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VII. LA CASSETTE VIDÉO





 

 

«Presque tous les hommes ressemblent à

ces grands palais déserts dont le propriétaire

n'habite que quelques pièces; et il

ne pénètre jamais dans les ailes condamnées.»

 

François Mauriac (1885‑1970),

Journal.

 

Quand je suis rentrée, la cassette vidéo était posée sur la table basse du salon. Il y avait une enveloppe blanche scotchée dessus. «Pour Thérèse.»

C'était l'écriture de mon mari, Hubert. J'ai débarrassé Louis de sa combinaison, puis je l'ai mis dans sa chambre, dans son parc entouré de ses jouets.

Il n'y avait rien d'écrit sur la cassette. Et rien dans l'enveloppe non plus. Je glissai la cassette dans le magnétoscope. Elle s'y logea avec un bruit mécanique.

L'écran s'alluma. D'abord, rien. Puis notre canapé. Celui‑là même où je me trouvais. Le canapé vide. Pas de bruit. Ensuite, une silhouette. Un homme s'installa dans le canapé faisant face à la caméra, et donc face à moi. C'était Hubert. Il semblait chercher ses mots. Sa voix résonna enfin, quelque peu déformée.

 

«Thérèse, je sais que mes paroles vont te blesser. Pourtant je n'ai pas le choix. Je dois te dire la vérité. J'écris si mal que je ne me sens pas capable de te laisser une lettre. Je ne sais pas comment te dire ce que j'ai fait. Je n'ose pas te le dire en face. Alors j'ai pensé à cette solution, m'enregistrer sur une cassette et avoir un peu l'impression de te parler face à face. Oui, c'est horriblement lâche. Mais je suis un lâche, Thérèse, et tu ne le savais pas.»

 

J'appuyai sur la touche «Arrêt sur image». Le visage d'Hubert se figea sur l'écran. J'observai ses cheveux blonds, son regard clair, ses lunettes d'écaille, ses traits réguliers de jeune père de famille.

Le bébé gazouillait dans sa chambre, jouant avec une boîte à musique. J'étudiai toujours le faciès d'Hubert. Qu'allait‑il me dire de plus? Je croyais tout savoir. Il avait avoué.

J'avais trouvé une facture de Carte Bleue dans sa veste, un mois auparavant. Il s'agissait d'un hôtel à Biarritz, datant d'un week‑end où il m'avait dit être en déplacement à Bordeaux pour son travail.

Je lui avais tendu la facture. Son visage s'était défait. Il m'avait prise dans ses bras, avait pleuré, marmonné une histoire à propos d'une fille sans importance. Un moment d'égarement. Le premier coup de canif porté à un mariage vieux de trois ans. Il me jura de ne plus recommencer.

Je lui ai pardonné, difficilement. Je pensais à notre fils. Je ne voulais pas sacrifier ce mariage pour une passade. On m'avait toujours fait comprendre qu'une épouse devait s'attendre à être trompée un jour ou l'autre. C'était la vie. Le mariage, c'est ainsi. Celui de mes parents, de mes beaux‑parents, aussi. Fermer les yeux sur les incartades du mari.

«Les hommes sont comme ça, ma chérie, disait ma mère. Incapables d'être fidèles. Ils ont des désirs d'animaux. Les femmes n'ont pas ces instincts‑là. Elles sont plus modérées, monogames, et les hommes polygames. Un mari qui trompe sa femme, ce n'est pas grave. Une femme qui trompe son mari, si. Elle est considérée comme une femme perdue. Alors qu'un homme… C'est dans sa nature. Il faut comprendre et accepter.»

C'est ce que je fis. Je pardonnai à Hubert d'avoir eu une histoire avec une femme inconnue dans un hôtel de Biarritz, alors que je l'imaginais à Bordeaux pour son travail. Je voulus tourner la page, ne pas en parler. Je ne lui demandai même pas son nom.

