Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

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L’EFFET DU PRINCE





 

– Et alors, dame Berthe, attaqué‑je, on joue les favorites de harem, maintenant?

Elle se masse le front, chiquant à l’égarement. Mais, comme c’est moi qui lui ai soufflé son rôle, je ne suis pas dupe.

– La dame aux camélias, ma bonne amie, ça sera une exclusivité pour votre bonhomme, si vous le voulez bien, stoppé‑je. Je préférerais que nous jouions cartes sur table car vous n’êtes pas plus droguée que l’agneau de lait en train de téter sa mère.

Elle laisse retomber son bras, renonçante.

– On prend tout par le début, Berthe. Vous étiez chez vous tandis que nous emmenions le coq à l’hôpital. Ensuite?

Ce qu’il y a de bien avec les frangines comme la mère Béru, c’est qu’elles n’ont aucune honte à s’avouer vaincues. Il s’agit seulement de leur parler net et de leur enrayer la glande à simagrer. La v’là donc qui devient urbaine et claire dans ses explications.

– Je commençais à préparer le repas lorsqu’on a sonné. Une très jolie fille blonde avec un accent étranger se tenait sur le palier…

Elle avale sa salive, tripote sa médaille (laquelle représente Sainte‑Pétahouche en train de pêcher la crevette rose dans la mer Noire) et poursuit, en croisant les jambes, histoire de soustraire sa brune, drue et bouclée intimité à mes yeux fureteurs.

– Vous êtes Mme Bérurier?que demande la personne que je vous cause. «Oui, mademoiselle», je réponds. «Je viens vous prévenir que votre mari vient d’avoir un accident, rien de très grave, mais si vous voudriez bien me suivre?elle continue. Mon sang ne fait qu’un tour. Je saute dans mon manteau et je la suis. On monte dans une grande auto américaine que conduisait une autre fille blonde. Ça démarre. Comme je chialais tout ce que je savais, la fille blonde me tend un flacon. «Buvez z’une gorgée de ce vulnérable, elle me conseille, ça vous remontera.Je l’obéis. Mais à peine que j’ai bu, voilà la tête qui me chavire et je m’écroule…

Elle est vachement narrative, B.B. Une digne dame de poulet.

Je lui opine sous le nez:

– Ensuite, chère amie?

– Je m’ai réveillée ici. On m’avait attachée dans ce fauteuil où vous êtes. Le prince et un grand type blond, plus ses larbins, m’entouraient. «Vous avez tort, prince, disait la fille blonde qui participait elle aussi à la réunion, on devrait la mettre au plus vite sous haute surveillance, car elle peut être amenée à jouer un rôle capital. «Ici elle ne craint rien», qu’il a rétorqué, le prince. «Je compte auparavant me donner un peu de bon temps avec cette personne dont les formes m’enchantent.»

Berthe rosit.

– J’étais son genre, quoi, fait‑elle. Comprenant que ma vie tenait qu’à un fil, je suis passée par tous ces caprices, nécessité fait loi.

C’est son plaidoyer. Comment lui donner tort? Pour reprendre ce vieux proverbe libanais dont le révérend père Dechose a fait sa devise: il vaut encore mieux une affolée vivante qu’une vierge morte.

– Certes, poursuit Berthy en baissant le ton, le prince avait des exigences, mais je dois reconnaître que c’était un merveilleux partenaire.

Elle soupire.

– Je ne veux pas avoir de secrets pour vous, cher San‑Antonio: il me manquera. Rarement j’ai trouvé chez un homme autant de fougue, autant de forces, autant de malice, autant de…

– Autant pour les crosses! l’interromps‑je. Ça vous fera un souvenir, Berthe, mais de grâce, enterrez‑le dans les plates‑bandes de votre jardin secret et n’en parlez plus, votre honorabilité en souffrirait.

Elle essaie une larmichette d’un revers de main et se masse les mamelons.

– Quel diable d’homme! conclut la femme Bérurier.

– Parlez‑moi d’Odile…

– La petite nouvelle?

