Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà


Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


Êàòåãîðèè:

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Le fait du prince





 

Chez Hertz on nous demande de patienter un peu pendant qu’ils effectueront une petite enquête intérieure à propos de la voiture. Faut qu’ils tubent à leurs différents services, mais ça ne sera pas long, car l’organisation de cette firme est remarquable.

On poireaute dans un petit salon aux meubles en tubes d’acier. Sur un guéridon s’empilent les classiques revues de tous les salons d’attente. J’ai prévenu les Services pour qu’ils traquent l’auto en question. Un véritable filet (un journaliste compétent n’hésiterait pas à le qualifier de toile d’araignée) est tendu dans l’agglomération parisienne.

J’ai idée que dans moins de pas longtemps, la charrette de l’empoisonneur sera retapissée et qu’on trouvera enfin quelqu’un à qui causer.

Un long gargouillement retentit. Ça ressemble à une canalisation engorgée par les eaux de pluie. Béru s’excuse d’un sourire.

– J’ai la dent, explique‑t‑il. C’est pas un malheureux sandwich‑rillettes qui peut me colmater la brèche…

– Il nous faudrait des pilules, dis‑je, pour les jours où l’on n’a pas de temps à consacrer à la bouffe.

Il fait la grimace.

– Je préfère la piler, Mec. La tortore, c’est une chose sacrée. Si Dieu nous a fourni des mandibules et un estomac c’est pas pour qu’on se nourrisse avec des cachets ou des suppositoires.

Ayant dit, il cueille un numéro de Jours de France en haillons et s’humecte l’index pour en tourner les pages. Il s’arrête sur une publicité consacrée à la vaillante maison Olida. En couleurs comestibles, on y voit un déferlement de pâtés croustillants, de jambon‑rose‑vie, de saucissons pur porc, de choucroutes himalayesques et de cassoulets torrentiels. La bave lui coule des lèvres. Elle stalactite sur son revers. Il se trémousse en geignant à cause de sa brûlure.

– Une potée, soupire‑t‑il, comme en état second. Une potée auvergnate, avec des choux, des jambonneaux, des patates! C’était le triomphe à Berthe. C’est dans la simplicité des mets que tu reconnais les grands cuistots, San‑A. N’importe quel tordu peut t’exécuter un homard Thermidor ou un poulet au curry. S’agit d’avoir un bouquin et de suivre les indications. Mais les plats comme la potée, le pot‑au‑feu ou le petit salé aux lentilles, pour les réussir façon sublime, faut avoir le don inné. En somme, poursuit‑il, en cuisine c’est comme en amour. Le vibromasseur, le doigt de caoutchouc, ça impressionne, mais toute une chacune peut te l’appliquer alors qu’une solide partie de jambons c’est l’apanade de la gonzesse douée. Là, pas de tricherie, faut casquer comptant.

Ayant dit, il reprend sa lecture. Mais Béru n’est pas l’homme capable de se concentrer sur des caractères d’imprimerie. De tous les grands inventeurs, Gutenberg est certainement celui qui eut le moins d’influence sur le Gros. Il interrompt son feuilletage pour demander:

– Y a combien de pétasses à Paris?

– Huit mille, renseigné‑je.

Il siffle, presque admirativement. Puis, réfléchissant:

– Dans le fond, c’est pas lerche. Si tu songes qu’avec sa banlieue, il jauge dans les huit millions de pégreleux, tu t’aperçois que ça fait une prostipute par millier d’habitants…

– Déduis les femmes, les enfants, les pédérastes et les impuissants de ce millier, recommandé‑je, et tu t’apercevras qu’il reste environ deux cent cinquante hommes susceptibles de devenir clients. Sur les deux cent cinquante en question, ôte encore les maris fidèles, les étudiants impécunieux, les démocrates chrétiens, les grands invalides de guerre et tu tombes à la centaine. Donc, en résumé: une pute pour cent bonshommes. C’est tout de même pas mal!

Il secoue la tête.

– Une radasse éponge combien de têtes de bétail dans sa journée? Dix en moyenne, l’un dans l’autre? Ça te fait quatre‑vingt‑dix pour cent de gentlemants qui sont obligés de se tutoyer eux‑mêmes…

Il a raison. Comme quoi, mes amis, les chiffres parlent le langage qu’on veut bien leur faire tenir.

Sa Majesté méditative renchérit, soucieuse de prendre son contre‑pied:

– Et encore, sur les huit mille, toutes ne fonctionnent pas en même temps, fatalement. Et sur celles qui ont leurs jours ouvrables, il y a les malades…

– Et elles sont de plus en plus nombreuses! assuré‑je.

Il dubitative:

– Moins depuis la pénicilline, Gars!

– Mais plus depuis qu’en 1960, on a abrogé en France toutes les dispositions légales imposant aux prostiputes une surveillance médicale.

Nous en sommes là de nos considérations et statistiques lorsqu’une ravissante demoiselle blonde me demande. Je passe dans le burlingue voisin tandis que le Gros reprend la lecture de sa prose olidesque.

Ça n’a pas traîné. La demoiselle m’annonce que l’auto a été louée voilà quatre jours à l’agence de Cannes par un certain Frank Heinstein, sujet allemand, pour une durée de huit jours. Le véhicule doit être rendu à l’agence de Hambourg. Si je n’étais pas malheureux à gémir depuis l’enlèvement d’Odile, j’embrasserais cette merveilleuse secrétaire hertzienne. Je lui demande la permission d’user de son appareil (téléphonique). Elle me l’accorde, ce qui me permet de mettre toutes les fliqueries de France, de Navarre et d’outre‑Rhin au dargif du dénommé Frank Heinstein.

Tonnerre de Zeus! comme disent les catholiques romains qui préfèrent profaner le nom d’un dieu autre que le leur, avec toutes ces lignes de fond, on va bien finir par choper un poissecaille, non?

La secrétaire m’admire très ouvertement. On vit le règne du poulardin et, plus encore, de la barbouze, les gars, vous le dissimulez pas. Le voyou nageoteur en eau policière, c’est l’ensorceleur de ces demoiselles. Le superman actuel, faut reconnaître, c’est Figon. Jadis, pour les jeunes gens bien nés, c’était l’armée ou le clergé. Ensuite, la diplomatie on la médecine. Désormais, le jeune homme de bonne family, il se lance dans la voyoucratie. Il a alors droit aux grandes interviews, aux actrices, aux relations mondaines. Il est illico drivé par un demi‑flic, lequel est ami d’un vrai flic, lequel est couvert par un superflic. Il fréquente des boîtes à barbouzes, pleines de gens huppés. On l’invite partout. De temps en temps, il dit qu’il part en mission à Honolulu et il s’enferme huit jours dans une chambre d’hôtel merdeux avec la collection des James Bond pour se documenter bien à bloc. Il se bronze aux rayons infrarouges, il s’achète un bitos en paille noire et il refait surface, bardé de holsters (la flanelle des temps modernes, bientôt la maison Rasurel va se mettre à en fabriquer) épateurs, avec une fausse ecchymose dessinée à la pointe Bic sur la pommette, pour témoigner de bagarres imaginaires. On décadence vilain, mes fils! Les nanas ne se font reluire bien totalement que si leur agent double de sommier les calce en leur tenant le canon d’un Beretta sur la tempe. L’idéal de l’honnête femme, c’est de passer pour une putain.