Je pense qu'il fut soulagé par mon comportement. Il devait redouter des scènes, des histoires, des sanglots, tout ce que font les femmes trompées quand elles apprennent la vérité. Il pensait peut‑être que j'allais boucler ma valise et partir avec le bébé. Mais non. Je restai la même. Je ne montrai pas mes blessures. Je souffrais en silence. Je priais pour que cela ne se reproduise pas. J'avais peur de ne pas pouvoir garder mon calme une deuxième fois.

J'appuyai sur la touche. Le visage pétrifié d'Hubert se ranima.

 

«Tu pensais que j'avais une maîtresse. Je te vois encore m'apportant cette facture de Carte Bleue. Tu m'as dit: “C'est quoi cette facture d'un hôtel à Biarritz?” Tu étais pâle et tremblante. J'avais honte. Je t'ai bredouillé un mensonge. Une autre femme. Tu n'as pas ouvert la bouche. Notre fils pleurait dans son lit. Tu es allée le consoler. Il avait de la fièvre. Quand il s'est endormi, tu es revenue. Tu t'es assise dans le canapé. Tu m'as posé des questions. J'ai répondu. Mensonges et re‑mensonges. Qu'est‑ce que je t'ai raconté? Que je ne l'aimais pas, que c'était un coup comme ça, pour baiser. Que c'était une aventure d'une nuit. Puis tu m'as demandé pourquoi je t'avais épousée. Je t'ai répondu, et je le répète, je t'ai épousée parce que je t'aimais. Mais je portais un secret en moi. Un secret enfoui depuis longtemps. J'aime les hommes, Thérèse. Je l'ai toujours caché, à toi et à notre entourage. J'ai lutté comme j'ai pu. Je me suis torturé pour ne pas céder. Durant notre mariage, j'ai eu quelques aventures avec des femmes. C'était plutôt pour tenter de me prouver que je n'étais pas homosexuel. Mais je le suis. À trente ans, je dois l'assumer. Même si je détruis mon mariage. Et toi avec.»

 

Je me suis levée pour ne plus devoir contempler ce visage.

Tandis qu'il parlait, je regardais par la fenêtre. Il pleuvait. Les arbres étaient secoués par des bourrasques. La nuit tombait. La voix d'Hubert, hachée par l'émotion, continuait à débiter sa sordide confession.

 

«Je te quitte parce que j'aime un homme. Voilà, les mots sont sortis. Tu vas les trouver laids. Cet homme, tu ne le connais pas. Tu es forte, Thérèse. Tu es une femme. Je crois que les femmes sont plus fortes que nous. Je veux le croire pour ne pas me sentir trop coupable. Pour ne pas avoir l'impression d'avoir gâché ta vie. Le lendemain, tu m'as dit: “Je te pardonne. Tu as eu des faiblesses. C'est humain. Mais je t'aime et je veux élever Louis avec toi. Tu es mon mari, et je t'aime.” J'ai compris qu'il fallait que je te dise la vérité. Si tu n'étais pas tombée sur cette facture de Carte Bleue, je te l'aurais avoué quand même. Je frémis en imaginant la réaction de tes parents, de mes parents, de nos amis. Je pense à tout ce que tu vas devoir endurer. Je pense à notre fils. Il est si petit. Je me dis que je devrais partir sans rien, sans lettre, sans explications et que tu finirais bien par savoir. Mais je te dois la vérité.»

 

J'ai quitté la fenêtre pour m'asseoir de nouveau, mais dos à l'écran. Il m'était impossible de regarder son visage.

 