– Oui.

– J’ai entendu un certain remue‑ménage au début de l’après‑midi. Des pleurs… Puis plus rien. Les autres filles se sont occupées d’elle. Ensuite elle était docile. Je pense qu’elle, on l’a droguée en effet. Mais après je vous prie de croire qu’elle se payait du bon temps.

Pourquoi l’envie me prend‑elle de gifler Berthe et comment m’empêché‑je de céder à cette envie? Mystères.

– Depuis que vous êtes là, avez‑vous surpris des conversations entre le prince et ses complices?

– Non… Après m’avoir amenée ici, la fille blonde lui a dit au revoir et elle est repartie.

– Pour où?

– Je ne sais pas, mais c’était pour longtemps, à la façon qu’ils se disaient des «bonne chance», des «j’ai été heureux de vous connaître», des «merci de ce que vous avez fait pour moi»…

– Qui remerciait qui? je demande, intéressé.

– Le prince, dit Berthe. Il en finissait pas de gratuler la fille.

Je gamberge un peu… Scène extraordinaire, mes amis. On est au Seigneurial Palace. On y bute des types. On s’y déguise en femmes. On interrompt des partousettes et on y découvre Odile et Berthe en pleine séance d’introspection rétrospective.

Le Mastar surgit dans l’encadrement.

– Ton prince de mes deux vient de prendre connaissance, annonce‑t‑il. Je préfère que ça soye toi qui le questionnes. Vu que si je m’en mêlerais il lui resterait plus un bout de crâne pour y poser sa couronne.

Là‑dessus, il se jette sur sa chère épouse et la pétrit amoureusement.

– Ma biquette jolie! il pleurniche. T’as enfin récupéré, dis, poupée rose? Tu te sens mieux?

– Oui, soupire Berthe, mais quel calvaire!

Béru lui mordille les cheveux.

– T’as dû en voir de dures, s’apitoie le bon époux. Mais je te ferai oublier, va! On partira en vacances à Courbevoie, dans l’hôtel de notre voyage de noces, ma colombe bleue. L’essentiel c’est la vie et la santé, Berthy. Rien d’autre ne compte. Et puis l’amour aussi, parbleu! L’amour, avec un H majuscule… De ce côté, avec moi t’es parée. Pas besoin que je te droguasse pour te pousser au vertigineux, hein, Berthounette?

Tout en flirtant, il lui masse la nudité. Pressentant des retrouvailles impubliables, je passe pudiquement dans la pièce à côté.

Il est exact que Kelbel ait repris connaissance, à défaut de figure humaine. Un drôle de tuméfié, croyez‑moi. Sa tronche ressemble à un topinambour grossi vingt fois. Il a un œil plus bas que l’autre, une joue pareille à un steak tartare et la lèvre qui emprunte une déviation. En somme, Béru a accompli ce que les révolutionnaires tempaliens rêvaient de faire subir au monarque déchu.

J’écarte les autres bergères qui lui bassinent la vitrine avec des serviettes mouillées.

– Caltez, volailles! leur dis‑je, mais ne quittez pas l’appartement sans un bon de sortie, sinon je vous ferai savourer les joies de mon cabriolet deux places à serrure antivol.

Nous voici seulâbres enfin, Kelbel et moi. Il conserve, nonobstant sa défiguration, un certain maintien. Le sang bleu, c’est le raisin des courageux, faut l’admettre.

– Je crois que votre réception intime a tourné court, prince!

Il se lèche un coin de lèvre particulièrement proéminent.

– Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais votre copain Frank Heinstein est un peu mort dans le dressing‑room. Et vos larbins‑gardes‑du‑corps sont dans un état alarmant: une vraie Saint‑Barthélemy, monseigneur. D’ailleurs, poursuis‑je, c’est fou ce qu’on peut dénombrer comme décès dans cette affaire. Laurenzi, Couchetapiane, Rita‑la‑pétasse… Et je suis sûr que j’en saute.

Ce préambule lui prouve que je suis au parfum de beaucoup de choses.