– Vous faites un métier passionnant, elle me roucoule, la blonde enfant énamourée.

– Extraordinaire, conviens‑je, on a même droit à la Sécurité sociale et à la retraite anticipée.

Ça la douche, la bouche, la couche, la louche, la mouche, la souche, la touche!

– Vous autres, les policiers…, commence‑t‑elle avec ferveur.

Comme c’est agaçant, d’être intégré à une généralité. Les gens ne savent que dire: «Vous, les hommes; vous les femmes; nous autres Français…Comme c’est facile! Comme c’est bête! Un peu comme si on disait: «Vous qui avez un cœur, un foie et une rate.Ou bien: «Vous qui mangez avec vos dents», «Vous qui prenez votre température avec un thermomètre…Je crois que c’est pour ça, par réaction contre ce penchant à l’anonymat que notre général (président‑directeur) se personnalise en parlant des autres à la première personne. Style: «Moi, les Français!Général, il se veut farouchement particulier et il a raison. Quelqu’un, que cet homme‑là!

Je vais récupérer Béru.

– Ça biche, pêcheur? me demande‑t‑il.

– Encore plus que ça, mon chéri.

Mais au lieu de me questionner, il murmure:

– Ecoute voir, c’est bête, mais j’étais en train de regarder un truc troublant sur cet abdomadaire.

Il tient l’imprimé serré contre sa poitrine dans laquelle bat un cœur toujours prêt à vous tendre la main.

– Montre!

– Non, attends que je t’esplique… La pauv’ Rita, tu as entendu ce qu’elle a répondu quand j’ai essayé d’y causer du Prince?

Il ne me laisse pas le temps d’enfiler mes pensées sur le fil de nylon de ma réflexion.

– Elle a répondu que tout le monde savait l’adresse du Prince, complète le Mastodonte.

– Et alors?

– C’est sûrement idiot, mais mate!

Lors, il me brandit son «abdomadaire» ouvert à une page en couleurs.

Plusieurs photographies l’illustrent, dont celle d’un homme illustre. Titre: «Chassé par la révolution qui sévit au Jtempal, le prince Kelbel Birouth se réfugie à Paris.L’homme qui avait le pétrole sur l’évier et des diamants en guise d’enjoliveurs de voiture a dû quitter précipitamment son palais des Mille et Une Nuits en enjambant les têtes tranchées de ses gardes. C’est en France qu’il a cherché asile. Pratiquement ruiné, il est descendu au Seigneurial Palace avec sa favorite, sa tête de camp et son aide de nœud[32]. On voit une photo de Boyokulié, la capitale du Jtempal, en pleine révolution, avec le général Kassamoumouth s’emparant du Palais[33] tandis qu’une autre image nous montre l’arrivée du Prince Kelbel 69 deux fois, et la suite. Rappelons, pour nous replacer dans le contexte historique, que Kelbel est le 69e du nom et qu’il avait un frère jumeau. A la naissance des princes, les parents tirèrent au sort pour savoir lequel régnerait et lequel serait jeté dans la fosse aux tigres. Le sort fut favorable à Kelbel. Lorsque celui‑ci monta sur le trône à l’aide de l’escabeau familial, il décida, afin de perpétuer la mémoire de son malheureux frère, de doubler son numéro pour rappeler qu’il y avait eu deux lignées groupées dans la dynastie des Birouth. Mais des trois photographies, c’est le portrait du prince déçu (un Auvergnat dirait déchu) qui tient la plus grande place. Le magazine date de deux mois; à l’époque, toute la presse a tartiné sur l’événement et publié des photos de Kelbel 69 deux fois. Aussi le visage de l’ex‑maître du Jtempal m’est‑il familier. C’est un type d’une trente‑quatraine d’années, avec une peau basanée et un gros nez. Exactement le portrait que dame Merluche me fit du prince. Elle précisa même, si mes souvenirs sont exacts (et si je me reporte aux pages précédentes), qu’il devait être arménien, ce qui était une manière comme pas d’autres de traduire l’orientalisme du personnage.

J’arrache la page de Jours de France consacrée à ce monarque et la plie soigneusement par trois fois, ce qui est à mon sens, le seul moyen de la plier en 8, avant de l’enfouir dans ma poche. La secrétaire blonde qui m’a escorté, se méprend sur la nature de cet arrachage et murmure en rougissant:

– Les toilettes sont au fond du couloir à gauche!

– Alors? demande Bérurier, que dis‑tu de ma découverte?

– Depuis celle de Christophe Colomb qui devait tant tracasser les habitants d’Hiroshima, on n’en a pas fait de plus importante, lui assuré‑je.

Il se pourlèche.

– Remarque, modestise‑t‑il, on peut se tromper.

– L’erreur est humaine, récité‑je, et, pour lui faciliter la compréhension de cette maxime je la lui traduis en latin: errare humanum est (en vente dans toutes les pages roses du Larousse). Pourtant, reprends‑je, il y a quelque chose d’assez frappant dans ta trouvaille, mon gros Poupon. C’est pourquoi nous allons rendre une visite de politesse à dame Merluche, Virginie Merluche.

– C’est qui t’est‑ce? s’inquiète Bérurier.

– La femme de ménage de Couchetapiane.

– Et côté Hertz, du neuf? s’intéresse le Rondouillard.

– L’auto a été louée à un chleu nommé Frank Heinstein qui doit la rendre à Hambourg. Tout ça se regroupe, se recoupe et faisceaute (du verbe faisceauter, qui signifie former les faisceaux). J’ai déjà mis les archers au courant. Maintenant la chasse à l’homme a commencé.

– Et la chasse à la DS idem? s’inquiète le Soucieux.

– C’est pas une DS, mais une ID, rectifié‑je. Les poulardins s’en occupent aussi, d’ailleurs il est recommandé de chasser les ID noires[34].

Elle est toute joyce de me revoir, Maâme Merluche. Elle sent que la gloire, c’est du peu au jus. Je la trouve en pleine vaisselle. Des gosses cradingues et turbulents, aux frimousses croûteuses se traînent le dargeot sur le linoléum de la cuisine en élaborant de savants encombrements de voitures à l’aide de pinces à linge. Une grosse dame jeune mais sans âge, enceinte au‑dessus de la ligne de flottaison, les regarde jouer d’un œil de bois; elle est assise dans un fauteuil d’osier et essuie la vaisselle avec des gestes mous, ronds, sans se faire de mouron[35]. Elle est heureuse de progéniturer, cette maman. Comme disait l’autre[36]: la mère rit de son arrondissement.

– Ma fille, présente fièrement Mme Merluche.

Je complimente la jument poulinière à propos de ses petites horreurs chétives et scrofuleuses et je sors la feuille de Jours de France en m’arrangeant pour que seule la photo de Kelbel 69 deux fois soit visible et qu’on ne puisse pas lire le titre ni la légende.

– Avez‑vous vu ce monsieur quelque part, madame Merluche?

Elle n’a pas un centième d’ombre d’hésitation.