«Je crois que j'ai toujours préféré les hommes sans jamais l'accepter. Quand j'avais quatorze ans, je me masturbais avec un ami de classe. Les filles ne m'intéressaient pas. Il achetait des magazines où on voyait des femmes nues, qui le faisaient bander. Moi pas. Ce qui me faisait bander, c'était lui. J'ai couché pour la première fois avec un homme vers l'âge de dix‑huit ans. J'ai compris que j'aimais ça. Je préfère les corps d'hommes, les odeurs masculines, cette virilité qui est aussi la mienne. J'ai essayé d'en parler à mes parents. Je me sentais sale, coupable, pervers. Mais ils n'ont pas voulu m'entendre. Ou, plutôt, ils ont eu peur. Ils se sont renfermés. Ils m'ont laissé à mes démons. Puis je t'ai connue, après plusieurs années d'errances et de doutes. Tu étais belle et douce. Tu l'es toujours. Je me suis dit: c'est une femme comme elle qui va me sauver, qui va me sortir de là. Avec elle, je vais être un homme normal. Un homme marié. Marié et père de famille. Alors, pendant trois ans, j'ai essayé de jouer ce rôle. Thérèse, j'ai fait tout ce que j'ai pu. Étrangement, je ne me suis jamais forcé à faire l'amour avec toi. Avec toi, c'était naturel et beau. C'était innocent, tendre. Mais ce n'était pas sexuel. Ce n'était pas vraiment faire l'amour, pour moi. Tout simplement parce que tu es une femme et moi un homme qui préfère les hommes. Il y a des nuits où je me réveillais en sueur, tu dormais si paisiblement à côté de moi, si heureuse, et je voulais tant te dire mes tourments. Puis tu es devenue mère et, devant ce ventre rond, j'aurais été un monstre de te déballer les immondices qui me torturaient. Je vibrais dès qu'un homme me plaisait. J'allais rôder dans des sex‑shops, j'achetais des cassettes où l'on voit des hommes s'aimer. Je les regardais quand tu étais absente. Cela m'excitait beaucoup. J'avais peur que tu les trouves. Alors je les détruisais. Je me disais que j'étais malade, anormal. Des envies horribles me prenaient. Il fallait les étouffer. Je n'en pouvais plus. Je traînais dans ces endroits où vont les homosexuels. Il y avait des W‑C avec des trous dans les cloisons. Les trous étaient assez bas. Je ne comprenais pas à quoi ils servaient. Puis j'ai vu un homme mettre son sexe à travers un trou. De l'autre côté de la cloison, une bouche inconnue l'a sucé. J'étais horrifié et troublé. Je suis parti à toute vitesse, la tête pleine d'images furtives. J'ai été aussi dans une boîte de nuit pour gays. On s'embrassait à pleine bouche, on se caressait ouvertement. Les hommes dansaient en s'enlaçant. C'est là que j'ai rencontré Phili.»

 

Je me suis retournée. Hubert parlait avec une voix nouvelle, moins hésitante. Son regard s'était adouci.

 

«Je trouve qu'il ressemble à Daniel Day‑Lewis dans My Beautiful Laundrette. Il est grand et mince, et il aime la vie. Il m'a appris à ne pas avoir honte de ma différence, à ne pas avoir honte de mes envies. C'est vrai qu'avant lui, j'avais honte. Je me sentais marginal, exclu, solitaire. Maintenant, je suis en paix avec moi‑même. J'ai compris ce que je voulais. Biarritz, c'était avec Phili. Nous sommes allés à Arcachon, aussi, un autre week‑end, à ton insu.»

 

Pour la première fois depuis le début de son récit, Hubert marqua une pause. Il changea de position, alluma une cigarette. Il en tira quelques bouffées, puis l'écrasa.

Le bébé babillait toujours dans son parc. Il allait bientôt commencer à réclamer son dîner, et je ne l'avais pas baigné. Combien de temps encore durerait cette cassette?

Comme s'il répondait à ma question, Hubert enchaîna:

 

«Ne t'inquiète pas, j'ai bientôt fini. Je sais que tu dois t'occuper du bébé. C'est une mauvaise heure pour toi. Pardonne‑moi. Je voulais te dire aussi ceci. Je crois que quand un homme aime les hommes, on change souvent de partenaire. On a une grande faim sexuelle. Après lui, il y en aura d'autres. Rassure‑toi, je me protège. Je ne suis pas fou. Je n'ai pas le sida. J'ai passé le test plusieurs fois. Tiens, regarde.»

 

Il approcha de la caméra une feuille blanche sortie de sa poche. Je pus déchiffrer son nom, la date et ces mots: «HIV négatif.»