– Une majesté comme la vôtre impliquée dans une affaire de meurtres, voilà qui va effeuiller le Gotha! Et lorsque je prouverai – car je peux le prouver – que vous avez participé à des dîners chez des truands, vos derniers partisans courront se faire inscrire au parti communiste jtempalien. Quand on pense que votre effigie décorait les billets de cent godmichés et que vous y étiez représenté avec le grand cordon sanitaire! C’est vraiment la chute de la monarchie, Majesté.

Il essaie de blêmir sous ses ecchymoses mais y parvient imparfaitement. Comme on dit dans les romans à prix fixe: ses yeux lancent des éclairs. Fort heureusement, la moquette constitue un isolant et les éclairs en question ne me court‑circuitent pas.

– Après un cirque pareil, vous allez avoir droit à la une de tous les journaux mondiaux et en caractères plus gras que les pâtisseries au miel de votre pays!

Il a un imperceptible haussement d’épaules.

– Tout ceci pour en arriver à quoi? demande‑t‑il calmement.

– Je suis flic, éludé‑je provisoirement, commissaire San‑Antonio, pour vous desservir, Majesté. J’ai une enquête à mener à bien et il me semble qu’elle ne se porte pas trop mal…

Il attend encore, torchant le sang qui lui sourd des plaies.

Je dois poursuivre. Négocier habilement avec le prince pour le convaincre qu’il doit se mettre à table. Lorsque je saurai ce qu’il sait, j’aurai la clé de l’énigme. Seulement voilà, Kelbel, malgré ses mœurs dissolues, c’est pas une mauviette. Je perçois des soupirs et des onomatopées dans le salon voisin. J’ai idée que les Béru se mettent la tendresse à jour. Dans ce climat «stupéfiant», avec une Berthe en tenue d’extase et un Bérurier en rade d’affection, ça n’a rien de surprenant.

Il a besoin de constater qu’elle est bien vivante, sa grognasse; besoin aussi de lui démontrer que pour le radada, tout plébéien qu’il soit, il peut souffrir la comparaison avec l’amour monarchique. C’est une forme élémentaire de la lutte des classes; de la lutte des castes; de la lutte des cases; de la lutte des castrats. Que Cupidon soit avec eux!

– Chère Majesté, continué‑je, je ne puis vous promettre la discrétion en échange de vos confidences; néanmoins, si vous me fournissez assez d’éléments pour me permettre de terminer cette enquête, je ferai l’impossible…

Kelbel me virgule un regard dédaigneux de son œil gauche, le droit s’avérant pour l’instant hors d’usage.

– L’impossible? murmura‑t‑il.

– Afin d’éviter le scandale. Dites‑moi où je peux rencontrer Hildegarde et…

Je me tais brusquement. Tout se passe si vite, tout est si stupéfiant, si romanesque…

Le prince qui jouait machinalement avec sa bague ornée d’un diamant de dix‑huit carats (un diamant en or massif, en somme) vient d’en faire basculer le chaton. J’ai lu tellement de récits sur les bagouses à poison, en vigueur sous Henri II et Hitler Premier, que je réalise illico ses intentions. Je lui plonge dessus. Je le culbute! Je le renverse! Je l’étreins! Mais je me prends les nougats dans les plis de ma robe et ça freine ma liberté de mouvements. Quand on est commissaire de police, le port de la robe de soirée est plus délicat que le port d’armes. Je sens le prince devenir tout mollasson dans mes bras. Je le lâche et il choit sur le tapis persan. Mort, Kelbel! Kelbel mort! Quelle belle mort! Kelbel mord encore sa bague vénéneuse. Du cyanure premier choix! Il est raide comme la justice de Berne. L’œil révulsé, les narines convulsées. Je ne veux pas jouer les plaintifs, mes chéries, mais admettez que je ne mérite pas ça. Ça crève sous mes pas, ça roussit, ça se combustionne comme si je chaussais des lance‑flammes. A peine mettons‑nous la main sur l’un des pions de ce funèbre échiquier qu’aussitôt il devient poussière. Ainsi de Laurenzi, ainsi de Couchetapiane, de Rita, de Frank Heinstein, du Prince… On me les tue ou ils se tuent. La Mort marche devant moi, à reculons comme un cameraman devant des comédiens. Il suffit que je tende la main vers ces chandelles susceptibles de me donner un peu de lumière pour qu’elle souffle dessus, la Mort, et me les éteigne. Je vais dans une nuit opaque, les bras tendus sur du vide.