– Mais c’est le Prince que je vous parlais!

Je me permets un soupir qui propulserait une goélette d’un bord à l’autre du Pacifique.

De son côté, le Gros pousse une éructation qui n’est pas sans évoquer le tiraillement d’estomac d’un lion de l’Atlas.

– Comment se comportaient les autres invités avec lui? je questionne.

Elle bitougne du compensateur.

– C’est‑à‑dire?

– Lui parlaient‑ils avec respect? Comme on parlerait à un véritable prince?

Elle caresse le chef.

– Dans le fond, oui. Sauf l’Hildegarde et l’autre fille blonde. Mais c’est vrai que Couchetapiane, Rita et Jérôme semblaient dévotionneux.

Elle s’anime.

– Quand je pense à ce dégueulasse d’Alfred, je vois rouge! glapit‑elle.

– Moi aussi, avoué‑je en évoquant la boucherie consécutive à l’explosion, je vois tout rouge, madame Merluche.

Elle baisse la voix, mais pour, paradoxalement, rendre plus véhémentes ses paroles.

– Ces gens‑là, déclare‑t‑elle, on devrait les tuer!

– Beaucoup pensent comme vous, certifié‑je, cependant que le Mastar se pâme.

Là‑dessus, je file une pièce de cinq francs (dont la partie face représente la République en train de nous semer du poivre au soleil couchant) à l’aîné des marmots.

– Tu achèteras des sucettes, lui recommandé‑je, car il ne leur manque que d’être poisseux, à lui et à ses frères et sœurs.

Puis, toujours maléfique – le chagrin rend mauvais – je souhaite des quintuplés à la fille de Mme Merluche et, à Mme Merluche, une longue vie pour pouvoir torcher cette tribu de culs‑nus jusqu’à la huitième génération.

– Donc, j’ai mis dans le mille, à ce qu’on dirait? jubile Bérurier lorsque nous sommes out.

– En plein. Seulement ça ne va pas être commode d’enquêter sur ce prince qui doit être gardé et protégé de gauche à droite et de bas en haut. Enfin, rabattons‑nous toujours sur le Seigneurial Palace.

– Qu’est‑ce que ce monarque pouvait bricoler avec des poufiasses et des barbeaux? se demande à intelligible voix mon camarade.

– Les grands de ce monde et les bas‑fonds ont toujours entretenu de bonnes relations, A.‑B. N’oublie pas que le limon fertilise et qu’un arbre, si puissant soit‑il…

– Amen! me coupe irrespectueusement Béru. Tu te crois à la Sorbonne, Mec!

Le Seigneurial Palace, comme chacun le sait puisque personne ne l’ignore, se trouve situé entre l’Etoile et la gare de Lyon, pas loin d’une boucherie chevaline. C’est une luxueuse construction du début du siècle, toute en marbre blanc. Résidence des rois en exil, des diplomates en voyage, des vedettes séjournant à Paris, des escrocs internationaux et des milliardaires (ce sont parfois les mêmes), elle dresse orgueilleusement ses huit étages au‑dessus de son somptueux rez‑de‑chaussée.

Des chasseurs chamarrés la gardent. Leurs uniformes bleu nuit à parements jaunes et leurs casquettes à visière de cuir noir grouillent sous l’immense dais à rayures jaune et bleu qui somme la porte à grosse caisse[37]. A l’intérieur, c’est plein d’Aubussons, de statues d’albâtre, de toiles de maîtres (la plus petite fait un maître sur deux), de meubles de style (on ne sait pas toujours lequel, mais c’est beau). Bérurier, dans cet univers de luxe, fantastiquement éclairé, que dis‑je: illuminé! Bérurier en ce lieu réservé aux titrés, aux riches et aux vedettariés; Bérurier parmi les vieux beaux décorés, les vieilles belles (débellies), les officiers dont les tenues sont presque aussi bathouses que celles des grooms, Bérurier, terminé‑je, fait l’effet d’une grosse crotte de chien dans le salon de la marquise. Avec son bada arrimé jusqu’aux sourcils, son pardingue, dont le bouton du haut est passé dans la boutonnière du bas, ses targettes surmenées, sa barbe non rasée, son visage tuméfié, son derrière carbonisé, il est plus repérable qu’un hélicoptère dans un potager. Les cristaux, les lumières, le moelleux, le faste, le palaçage ambiant l’émeuvent. Il est gauche tout à coup, confusément honteux de soi, comme si les vastes glaces aux cadres dorés lui révélaient enfin sa situation précise dans l’échelle sociale.

Je le moule en plein hall pour me rabattre sur la réception. Un type en jaquette, avec cheveux plats et lunettes d’or, laisse tomber sur moi un regard plus lourd que le grand lustre au salon.

Je lui fais signe de se pencher. Il hésite et obtempère. Alors, honteux moi aussi, gêné, médiocre, dépecé par ces yeux refouleurs, je lui montre timidement ma carte.

Ça lui fait comme si j’étais un aveugle de guerre venu lui demander la permission de vendre des brosses en chiendent aux clients du palace. La police, à ce stade de la richesse, devient une chose incongrue, à peine tolérable, car le Seigneurial est un îlot qui met ses habitants hors de toutes les atteintes, légales ou non.

– J’aimerais parler au directeur! chuchoté‑je, comme, à confesse, un sourd baisse le ton pour s’accuser d’avoir eu des rapports sexuels avec le capitaine des pompiers.

Il en conçoit comme de l’effroi, le redingoté.

– Au directeur! s’exclame‑t‑il à voix basse.

Un sourire qui trahit ses années de constipation lui tord la bouche.

– Vous n’y pensez pas!

Moi, San‑Antonio, vous me connaissez, hein? Faut pas jouer à ce petit jeu avec Bibi, sinon le temps se couvre comme un vieux monsieur fragile des bronches à un enterrement.

– Ecoutez, camarade, je tonitrue avec une telle violence qu’il se jette en arrière comme si j’avais une lampe à souder à la place des lèvres, j’y pense tellement que si vous ne m’annoncez pas illico je fais cerner votre masure à désœuvrés par une escouade de flics! Et ils seront en uniforme, histoire de rivaliser avec vos esclaves.

Mon coup de gueule fait rappliquer Béru. Envolée sa timidité. Il redevient instinctivement le gros chienchien dont il ne faut pas chahuter le maîmaître.

– Y a ramonage de pif? il demande sèchement en reniflant avec fureur.

– C’est pas loin, réponds‑je. Pour peu que Môssieur se prenne encore pendant trente secondes pour quèque chose de considérable, il risque de déguster son encrier de bronze.

– Mais, messieurs, voyons! Gardez votre calme! Je n’ai pas voulu faire d’obstruction! Je…

Il est blanc comme une croisière au Spitzberg, le réceptionnaire. Affolé. Un tel esclandre, jamais il ne s’en est produit ici. Quand on cause dans sa crèche, c’est à mi‑ton. Les clients se font antiparasiter les cordes avant de descendre au Seigneurial Palace.

– Alors le directeur, et en vitesse! lui lâché‑je à travers mes dents crispées.

