boulangerie de Saint‑Locdu!

On casserait les strapontins chez Coca‑Triste! l’orchestre jouerait La Marseillaise! Voyez‑vous, les gars, on ne devrait jamais sortir sans son Kodak! Un qui flasherait le Gros, en ce moment, il aurait la couverture de Paris‑Mate! Le cliché du siècle. Le gros, son bada sur la tronche, penché comme une gargouille qui regarde entrer les fidèles! Le futal tire‑bouchonné sur les nougats, avec le monte‑charge éminence baissé. Il essaie de s’apercevoir l’intime par‑dessus sa brioche protectrice. Il a la tripe qui amortit les chocs, mais qui surplombe le panorama. Il se la maintient à deux mains; il la hausse, la comprime, l’écrase, l’étale, la dissipe de son mieux. Il veut qu’on puisse juger en connaissance de cause! Parallèlement, et tout en conservant un œil satisfait rivé à sa balise, il louche sur l’entresol de Goix fils. Alors il s’épanouit, Béru. Il pouffe, il piaffe, il pontifie! Il se lâche la bedaine pour se claquer les cuisses.

– Tu confonds virilité et maladie vénitienne, mon pote! Ce que t’as, c’est pas masculin, c’est incurable. Une orchidée double, ça s’appelle! Tu devrais prendre une brouette pour te faciliter les déplacements!

– Quoi! quoi! bredouille Goix qui commence à se poser des questions sur son cas.

– Va voir le médecin, eh, pomme à l’huile! Il te le confirmera que tes piteur‑sistères sont gonflées au butane. L’homme de gros moignon, tu repasseras! Demande à l’honorable assistance, si tu crois que je te berlue! Un laxompem commak, tu devrais te faire confectionner une corbeille d’osier pour te l’emmener promener. T’as gambadé dans le contaminé, pour avoir les amygdales grosses comme des poids d’horloge! Ce qui importe, c’est la tringle à frissons, gamin! De ce côté‑là, je voudrais pas te torpiller le mental, mais tu donnes plutôt dans l’escargot de gargote! Ton Popaul, camarade, c’est une virgule sur une affiche! Si tu pavoises pour une bricole pareille, c’est que t’as la vanité qui se dérègle! Ton cabochon, j’oserais même pas le montrer à une sœur de charité si qu’on me mènerait à l’hosto, j’aurais trop peur de lui bousiller le sacerdoce! Ah mince alors! s’époumone le vainqueur, ce ouistiti vient vous chinoiser sur la vigueur des Bérurier, un jour d’enterrement! Et qu’est‑ce qu’il vous déballe triomphalement? Un porte‑clés réclame! Cache ton musée des horreurs, Goix fils! Et visionne un peu à l’étalage ce que c’est que de l’authentique! On m’appelle Jumbo dans l’intimité!

Là‑dessus, la porte du bistrot s’ouvre. La sèche cousine Laurentine se tient dans l’encadrement, au côté d’un solide gaillard à lunettes qui porte des pantalons de golf et qui a une pipe entre les dents.

En découvrant le spectacle, la cousine bat l’air de ses bras comme tout à l’heure au cimetière et s’évanouit sur le plancher. L’homme qui l’accompagne regarde Béru et demande:

– M. Bérurier, sans doute?

 

Date: 2015-12-13; view: 371; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



mydocx.ru - 2015-2024 year. (0.006 sec.) Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ - Ïîæàëîâàòüñÿ íà ïóáëèêàöèþ