Et pendant ce temps, les Béru prennent leur fade de l’autre côté de la cloison. Des décontractés! Ils font comme chez eux, mieux que chez eux!

C’est beau la vie! C’est bon l’amour! La digue, la gigue, la ligue du culte! Un coma! Le sensoriel dit merde à l’esprit. Sauve qui peut; le spermatozoïde passe à l’attaque! Il quitte son réduit breton, ce petit maquisard intrépide.

Je me dirige vers la salle de bains et je trouve Odile assise sur le rebord de la baignoire, pleurant comme douze Madeleine. Elle paraît dégrisée. Je m’assois près d’elle, je passe mon bras sur son épaule. Horrible à dire, mais j’ai brusquement cessé de l’aimer. Je sais bien qu’elle ne se contrôlait pas, qu’elle était victime d’aphrodisiaques, n’importe: le vilain spectacle m’a libéré de cet amour qui me tourmentait. Un déclic s’est produit en moi. Je ne suis pas fier, mais je n’y peux rien. L’amour, c’est souvent ainsi. Passionnel longtemps, et puis une brutale déconnection se produit et c’est fini, le courant ne passe plus. Grâce au prince défunt, me voilà sauvé d’Odile. A nouveau, San‑A. est disponible, les filles. Vaillant petit scout d’alcôve: toujours prêt (en anglais: ready).

– Ne pleure pas, mon chou…

Elle lève sur moi ses yeux baignés de larmes (comme on dit dans les romans pour jeune fille masturbée).

– C’est affreux, Antoine, il me semble avoir fait un cauchemar…

– C’en était un, mon ange!

A poil, qu’il est, l’ange. Déchu sans le vouloir. Mais dégringolé en piqué de son piédestal.

– Raconte‑moi ce qui est arrivé, Odile…

Elle essuie ses yeux. Sur le coup elle ne s’aperçoit pas que je ne l’aime plus. Nos relations courent sur leur erre (d’en avoir deux). Ça se détecte pas dare‑dare, la désaffection, contrairement à l’amour. Le partenaire malheureux met un certain temps à s’en apercevoir. Un certain temps à y croire, surtout. Il est prêt à couper dans les bobards, à se laisser chambrer. La réalité précède l’affliction. Il suffit d’un mot gentil, d’un baiser furtif pour maintenir les relations au beau fixe.

– Eh bien, lorsque tu m’as envoyée chez ce Couchetapiane, je me suis trouvée sur son palier en même temps qu’un grand type blond… Sans un mot il a sorti un revolver, me l’a montré, puis l’a remis dans sa poche en me faisant signe de le suivre. Nous sommes retournés dans la rue. Une auto noire, une traction, attendait, pas très loin de l’entrée. J’ai voulu m’élancer vers le café où tu m’attendais, mais il me tenait par le bras. Il a grondé: «Non!sur un ton qui m’a fait frémir. J’ai pris place dans l’auto. Une magnifique blonde s’y trouvait. Ils ont parlé en allemand tous les deux, puis la fille m’a tendu une boîte de bonbons en disant: «Tenez, ça vous fera prendre patience!Je ne voulais pas accepter, mais à nouveau, l’homme blond a braqué son revolver sur moi. Ils semblaient tellement impitoyables, l’un et l’autre…

La suite, je la connais. Berthe m’a déjà affranchi… La pastille endormante… Comme le coup du vulnéraire…

– Tu t’es réveillée ici?