Il va décrocher un combiné téléphonique gainé de satin grenat. Il parle onctueusement, en vieux prélat papelard. Il dit à son interlocuteur respecté qu’il y a là deux messieurs de la police qui insistent pour le voir, ayant, suppose‑t‑il en louchant dans notre direction (qui vaut mieux que la sienne), des choses importantes à lui dire ou à lui demander. A la fin, il raccroche en suçotant des «parfaitement, monsieur le directeurqui fileraient la godanche à un adjudant de C.R.S.

– Quelques instants! nous dit‑il en grimaçant un projet d’ébauche de sourire.

– C’est‑à‑dire? fais‑je brutalement, car, une fois que je suis sorti de mes gonds, c’est tout un travail de patience pour me rajuster le caractère.

– Une dizaine de minutes. M. le directeur est en conférence.

– Doit bien y avoir un bar dans votre taule? demande Béru, sans perdre le nord.

D’un geste frémissant d’appréhension, le redingoté nous désigne un bref perron de trois marches livrant accès à une pièce boisée Louis XV.

A cette heure de l’après‑midi, le bar est presque vide. Deux vieilleries sud‑américaines boivent du thé, et un maharadjah enturbanné et barbufrisé chambre une jeune personne lourde de pierreries, en lui chatouillant le lobe de ses moustaches passées au petit fer.

– M’sieurs‑dames! lance poliment le Gravos en marchant vers le somptueux comptoir d’acajou surmonté d’un dais de velours bleu fleurdelysé.

Il se croit chez son bougnat, Béru. Y a gros effarement dans la gent barmanière en voyant débouler ce taureau mal fagoté. Le first barman, un supergalonné, blanchi sous le harnois, a le regard indécis du monsieur ivre mort devant une cuvette de ouatère qui se demande s’il va se libérer par le haut ou par le bas. Lui, il hésite entre virer cet olibrius ou se sauver soi‑même.

Béru se juche sur un haut tabouret, pose son ignoble bitos sur un gros shaker d’argent et déclare:

– Pour moi, ce sera un grand beaujolais avec un sandwich au saucisson. Et toi, Mec?

Il a largué ses complexes une fois pour toutes. Cet excédent de bagages l’incommodait trop, décidément. Un Béru, c’est fait pour avoir ses aises, pour affronter la vie en pleine possession de ses facultés, sans contrainte ni modération.

– Scotch! rectifié‑je, manière de tenir un langage plus adéquat.

– Nous n’avons pas de vin rouge au bar, bredouille le chef loufiat.

– Alors appelez pas ça un bar, sermonne mon ami. Et naturliche, vous allez aussi me dire que vous n’avez pas de sandwich, hein?

– En effet, monsieur, lugubre l’employé. Des olives, si vous voulez…

Bon gré, maugrée, Béru agrée. Il siffle son whisky d’une seule lampée et se met à croquer ses olives. L’olive lui pose toujours un problème à propos de son noyau. Sa Majesté gloutonne n’a pas la patience de recracher celui‑ci au fur et à mesure. Il attend d’en avoir une douzaine dans un coin de sa bouche avant de les expulser, violemment, bruyamment, à la façon d’un pistolet‑mitrailleur dépourvu de silencieux. Généralement, il choisit toujours une cible avant de tirer ces petites salves innocentes. Déformation professionnelle sans doute?

En l’occurrence, le turban du maharadjah lui paraît tout indiqué. Il gonfle ses joues, arrondit sa bouche et la pointe savamment, comme un mitrailleur de D.C.A. oriente le noir museau de sa seringue.

«Pouf, pouf, pouf, pouf, pouf, pouf, pouf, pouf. Et «pouf» car il en avait oublié un! Les points d’impact sont visibles dans le turban éclatant de blancheur. Il ne pige pas ce qui lui arrive, le maharadjah. Il se palpe le couvre‑chef. Il regarde autour de lui. Il lève les yeux pour s’assurer que le plaftard commence pas de s’effondrer. Son anxiété amuse Béru. Bon zig, le Gros saute de son perchoir et va à l’Hindou.

– Faites excuse, dit‑il. C’est plus fort que moi… Je vas récupérer mes projectiles, que vous risquiez pas de crever un œil à votre souris quand vous vous pencherez sur elle pour lui géographer le décolleté.

Heureusement, le maharadjah ne parle pas français. Il regarde Béru en souriant vaguement. Pour lors, Pépère se met à farfouiller dans les plis du turban pour retrouver les noyaux. Effaré, l’autre a un geste de recul, le turban commence alors à se dévider.

– Chahutez pas, mon vieux, votre ruche va se faire la valise! glapit Béru en tentant de maintenir le savant édifice.

Le maharadjah se croit attaqué. Il dégaine de son pourpoint un poignard d’or à la lame recourbée comme un ergot de coq. Béru s’estime en état de légitime défense et lui met un petit crocheton très sec et très précis à la pointe du menton. Ça calme l’Hindou instantanément et il se met à dodeliner.

– Sage! dit ma Pomme d’api en achevant de détortiller le turban.

Les noyaux emprisonnés choient sur le parquet. La fille empierrée pousse des cris qui sont d’autant plus d’orfraie qu’elle les pousse en anglais. Imperturbable et consciencieux, Alexandre‑Benoît se met en devoir de rentortiller le turban autour de la tête de sa victime.

Il y parvient mal. Il a beau s’appliquer, le rouleau de soie glisse, se dévide.

– Tu parles d’un turbin, ce turban, grommelle‑t‑il.

Le chef loufiat veut lui faire lâcher prise, Béru l’éloigne d’une ruade qui l’atteint au siège de sa ci‑devant virilité. Ça remue dans la crèche. Je suis obligé d’intervenir, de produire ma carte, d’arroser de pourliches pour endiguer ce début d’émeute. Lorsque le calme est rétabli, Bérurier a fini sa besogne. Le prince hindou ressemble à l’Homme Invisible. C’est tout juste s’il lui reste un œil disponible pour pouvoir mater son désastre de Pavie[38] personnel dans la glace à trumeau. Sa bergère endiamantée se cintre, c’est plus fort qu’elle. Une Américaine, fatalement, elle ne peut garder son sérieux. Les deux vioques qui théièrent ensemble se frappent sur les jambonneaux. Et puis c’est au tour du personnel, quoique stylé, de se gondoler. Une marrade monstrueuse retentit dans le bar du Seigneurial, enfle, démesure, se répand, inonde, attire. On voit radiner des chasseurs, des clients, des liftiers, des portiers, des réceptionnaires, des téléphonistes, des garçons d’étage, des femmes de chambre, des cuisiniers, des maîtres d’hôtel, des maîtres de balais, des maîtres de ballet, des maîtres d’armes, des maîtres de forges, des chefs de rang, des sommeliers, des cavistes, des écaillers, des repasseuses, des cireuses, des chauffeurs, des pâtissiers, des sauciers, des apprentis sauciers. Ça court, ça veut voir, ça se bouscule, ça coude à coude, ça piétine, ça s’exclame, ça s’esclaffe, ça rit, ça fourire… Il est pas payable, le maharadjah! Faut vous dire que sur le crâne il a la pelade. On voit son dôme ovoïde, rasé, rosé, cloqué, plaqueux, qui dépasse l’enturbannage. Ça ressemble à un œuf coque teinté à l’occasion des fêtes de Pâques. Et lui, par‑dessous, bandeletté, momifié, avec, émergeant de ce malfagotage, un œil vaseux et un bout de barbe. C’est irrésistible.