«Je t'imagine de l'autre côté de l'écran. Je t'imagine brisée. Écœurée. Révoltée. Oui, je vois bien que jamais tu n'as eu un doute, jamais tu n'as pu penser que j'étais homosexuel. Le choc pour toi doit être brutal. Une autre femme, d'accord. On accepte. Mais un mari homosexuel, non. Cela marque une vie. Tu sais tout de moi, désormais, Thérèse. As‑tu seulement pu m'écouter jusqu'au bout? Peux‑tu comprendre? Peux‑tu accepter? Je ne sais pas. Vas‑tu t'en sortir? Que vas‑tu faire? Je suppose que nous allons divorcer, que notre mariage est fini. Vas‑tu vouloir me revoir? Vais‑je pouvoir revoir Louis? Vas‑tu me laisser le voir, et te voir aussi, de temps en temps? Je l'espère de tout mon cœur. Je veux que tu me dises ce que tu veux. Tes désirs seront des ordres, Thérèse. Je te téléphonerai à huit heures ce soir, quand Louis sera couché. Si tu ne réponds pas, je comprendrai que tu ne veux plus me voir. Et j'essayerai d'accepter ta décision.»

 

La voix d'Hubert se cassa. Il cacha son visage entre ses mains et pleura longtemps, en silence. Hubert resta quelques instants sur le canapé. Puis il se leva et s'approcha de la caméra. Avant que l'écran s'éteigne, j'entendis une dernière fois sa voix:

 

«Thérèse, s'il te plaît, détruis cette cassette. Merci.»

La femme qui me contemplait dans le miroir était une inconnue. Elle avait de vagues ressemblances avec moi, surtout les cheveux. Pour le reste, c'était une étrangère. Son visage était marqué, des lignes profondes allaient de son nez jusqu'à sa bouche; ses yeux semblaient éteints, opaques; son teint cireux, presque verdâtre. Je ne la connaissais pas, mais en même temps, elle m'était familière.

Lorsque cette femme tressaillit au cri d'un bébé, je compris qui elle était. La femme baigna le bébé avec douceur, puis lui donna son dîner. Elle était tendre avec l'enfant. Elle le coucha. Puis elle attendit près du téléphone.

À huit heures précises, il sonna. Elle décrocha.

Une voix d'homme dit:

– C'est moi.

Elle répondit:

– Je sais que c'est toi.

Même sa voix ne ressemblait pas à la mienne.

– Thérèse, je…

– Non. Ne parlons pas au téléphone. Je veux que tu viennes. Maintenant. Nous allons parler. Je t'attends.

L'homme dit:

– J'arrive.

L'inconnue se leva, puis me regarda dans le miroir.

Je lui demandai:

– Qu'est‑ce que tu vas lui dire?

Elle mit de l'ordre dans ses cheveux, ajusta son corsage.

– Que je n'accepte pas de divorcer.

– Pas de divorce! Mais ton mari est homosexuel!

– Peut‑être, mais c'est mon mari. C'est le père de mon enfant. Je porte son nom, son fils aussi. Je ne lui accorderai pas le divorce. Je ne le laisserai pas nous quitter, Louis et moi. Être homosexuel ne doit pas l'empêcher d'être un bon père. Je veux un vrai foyer pour mon fils. Hors de ce foyer, il aura sa vie secrète, ses amants, ses films, ses sorties. Ici, il sera un père et un mari. C'est tout ce que je lui demande.

– Et s'il refuse?

– Il a dit qu'il ferait tout ce que je désire.

Elle me regarda. Jamais je n'avais vu un regard si dur.

Puis elle annonça:

– Il le voudra, sinon il ne verra plus son fils.

On frappa à la porte.

Nous nous regardâmes longtemps. Elle était assez belle, avec ce visage ravagé et digne.

– Va ouvrir, me dit‑elle. La tête haute et le menton fier, Thérèse! Et surtout pas d'humidité dans l'œil.

 

 

Date: 2015-12-13; view: 409; Нарушение авторских прав; Помощь в написании работы --> СЮДА...



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