– Oui. Complètement nue. Le prince me regardait avec convoitise. J’ai crié. Alors ils m’ont fait prendre une drogue… Cela avait un goût amer, horrible… Ensuite il m’a semblé que je rêvais. Un rêve pornographique… Il y avait des filles nues, des hommes qui…

Elle se remet à pleurer. Je l’embrasse, apitoyé. Ce pauvre lapin, quand même… Elle faisait ses émaux, Odile. Elle m’aimait. Elle a une petite fille qui vit dans une pension chic… Et puis voilà… Faut s’étonner de plus rien, de nos jours, pas vrai, les gars? Tout peut arriver, et du reste tout arrive: le concevable comme l’inconcevable. On croit bêtement que l’inconcevable arrive aux autres, mais va te faire considérer! Un jour ça vous choit dessus: le billet gagnant, l’accident de bagnole, le cocufiage, la Légion d’honneur, la vérole, le grand amour… C’est pour tout le monde, l’exceptionnel. Comme le quotidien; il suffit d’attendre, d’y croire. Se soumettre aussi, lorsque ça se produit. Pas faire le mariole, pas jouer au martyr, simplement dire banco et subir gaillardement. Les chagrins, à la rigueur ça colle. L’homme le plus démuni est bourré d’aptitudes. Il sait l’empoigner par le bon bout. Mais c’est les grandes joies qui le démontent.

– Essaie de retrouver tes vêtements, chérie. J’ai des gens à questionner.

Le gens que je cause, ce sont les deux larbins bouclés près du macchabe dans le dressing‑room. Je les délivre. Ils ont été sérieusement contusionnés par le Mammouth. Une rencontre avec Béru, c’est en soi un accident grave, ça devrait être couvert par les assurances. Mais le Gros n’en tire pas gloire. Ça lui paraît naturel, ce don du Ciel. Il meurtrit ses vilains contemporains avec une aisance, une maestria confondantes. Le Paganini de la mailloche pour ainsi dire. Il n’est pas de ces mecs qui s’épatent eux‑mêmes, qui se jugent jaillis du fion de Jupiter. Tenez, il y a quelques mois, je matais sur la deuxième chaîne l’intervielle d’un écrivain barbezilien et j’en suis pas encore revenu de la suffisance du bonhomme! Pas croyable que ce gros vieux soit à ce point vanneur, redondant, épateur, paonesque! Fou de lui, extatique devant son œuvre. «Qu’est‑ce que je n’ai pas écrit?qu’il demandait, ce modeste! Comment peut‑on être si vieux et si orgueilleux, à moins bien sûr d’être con comme trente centimètres de boudin? Patriarche au mitan de sa tribu et de ses attributs; chiquant au vieux mage, au souverain poncif, il en étalait de toute sa graisse rancie sous le harnois, fustigeant les mecs de la téloche qui l’avaient mal lu, glorifiant son œuvre immortelle, «petafinant»[51] les petits et grands confrères et souhaitant ouvertement leur mort pour pouvoir mieux leur pisser dessus (quand les autres sont sous terre il est plus facile de les compisser que lorsqu’ils se tiennent à la verticale). Un monstre, je vous dis. Une tranche de vie, format pudding. Un délire ambulant. Ce zigoto‑là, il n’a pas besoin de la gloire, car il est la gloire, sa gloire! Je m’étonne qu’il se soit abaissé à s’accoupler, cet onaniste type.

Je voulais fermer le poste, on bien rejoindre Guy Lux sur la première, mais je pouvais pas, il me fascinait, le vieux tricoteur d’auréole. C’est presque beau un gars qui se statufie, qui se masque‑mortuaire, qui s’immortalise tout seul. Qui sécrète avec délectation le marbre devant recevoir son effigie, tels ces peintres qui fabriquaient leurs couleurs pour s’autoportraitiser. Je l’ai traité de vieux con pendant deux minutes. Dommage qu’il m’ait pas entendu, le Barbezilien barbeur! On doit pas insulter un vieillard, je sais bien, mais cet homme si gonflé de sa personne n’a pas d’âge. Il échappe au temps et à toutes les servitudes de la vie. Son vrai don, ça n’est pas d’écrire des choses plus on moins géniales, c’est de se croire à ce point un génie. Un mironton qui traverse l’existence en portant des lauriers en guise de bitos et des ailes en guise de pardingue, il n’a pas droit à la retraite des vieux, non plus qu’au respect dû aux vieux.