Bérurier est triomphant, radieux, souverain. Il vide le verre du maharadjah, il pince les joues arrière‑sud de sa compagne. Il est détendu. Il bat la mesure des rires.

Enfin, le redingoté s’avance, au moment où les rates suractivées n’en peuvent plus et, d’une voix, d’une bouche, d’un air et d’un anus pincés, il nous annonce que M. le directeur (ouvrez le ban!) est enfin disposé à nous recevoir.

Belle et noble figure que celle du dirlo. Il ressemble à un bull‑dog blanc. Même faciès aplati et rogue, même expression à la fois hargneuse et assoupie, même distinction agressive. Il est courtaud, trapu, vieux mais actif; décoré en rond et en rouge, sapé en bleu croisé avec cravetouse gris perle. Il a tout vu, tout entendu, tout compris, tout encaissé. La gentry internationale n’a pas de secrets pour lui. Il connaît à zéro virgule cinq près le compte en banque des rois de la Finance et, à deux adultères près, l’arbre généalogique des couronnés. Il a étouffé des scandales et évité des révolutions. Il a empêché des divorces princiers. Il connaît les slips les plus célèbres. Il sait les mœurs les plus inavouées des stars les plus publiques. Il a racheté des bijoux classés monuments historiques et allumé ses cigares avec des chèques fantastiquement non provisionnés. Il sait comment vivent les plus glorieux, comment aiment les plus respectés et qui ils aiment d’irrespectable. Bref, c’est un de ces hommes placés au centre géographique des grands destins pour lesquels les gens qui ne vivent qu’à l’abri du secret n’ont pas de secrets.

Il nous regarde entrer d’un œil sans joie à travers la fumée de son havane.

Son bureau est Empire, car il est empereur dans son genre. Il nous salue d’un bref hochement de tête et nous désigne deux fauteuils, inconfortables puisque également Empire.

Tout, dans son expression et son attitude, indique que son temps se subdivise en secondes négociables. Plus un homme est important, plus ses instants se vendent au détail. Ce sont les humbles ou les artistes qui vivent en gros, au forfait. Les riches sont payés à l’heure, souvent même à la minute. Et vous estimez que c’est une promotion, vous?

Ayant déjà pigé que dans ce palace la poulaille n’est pas en odeur de sainteté, je décide de lui roucouler une romance de ma composition.

– M. le directeur, malgré nos cartes de police, nous appartenons en fait aux services de contre‑espionnage. De nos jours, tout un chacun se prévalant d’appartenir à des polices dites parallèles, nous avons trouvé plus simple de nous dissimuler sous le couvert de la vraie. On se méfie moins, à notre époque, de deux flics officiels que d’un anonyme quidam couleur de muraille.

Il a légèrement retroussé sa lèvre supérieure, ce qui dénote de sa part une marque certaine d’intérêt. Je continue.

– Des circonstances d’une gravité exceptionnelle nous ont amenés à nous intéresser à l’un de vos clients de marque: le prince Kelbel Birouth.

J’attends l’effet. Il se produit. Môssieur le directeur souffle un nuage de fumée tellement dense qu’on a envie de s’armer d’une torche électrique antibrouillard pour partir à sa recherche. Il reste de marbre, comme son hôtel. Le courageux San‑Antonio, celui dont la langue et le nom sont sur toutes les lèvres (de préférence féminines), repart à l’assaut de cette forteresse médaillée.

– A vrai dire, ça n’est pas la personne du prince qui requiert notre vigilance (le mot sonne bien, il met à l’aise tout en conservant son sens officiel à notre visite), mais certaines relations féminines que Son Altesse rarissime s’est imprudemment créées.

Ouf! Je reprends six litres d’air confiné que je divise en oxygène et en gaz carbonique avant de continuer, toujours très en verve:

– Il est indispensable que vous coopériez avec nous!

Pour la première fois, le bull‑dog blanc se met à aboyer:

– N’y comptez pas!

Un frémissement béruréen me fait craindre le pire, en pire, dans le bureau Empire.

Je flatte le genou de mon gros bourrin d’ami pour lui colmater la rogne.

– Cette opposition me surprend, monsieur le directeur, il est à craindre que si elle était connue au ministère de l’Intérieur et à celui des Affaires étranges elle provoquerait certaines réactions…

– Dont je n’ai que faire! tranche le Big Boss.

Il se lève, jette adroitement quatre centimètres de cendre de cigare dans un cendrier de bronze représentant Napoléon à Water l’eau, guettant à la lunette l’arrivée de Grouchy (mais ce fut plus cher), et déclare:

– Qu’est‑ce que le Seigneurial Palace, monsieur le contre‑espion? La résidence des grands de ce monde. Une terre d’asile dorée. Gibraltar et son rocher! Les remous de la vie se brisent sur les marches de notre perron…

Il va à une table basse supportant un flacon de whisky et un verre, se verse une rasade qu’il déguste à notre santé et continue:

– Nous ne pouvons nous permettre de participer au moindre mouchardage, quand bien même le sort du monde serait en jeu. Ce que font nos clients ne nous regarde pas. N’attendez aucun renseignement de mon personnel, que ce soit par la menace ou par les promesses.

Non, mais je vous jure, mes potes, on croit rêver en entendant un langage pareil en plein Paname et en plein vingtième siècle! Et le plus fort, c’est qu’on le sent aussi inébranlable que le mari de lady Chatterley, ce tordu! Notre Cinq paires le Pape, dans sa cité vaticane, est moins à l’abri que lui, moins certain de son infaillibilité.

Il est de plus en plus visible et prévisible que le Gros va commencer de casser le mobilier dans un laps de temps variable entre deux et six secondes.

Je me lève.

– Puisque nous ne parlons pas le même langage, directeur, je vais user des grands moyens. D’ici à pas une heure, je fais cerner votre hôtel de mes deux par des cars de police. Il y aura cinquante flics en uniforme et chaussettes de laine tricotées main dans votre hall de réception, autant dans le grand salon d’apparat et au bar… Ça, mon bon monsieur, vous ne pourrez pas vous y opposer et ça n’ajoutera pas une étoile de plus à votre établissement, croyez‑le! Vos grands de ce monde préféreront se rabattre sur l’hôtel du Coq au Vinou sur celui du Dernier Verre plutôt que de se voir investis par des cohortes de poulets!

J’en postillonne comme une pomme d’arrosoir. Le bull‑dog au cigare a les yeux sanguinolents.

– Ah! vous feriez ça! jappe‑t‑il.

– Le temps d’aller téléphoner; si vous voulez prendre le pari, j’ai gagné d’avance.

Il en biche un malaise et son havane lui pend du bec comme une canalisation arrachée.

– Vous conduiriez les gens au suicide! déclare‑t‑il.

– En ce cas, suicidez‑vous par inanition, ça vous laissera le temps de réfléchir, impitoyé‑je.

– Mais qu’espérez‑vous donc de moi? cède‑t‑il.

– Je veux savoir comment vit le prince Kelbel et qui il reçoit. J’ajoute que ces renseignements resteront confidentiels.

Ça le turlupaf[39] encore durement.

Il revient à son bureau, se débarrasse de son cigare en le filant dans le bitos de Napo et murmure:

– Son Altesse est orientale, ne l’oubliez pas. Elle a donc une compagnie féminine nombreuse…

A mon tour de ne pas moufter et d’attendre.

– Le prince Kelbel, continue le patron du Seigneurial, a loué la moitié d’un étage, à l’entresol, avec entrée indépendante sur la rue Vincent‑Dessudessout[40]. Il a son propre personnel et celui du palace n’intervient que lors des réceptions qu’il lui arrive de donner dans nos salons. Il m’est donc absolument impossible, je dis bien im‑pos‑si‑ble de vous renseigner à propos de ses visiteurs.

C’est net, clair, précis et indélébile.

– Voulez‑vous me montrer le plan de l’entresol? fais‑je avec autorité.

Il semble surpris mais va ouvrir un classeur dans lequel il se met à farfouiller. Il revient, tenant un bleu.

– Indiquez‑moi là‑dessus les appartements du prince, je vous en prie.

Le dirlo, très à contrecœur (et à contresens de l’histoire), prend un crayon et me désigne des rectangles accolés à des carrés.

– Ici, son entrée sur la rue… Un salon, une chambre, un bain, un dressing‑room. Une autre chambre avec bain; une autre encore, un cabinet de travail et une salle à manger.

Moi, San‑Antonio, vous savez de quelle initiative je suis capable de faire preuve.

Je demande en montrant la salle à manger.

– Cette pièce est limitrophe d’un autre appartement?

– Oui.

– Alors, il me faut cet appartement, monsieur le directeur.

Il reste, baba, ébahi, ébaubi (et Bobby que devient‑il?), incrédule, outré, ravagé. Moi, simple mortel sans pedigree ni sang bleu, sans blason, sans richesses, sans grade, sans titre, j’ai la prétention de crécher dans son Eden! Quelle audace! Je mériterais d’être fouetté sur la place de la Raie publique! Mille coups de verges, à moi qui en ai administré beaucoup plus!

– Mais, c’est‑à‑dire…, balbultie le cher homme.

– Il me le faut! insisté‑je, je suppose que votre hôtel n’est pas bondé et que les clients évitent les bas étages. C’est uniquement l’entrée indépendante qui a séduit le prince dans celui‑ci.

Et j’ajoute:

– Je serai d’une discrétion absolue et vous n’entendrez plus parler de moi. C’est précisément pour procéder avec un maximum de délicatesse que je veux cet appartement contigu.

Il soupire, décroche son biniou et demande si le 18 est libre. Il souhaite de toutes ses forces que non, mais la réponse m’est audible et il s’en rend compte. Le 18 peut nous accueillir. Il se compose d’un salon, d’un dressing‑room et d’une chambre avec bain. Il ne coûte que cinquante mille francs pas jour; on aurait tort de s’en priver, hein?

– Avec votre permission, je vais vous emprunter ce plan, déclaré‑je en m’appropriant le rouleau du bleu sans, justement, attendre sa permission.

Je me lève, escorté de cette ombre massive et chère qu’est Béru.

– Tu l’as drôlement violé, le vieux crabe, me dit‑il une fois hors du bureau. S’il aurait pas mis les pouces, je crois que j’allais le désosser pour lui apprendre à vivre!

D’après le topo que j’ai en main, c’est le mur nord de notre salon qui est contigu avec le mur sud de la salle à briffer du prince. Luxueux salon à la vérité. Louis XVI d’époque! Et la chambre Charles X (pour ne pas sortir de la famille)[41].

– On se croirait quasiment pour ainsi dire dans un musée, hein? apprécie Bérurier. C’est sûrement beau, mais moi je me sens pas à l’aise dans du mobilier commak. Je suis pour le bonhomme en baisse des Galeries Barbois: confort et simplicité, Mec. Telles sont ma devise. Vise ce canapé avec des jambes comme des cannes à pêche! Tu voudrais butiner une frangine là‑dessus que tu te retrouverais à l’orchestre le temps de faire le point fixe sur sa jarretelle.

Je ne l’écoute pas. Je viens d’étaler le plan de notre étage sur le tapis d’Orient, exprès, et je suppute des choses. Le Dodu s’arrête de jacter.

– On dirait que tu viens placer le chauffage central, remarque‑t‑il. T’as tout de l’entrepreneur en bâtiment qui tire des planches sur la commère.

– On va percer ici! décidé‑je, en désignant un point du mur, à cinquante centimètres du sol.

– Percer! s’étrangle l’Enflure.

Yes, Monsieur l’Inspecteur. Un mignon petit trou, discret, bien rond, bien parisien, pour voir et entendre. Une salle à manger est un lieu où l’on se réunit à heures fixes, où l’on s’attarde et où l’on cause. Grâce à ce trou, nous surprendrons peut‑être certains des secrets du prince.

Il se fourbit avec énergie les broussailles à morpions, deux doigts passés dans le décolleté de son pantalon.

– San‑A, attaque‑t‑il d’un ton où perce un embarras presque aussi considérable que celui du carrefour de l’Opéra à six heures du soir, San‑A., je sais que t’es mon supérieur et qu’en général tu phosphores correctement: pourtant, je voudrais te souligner que nos deux gonzesses ont été kidnappées et qu’on ferait mieux de procéder dans la vigueur si on veut les retrouver mortes ou vivantes, plutôt que de jouer les mateurs de pissotières en perçant des trous dans les cloisons.

Il ressort ses doigts fourrageurs des profondeurs en friche où ceux‑ci s’égaraient et continue, acide tout à coup:

– On mène cette enquête comme si qu’on serait pas cons cernés, Mec. Et ça me des cons certes. On questionne des gus, des prostiputes, des hôteliers… Au lieu de mobiliser tous les effectifs disponibles pour fouiller Paname!

Je m’approche de lui et, napoléonien en diable, bien que nous soyons dans un cadre Louis XVI, je lui saisis le lobe entre le pouce et l’index.

– Alexandre‑Benoît Bérurier, dis‑je, je conçois votre amertume, et je partage votre peine. Mais nous sommes policiers, vous et moi, avant d’être hommes. Nous mènerons donc cette enquête telle qu’elle doit l’être, sans céder à nos préoccupations intimes, déposant d’un cœur léger le fardeau de notre angoisse sur l’autel du devoir professionnel. Pas d’accord?

C’est très simple: il en pleure d’émotion. Des paroles pareilles, ça lui fouette le courage, lui transcende le stoïcisme, lui masturbe l’abnégation, lui surglande le sacrifice.

– T’as raison, balbutie‑t‑il. On ira jusqu’au bout, en vrais poulets, San‑Antonio. En ce qui me concerne moi‑même personnellement, je mets mon brassard de veuf dans le plateau de la balance!

Vous le voyez, mes amis, la noblesse de sa réponse ne le cède en rien à celle de ma question. Bref instant d’émotion au cours duquel nous nous donnons mutuellement l’accolade.