Le larbin rouquin est toujours out, par contre, le Levantin est accagnardé contre le mur. Il se dénombre les mandibules d’un index mousseux.

– Comment te sens‑tu, Yaudepipe? je lui demande de mon air le plus facétieux, car vous n’ignorez pas combien j’ai la plaisanterie fastoche.

J’ouvre le couvercle de la malle et fais basculer celle‑ci. Le cadavre de Frank Heinstein roule sur le plancher.

– Tu as vu ce qui est arrivé à ton petit camarade? Si tu ne réponds pas à mes questions, il t’arrivera tout pareil, mon pote!

Le Levantin est terrifié. Ses yeux se mettent à ressembler à deux huîtres posées dans deux soucoupes.

– Il y a longtemps que tu es au service du prince?

– Depuis toujours, il murmure en achevant de s’exorbiter.

S’il continue d’écarquiller ses lampions de la sorte, il va finir par se déchirer la figure.

– Donc tu l’as suivi en exil?

– Oui.

– Tu peux m’expliquer ce qu’il traficotait avec une belle Allemande prénommée Hildegarde?

Le Levantin secoue la tête, sans répondre.

– Tu l’aimes bien, ton prince, je crois piger, non?

– Je donnerais ma vie pour sauver la sienne!

– Alors je vais te faire faire des économies, fiston. Viens avec moi.

Je l’entraîne jusqu’à la chambre où gît Kelbel 69 deux fois. En apercevant le cadavre de son maître, le valet pousse des cris et verse des larmes en se lacérant la poitrine de ses ongles.

Je lui désigne la bague dont le chaton est ouvert.

– Il s’est empoisonné pour éviter le scandale, fais‑je. Si tu es coopératif, je te promets que sa mémoire sera préservée, sinon c’est le gros bigntz dans la presse et son suicide n’aura servi à rien.

Je le laisse lamenter encore. Dans son pays, ça se pratique couramment. Il y a les professionnels de la larme, des gars qui ont leur licence de pleureur et qui sont inscrits au registre du commerce. Certains, même, se constituent en S.A.R.L. (société à rendement lacrymal, ça veut dire) pour avoir droit de faire figurer les oignons sur leurs frais généraux.

Quand il a poussé trente‑six cris, cent vingt‑deux plaintes et mille quatre cent quarante soupirs, je le réagis[52].

– Bon, maintenant que tu t’es déchargé les glandes, gars, on va discuter. Reprenons ma question initiale. Qu’est‑ce que la dénommée Hildegarde avait à faire avec Kelbel?

– Le père de Mlle Hildegarde était un ami de Sa Majesté. A la chute du Troisième Reich il s’est réfugié au Jtempal où il est mort quelques années plus tard au cours d’une chasse à l’azalée carnivore[53].

– Et alors? demandé‑je après un bout d’instant de méditation.

– Quand Sa Majesté a été chassée du Jtempal par la révolution, elle a reçu ici la visite de Mlle Hildegarde qui tenait à lui exprimer sa gratitude pour ce qu’elle avait fait à son père.

– Quelle est le nom de famille d’Hildegarde?

– Heinstein!

Je bondis.

– Tu veux dire qu’elle est la femme du zig blond qu’on a refroidi?

– Non, sa sœur!

– Qu’est‑ce qu’ils maquillaient ensemble, les joyeux frangins?

Le Levantin a un geste indécis.

– Ils aidaient Sa Majesté.

– A quoi fiche?

– Je ne suis pas au courant.

– Prends garde! menacé‑je, c’est pas le moment de me bluffer!

– Je vous fais observer que j’étais seulement le maître d’hôtel de Sa Majesté, pas son confident, riposte le valet qui se tient à carreau, comme un valet sur quatre.