– Et maintenant, au boulot! dis‑je.

Béru se dépardingue et, en geignant because sa miche brûlée, il s’agenouille au pied du mur. Il sort d’une poche un vaillant couteau suisse aux multiples lames, dégage un poinçon et se met en devoir de percer le mur. Il grattouille le papier à rayures de la tapisserie, puis, immédiatement, pousse un juron.

– Inscrivez pas de bol! dit‑il, le mur est en marbre!

– Quoi!

– Vérifie de visu et de tâtu, mon pote! Ma parole, le proprio de cette crèche devait avoir une carrière dans son jardin! Jamais on va pouvoir percer ça! En tout cas pas avec mon poinçon. Il a beau être suisse, il est pas fait pour déguiser les blocs de marbre en gruyère! Faudrait un ciseau à froid et un marteau.

– Alors va en acheter!

Il y va. Demeuré seul, je m’allonge sur le canapé pour réfléchir. Seulement mes idées se bousculent au portillon. Devant le Gros je joue les Bayard, mais croyez‑moi, j’ai un chagrin terrible à cause d’Odile. Une gentille petite femme comme elle. Je la revois dans son manteau noir à col blanc… Ça me rend tout lugubre du dedans. Odile…

Je ne vais tout de même pas m’écrouler, non? J’avise un poste de radio astucieusement dissimulé dans un petit bonheur‑du‑jour en bois précieux. Un bonheur‑du‑jour! Tu parles!

Je tourne le bouton au moment où un «spiqueurannonce qu’on va diffuser un concert de musique classique après le bulletin d’informations, comme dit Ferré. C’est bon pour ce que j’ai, la musique classique. Ça vous décante l’incertain, ça vous oriente le vague à l’âme… Odile… La vie… La mort… Et moi! Et moi, perdu dans ce monde volcanique, barbotant dans la lave, cherchant désespérément le chemin qui conduit ailleurs! Moi et la vie ligoteuse, moi et la mort patiente qui fait dodo comme un gros chat, et qui entrouvre un bout d’œil de temps à autre pour s’assurer que je suis bien là. Moi et des gens. Des gens qui m’aiment, des gens qui tuent, des gens qui turlututent…

A la radio on a droit à du Bach. Toccata et Fugue en ré mineur. C’est noble, la musique d’orgue. Ça ressemble déjà au Paradis. Ça doit être tartant, le Paradis, solennel, pompeux, guindé, distingué, chiatoire. Plein de petits‑fours moisis, de lourdes tentures, de lustres à pendeloques et de larbins gourmés aux ailes amidonnées. Peut‑être qu’on se marre mieux en enfer pour peu qu’on supporte bien la chaleur? On me donnerait le choix, là‑haut, quand j’arriverai dans l’antichambre, parole d’honneur j’hésiterais. J’aime trop le risque pour choisir la solution confortable. La quiétude, c’est la mort; le danger, au contraire, c’est la joie de vivre. Ça y est, je monte en fumée. Vous allez vous dire: San‑A., il recommence à se faire mousser le pied de veau, il déraille du sujet… Excusez, on a le droit de sortir dans la cour pour pisser pendant le banquet, non? Et puis je préfère vous affranchir une bonne fois. Votre San‑A., vous lui demanderiez seulement des histoires policieuses, il vous enverrait sur les bégonias! J’suis l’anarchiste gentil de la littératouille policouille, moi.

Je veux bien vous entraîner dans les péripétiques enquêtes bourrées de massacres et de sucepince, mais faut me laisser jouer de la flûte quand l’envie m’en prend. Lorsque le Président (directeur‑Général) se fait gommer la prostate, vous vous impatientez pas. Vous vous dites qu’après tout il est homme et qu’il a droit de faire relâche pour qu’on lui colmate les brèches, non? Moi, c’est pareil, mes lapins. Quand je me sens trop de vapeurs pernicieuses, ma soupape fait «Tuuut‑tuuut», alors me brusquez pas! J’en sais qui vont dire que je suis pas convenable, c’est leur dada. Ils voudraient que je soye San‑Antonio avec un beau langage doré au blanc d’œuf comme le pain dit de fantaisie: ça vous paraît possible, vous, San‑A., style Proust‑proust? J’aimerais mieux me coller ma plume dans le train pour me déguiser en canari. Ma prose revue et corrigée par un chirurgien esthétique, elle aurait la frime de ces bergères ronéotypées par le même visagiste. Les gens sont salauds! Et leur drame c’est qu’ils ont pas le courage de l’être tout seuls. Faut qu’ils se fassent aider, qu’ils adeptionnent. Leurs devises? Plus on est de salauds, plus on renie! Plus on est de salauds, plus on ricane! Plus on est de salauds, moins on risque! Je les en veux pas, comme dit A.‑B.

Retour du copain Béru with the matériel adéquat.

Il retombe le pardeuss, retrousse ses manches et va pour commencer son turf, mais le premier coup ébranle toute la pièce. Rien que les vibrations, ça nous envoie valdinguer.

– On va rameuter tout l’hôtel, Gros, désespéré‑je.

Il se gratte le crânibus.

– En effet, ça manque de discrétion!

Il entortille la tête du ciseau dans un napperon et réitère. C’est un peu plus assourdi, mais tout aussi vibratoire.

Ah! je vous jure, on a droit à tous les coups de semonce du destin dans cette fichue aventure. Y a des moments que je me demande si on devrait pas carrément changer de bouquin, vous et moi, se rabattre sur l’Avis des termites ou sur «Madame Beau varie», des fois même carrément relire la Bible histoire de rigoler pour de bon, sans feu mes artifices.

– Mât cache Bonnot! déplore Bérurier. Si on se paie la séance de maçonnerie, on va voir radiner la garde. Le marbre, c’est beau, mais c’est dur…

Il se tait. Un sourd accablement flotte dans le salon. La Toccata et Fugue de Monsieur Jean‑Sébastien Bach s’achève. L’os piqueur annonce la Cinquième Symphonie de notre regretté camarade Beethoven (dit Lulu‑les‑portugaises‑fanées). Les quatre coups brefs fortissimo débutant l’ouvrage qu’ils suffirent à rendre célèbre, retentissent, ébranlant les vitres. Béru fait la grimace. Puis il se détend, écoute la répétition de ce thème qui surprend l’éventail à libellules non habitué et sourit. Cet être inculte serait‑il sensible à Beethoven? Il attend encore un instant, puis il demande:

– Ce morceau, tu sais comment t’est‑ce qu’il s’appelle?

– C’est la 5e de Beethoven, renseigné‑je.

Il va au téléphone pour mander d’urgence le personnel. Un garçon d’étage se présente, obséquieux.

– Je voudrais un tourne‑disque, lui déclare Bérurier. Et faudrait m’apporter également un morceau de Beethoven, bien fort dans la cinquième, compris?

– Je vais faire le nécessaire, monsieur. Par la Philharmonique de Berlin?

– Faites‑le‑moi apporter par qui t’est‑ce que vous voudrez, mais que ça saute!

Le garçon s’enfuit. Béru s’abandonne à la symphonie du Maître. Il semble envoûté.