– Il y a longtemps que Frank s’était joint à Hildegarde?

– Il venait d’arriver d’Afrique du Nord. J’ai cru comprendre que Mlle Hildegarde avait besoin de lui pour des tâches importantes…

Je devine lesquelles. Liquidation! Il lui fallait de la main‑d’œuvre sérieuse à Hilde pour régler ses comptes. Un expert‑comptable du meurtre, en somme!

Ça m’a l’air d’une drôle de famille, les Heinstein, avec le papa chef nazi et les bons enfants trucideurs.

Je biche le valet par son revers et le décolle de terre.

– Comment t’appelles‑tu, fils d’hyène?

– Ramsès Dheû, bredouille‑t‑il.

– Pour un zig qui n’est, prétend‑il, que maître d’hôtel, Ramsès, tu ne répugnes pas aux basses œuvres, camarade. Tout à l’heure, tu nous as bel et bien enfermés, mon pote et moi, dans la chambre à gaz!

– Sur l’ordre de Sa Majesté. Sa Majesté m’a prévenu que vous étiez des hommes de main, à la solde du nouveau gouvernement jtempalien. Nous étions toujours sur le qui‑vive.

– C’est toi qui as averti Heinstein?

– Non: Sa Majesté.

– Et que devait‑on faire de nous?

– Je l’ignore.

Les ébats des Béru ont pris fin et l’on entend la voix claironnante du Gros entonner la Marche des Matelassiers. Ce qui, chez lui, est signe de liesse. Effectivement, la porte s’ouvre sur un Alexandre‑Benoît euphorique, réjoui, apaisé. Un Béru rassuré. Un Béru épongé. Un Béru sûr de son destin et qui, en retrouvant sa femme, a retrouvé sa pleine confiance en la vie. Il est en slip et, par un accroc dudit, on aperçoit sa brûlure cloqueuse, son tatouage ravagé dont les caractères se gondolent.

– ’scuse‑moi, pour l’entracte, murmure‑t‑il, j’avais deux mots à dire à Berthe.

– Entre deux mots, faut toujours choisir le moindre, réponds‑je.

Il fronce les sourcils en découvrant le prince clamsé.

– C’est toi qui lui as fait passer le goût du caviar, San‑A.?

– Penses‑tu. Monseigneur a eu un coup de cafard.

– Et sa couronne était plus là pour amortir le choc, gouaille l’Enflure.

Visiblement il ne me croit pas. Je renonce à le convaincre car le temps presse.

– Maintenant, dis‑je au larbin, tu vas m’allonger l’adresse de Fräulein Hildegarde, et que ça saute!

– Je ne la connais pas!

– Son téléphone alors!

– Je ne l’ai pas non plus!

– Et çui‑là, tu l’as, oui ou non? rugit le Gravos en filant un coup de pompe dans le postère de notre homme.

Le Levantin se masse le train d’afauteuillage[54].

– Regardez dans le carnet d’adresses de Sa Majesté, conseille‑t‑il piteusement.

Le cabinet de travail de sa défunte Majesté est de style Louis XVI, ce qui est tout indiqué pour un prince déchu. Par contre, son Hermès, lui, est d’époque contemporaine. Je le trouve d’autant plus aisément qu’il est posé sur le bureau, bien en évidence, comme s’il attendait que la main san‑antonienne vienne le cueillir tel un fruit mûr.

Avec vitesse, précipitation, frénésie et anxiété je l’ouvre à la lettre «H».

Je n’y trouve aucun nom, mais, par contre, deux initiales: H.H. Ça ne voudrait‑t’y pas dire Hildegarde Heinstein, ça? H.H., les initiales du bonheur. J’ai idée qu’à partir de dorénavant, tout le bonheur risque d’être pour moi. En regard des deux lettres il y a un numéro de téléphone ELY. 50–61.

Je devrais peut‑être pas le faire, mais tant pis, quand on commence à avoir la rate au court‑bouillon, on ne prend plus de précautions. C’est l’histoire du zig qui rentre chez lui après plusieurs mois d’absence, il va pas attendre l’ouverture des pharmacies pour se jeter sur Bobonne.

Je compose le numéro en question. Peu m’en chaut[55] des conséquences. Me v’là inspiré, les gars. J’ai les cellules parfaitement oxygénées. Berthe vit, Odile vit et je ne l’aime plus, ce qui me donne sur tous les tableaux ce sentiment d’absolue libération sans lequel l’homme d’action ne peut pas actionner convenablement.

Quel égoïste je fais, tout de même! Mea culpa, comme disait un latiniste qui ne voulait pas se laisser sodomiser. L’égoïsme, c’est le vrai fossé qui sépare l’homme de la bergère. Ça commence après le repas du dimanche, quand l’épouse se tape la vaisselle tandis que son matou visionne sports‑dimanche. Un univers, ça représente! C’est son égoïsme naturel qui a permis au mâle de dominer la femelle. La femme console et cajole l’homme qui pleure. Et l’homme se contente de grogner à la femme qui pleure: «Oh, non, chiale pas, je t’en prie.Pourquoi? Parce qu’un chagrin de femme le dérange, comme le dérange une maladie de femme. Il a le monopole de la peine et de la souffrance comme il a le monopole des décisions, l’homme. En vertu de cette grande vérité, croyez‑moi, mes amigos, le plus moche des conditions masculines, c’est d’être le mari de la reine d’Angleterre.

Ça zonzonne à l’autre bout. Deux fois, trois fois… Pas de réponse… Trop tard, Hildegarde est partie, comme annoncé par Berthe. J’attends encore un brin. Ça carillonne cinq fois, ça carillonne, six fois, puis sept, et huit[56]! Ça carillonne neuf fois et c’est au moment que s’amorce la dixième, au moment où je vais raccrocher qu’on dépote le combiné et qu’une voix de femme, rauque mais veloutée, basse mais claire, froide mais mélodieuse déclare:

– Allô! j’écoute…

En réalité, biscotte l’accent, elle a dit textuellement: «Hhhhallô! ch’écoute».

Est‑ce l’organe d’Hildegarde? A cette idée, mon battant se met à carillonner lui aussi.

– Ici, Ramsès Dheû, le maître d’hôtel de Sa Majesté, je chuchote en m’efforçant d’adopter l’accent du domestique, pourrais‑je parler à Mlle Heinstein, de la part de Sa Majesté?

Un bref silence. Puis la voix murmure.

– Raccrochez, je vous prie, on va vous rappeler.

Déclic. Je repose l’appareil. Une drôle de petite méfiante, cette sœur! Elle ne laisse rien au hasard. J’attends, me demandant si je ne lui ai pas mis la puce à l’oreille. Peut‑être ces gens avaient‑ils un code pour s’appeler, un mot de passe? Heureusement, la sonnerie ouatée du biniou retentit. Je me hâte de décrocher.

– Ici, Ramsès Dheû, dis‑je. C’est Mademoiselle?

– Que voulez‑vous? telle est la réponse laconique.

– Il vient d’arriver malheur à M. Heinstein, débité‑je à l’amazone…

The silence! Ça point‑d’interrogationne dans l’écouteur. Est‑ce l’émotion qui la rend muette, on bien se gaffe‑t‑elle d’un coup d’arnaque? Qui vivra verrat (comme disait une truie de mes relations). Puisque me v’là lancé, je continue:

– Je ne sais pas si Mademoiselle est au courant, pour ces deux policiers déguisés en femmes? M. Heinstein devait s’en charger. Mais ils n’étaient pas endormis et l’un d’eux a poignardé M. Heinstein. Nous sommes tous intervenus et nous avons pu les maîtriser, seulement dans la bataille Sa Majesté a été sérieusement blessée. Il faudrait un médecin. Je ne sais que faire…

La voix se décide enfin à se manifester.

– Ne faites rien, nous arrivons!

 

Date: 2015-12-13; view: 396; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



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