– Tu as eu le coup de foudre? je lui demande.

– Plutôt le coup de marteau. Tu vas voir…

J’avoue ne pas comprendre. Comme il refuse de s’expliquer je préfère attendre sa démonstration. Au Seigneurial, il faut reconnaître qu’il y a de la célérité. C’est la taule où l’on peut demander n’importe quoi, on est servi dans la demi‑plombe qui suit. Bientôt, l’esclave revient avec l’électrophone et le disque.

– Il est en stéréo, dit‑il.

– Qu’il soye en stéréo ou en matière plastique je m’en tamponne, rétorque le Quasimodo des Palaces.

Dès que l’employé s’est retiré, après avoir empoché les cinq centimes (nouveaux) dont l’a gratifié Béru, ce dernier pose le disque sur le plateau et coupe la radio.

– Tu démarreras quand je serai paré pour la manœuvre! m’avertit mon ingénieux collaborateur.

Il s’agenouille au pied du mur, le ciseau appliqué contre la cloison, le marteau dans l’autre main, prêt à frapper.

– Mets toute la sauce, San‑A.!

Je branche en donnant tout le volume et les quatre notes fatidiques éclatent, à vous faire péter la boîte crânienne. Pom, pom, pom, pommm[42]!

Béru? Un virtuose! Sur les quatre notes il a frappé quatre fois la tête du ciseau. Un peu de poussière blanche pleut sur la plinthe. Il attend la suite, l’utilise avec le même brio. Chaque fois que le motif éclate il cogne avec un louable synchronisme. Pan, pan, pan, pannn! Pan, pan, pan, pannn!

Cher Béru! Génial Béru! Le système «Dfait homme! Peu de cervelle, mais ce peu est si bien employé!

«Pom, pom, pom, pommm!fait la Philharmonique de Berlin sous la direction d’Herbert von Karajan. Pan, pan, pan, pannn! rétorque en même temps le ciseau à froid sous la baguette à tête d’acier du maestro Alexandro‑Bénito Béruriéro. Et le mur se fore. Maintenant il y a déjà un alvéole de la capacité d’un dé à coudre dans la cloison. Comme, après son fracassant début, Beethoven s’est perdu dans les méandres de son inspiration, Béru, crispé, ardent, murmure:

– Remets à zéro, Mec!

Je remets et il remet ça. Pom, pan, pom, pannn!

Nouvelle rafale. Soudain on tambourine à notre lourde.

– Planque tes outils! enjoins‑je.

Je vais ouvrir et me trouve face à face avec un vieux monsieur vêtu de noir, dont le crâne déplumé s’orne d’une couronne mousseuse de cheveux blancs qui lui tombent dans le cou. Il me semble reconnaître ce personnage. J’ai déjà vu – mais z’où? – ce regard bleu et distrait, ce nez crochu, cette bouche en accent circonflexe, cette cravate grise nouée comme une ficelle.

– Monsieur? interrogé‑je.

Il se présente d’une voix sèche teintée d’un fort accent germanique – ou issu de germain.

– Walter Klozeth.

J’en ai un chavirement admiratif dans le fondement et ses régions limitrophes.

Walter Klozeth, le fameux pianiste international (d’ailleurs un instrumentiste est toujours international). Celui qui remplit les plus grandes salles de concert du monde! Celui dont les critiques ont écrit qu’avant sa venue, le piano n’était qu’un instrument à percussion auquel il a donné une répercussion».

– C’est intolérable, déclare le Maître. Qui vous a permis de massacrer Beethoven?

Il entre en m’écartant d’une bourrade exaspérée, fonce à l’électrophone et branche l’appareil.

Pom, pom, pom, pommm! fait docilement ce dernier.

Le vieillard l’arrête et se retourne.

– Je n’ai pas rêvé, dit‑il. Beethoven commence sa Cinquième par trois sol et un mi bémol. J’occupe l’appartement voisin et je suis sûr d’avoir entendu trois «do! Or le disque est juste, alors?

On le regarde. Il est énervé, inquiet.

– C’est l’épaisseur du mur qui aura déformé votre audition, Maître, suggéré‑je.

Il secoue la tête.

Nein, mon garçon. Il s’agit d’autre chose…

On entend floc! C’est le ciseau à froid qui, traversant la poche percée du Gros vient d’atterrir sur le parquet. Béru se baisse pour l’escamoter. Ce faisant, le marteau lui tombe de l’autre fouille.

Le Maître éclate de rire.

– Très drôle, j’ai compris, vous frappiez en même temps?

On ne prend jamais Sa Grosseur au dépourvu, ou alors faut se remuer le panier.

– Je perçais un trou pour le téléphone, explique‑t‑il. Et je ne voulais pas déranger les autres pensionnaires… Le travail en grande musique, y a que ça!

– Bravo, mon ami! exulte Walter Klozeth. Seulement respectez l’écriture de notre Grand Beethoven.

Il prend les outils et, en se faisant craquer les articulations, s’accroupit devant le trou désigné par Bérurier. Il cogne sur le ciseau, pose sa pochette de soie sur l’instrument, réitère…

Un beau sourire maestral éclaire son visage de virtuose surmené:

– Sol! glapit‑il. Sol, sol, sol, mi i i i‑bémol!

– D’accord, prof, grommelle Béru, mais faudrait voir à cracher de l’huile de coude, biscotte vos «solrectifiés sont peut‑être très musicaux, mais ils avancent pas mon trou.

Le cher grand homme sourit nostalgiquement.

– On peut mettre en harmonie la puissance et la musique, mon ami.

Béru lui refile le départ de la «Cinquième(mais pas dernière, puisque, plus fort que France‑Soir, Beethoven est allé jusqu’à la Neuvième). «Pom, pom, pom, pommm!»

Il y met toutes ses dernières forces, le vibrant et sublissimo maestro. Tant est si bien qu’à la quatrième note il se cogne les doigts. Le sang se met à raisiner de ses précieuses phalanges éclatées.

– Mon concert! Mon concert de ce soir à Pleyel! hurle‑t‑il.

L’index et le médius! De la main gauche, d’ac, mais ça n’est pas tout à fait inutile une main gauche lorsqu’on est un virtuose et qu’on doit interpréter le même jour le Concerto en clé à molette de Francis Lopez, la Sonate d’Alharm, et la Symphonie Plastifiée en uppercut majeur des Etablissements Bitougnot de Carry‑le‑Rouet[43]. Le maître pourrait donner à penser qu’il est maître à danser vu qu’il interprète la danse du scalp. Il tourne en rond, saute les fauteuils, glapit, saigne, s’égoutte, se trémousse dans le salon. Il souffre, mais c’est surtout la pensée de son concert compromis qui le ravage.

Béru le neutralise en le saisissant à bras‑le‑corps.

– Calmez‑vous, grand‑père, lui dit‑il, pas la peine de jouer l’air du toboggan fantôme à votre palpitant, en supplément de programme. Manquerait plus que vous nous fassiez une infrastructure du myocarde sur la carpette pour tout arranger!

– Mais mon concert, mon concert, ce soir!

– Démoralisez‑vous pas, vous jouerez d’une main. Anatole, un de mes petits neveux, interpr&egrav

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