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Ïîëåçíîå:

Êàê ñäåëàòü ðàçãîâîð ïîëåçíûì è ïðèÿòíûì Êàê ñäåëàòü îáúåìíóþ çâåçäó ñâîèìè ðóêàìè Êàê ñäåëàòü òî, ÷òî äåëàòü íå õî÷åòñÿ? Êàê ñäåëàòü ïîãðåìóøêó Êàê ñäåëàòü òàê ÷òîáû æåíùèíû ñàìè çíàêîìèëèñü ñ âàìè Êàê ñäåëàòü èäåþ êîììåð÷åñêîé Êàê ñäåëàòü õîðîøóþ ðàñòÿæêó íîã? Êàê ñäåëàòü íàø ðàçóì çäîðîâûì? Êàê ñäåëàòü, ÷òîáû ëþäè îáìàíûâàëè ìåíüøå Âîïðîñ 4. Êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû âàñ óâàæàëè è öåíèëè? Êàê ñäåëàòü ëó÷øå ñåáå è äðóãèì ëþäÿì Êàê ñäåëàòü ñâèäàíèå èíòåðåñíûì?


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LA TOURNÉE DES GRANDES‑DUCHESSES 4 page





On se dit qu’il n’est plus tolérable, l’homme, qu’il a raison de vouloir se tailler dans le cosmos, vu qu’il devient franchement indésirable sur cette terre. Il a perdu l’usage de notre planète. Une démission terrestre! C’est déjà la décélération pour un piqué aux Enfers. On rencontre un mec portant dans le dos une immense croix tatouée, ça lui part du cou, ça lui descend jusqu’à la raie des miches et, dans le sens de la largeur, ça va d’un poignet à l’autre… C’est le moindre mal, le cas le plus bénin, de la broutille… Plus loin, on trouve un zigoto inconditionnel auquel Jeannot a tatoué le portrait du Général sur la poitrine[19]. C’était entre le ballottage et l’élection. Il avait pris peur pour son idole, alors il a voulu l’avoir dans la peau, notre général. Le faire participer à sa vie intime; le frotter sur les nichons des dames. L’été, il l’emmène bronzer. Le président revient tout noircicot de Palavas‑les‑Flots; une mine superbe, ça lui fait! C’est la consécration suprême, il me semble, vous trouvez pas? Avoir sa frime dans le marbre ou le bronze c’est rien; mais l’avoir gravée dans la chair vivante de ses contemporains, mince! c’est autre chose, ça va loin, ça recule les limites de la vénération. Ça vous déifie! Tous les gnaces qui lui passent la grosse lichouille, à de Gaulle, est‑ce qu’ils seraient seulement capables d’en faire autant? Hein? les ministres, les féaux, les apologistes, les biographes obséquieux, qu’est‑ce qu’ils attendent pour trotter chez Jeannot? Ils auraient le patron à vie sur le buffet, en couleur et avec ses étoiles. Se faire graver pour l’éternité le symbole vénérable de la Ve dans le lard, ça doit être tentant. Faut qu’ils y aillent, je jure que c’est du beau travail, vachement ressemblant et pouvant affronter les intempéries, l’ouate thermogène, les révulsifs les plus corrosifs… Je serais le Général, j’exigerais ça comme témoignage d’absolue sincérité, de loyalisme éperdu. Si bien que les réceptions élyséennes auraient lieu en tenue de corsaire. Tous les jules torse nu pour exhiber leur tatouage! Certains arboreraient un de Gaulle en civil, d’autres un de Gaulle en uniforme, on trouverait des tas de variantes.

On le représenterait par exemple au Forum, en train de jevousaicomprendre. Ou bien, pour les gros, dans des scènes allégoriques, avec les ailes de la Victoire au képi, boutant les Allemands ou les Américains hors de France. Et puis tenez, une somptueuse fresque: le président pendant sa conférence de presse, avec la forêt de micros devant lui, et à ses côtés, les ministres qui roupillent. Mais je les connais: ils ne le feront pas, je prédis. Leur dévotion ne va pas assez loin. La ferveur, c’est un costume des dimanches, ils se réservent presque tous la possibilité d’en changer. Outre le gaulliste tatoué, l’album montre d’autres dessins bien étranges. Une tombe! Un jardin botanique… La palme (à propos de jardin botanique) revient tout de même à un petit fripon qui s’est fait déguiser le zigouigoui en souris. En v’là un que sa nana devait trop appeler mon rat! C’est frappant comme transformation. Son bigoudi folâtre, c’est textuel une mignonne souris, avec de petites oreilles, de la moustache et des yeux gentils.

Le camarade Béru éclate de rire.

– Ah! je te jure! fait‑il en brandissant l’album, la mine des madames quand il leur déballe l’objet! Elles doivent grimper sur la table en criant au charron, les pauvrettes!

– Pas de danger, sourit avec indulgence Jeannot, le client en question était de la jaquette flottante.

– Si bien que sa souris, il la réserve à des tapettes! pouffe le gros Patapouf.

– Espère un peu, Béru, ricane Jeannot, sa souris n’est souris que lorsqu’il fait relâche, dans ses moments d’épanouissement elle doit devenir un beau rat d’égout.

Cette conversation de salon nous permet de mener à terme le tatouage de l’Arabe. Il finit la couleur, Jeannot. Du vert pour le boa, du jaune pour la panthère, plus du blanc pour ses crocs. Un dernier coup d’éponge et voilà le chef‑d’œuvre terminé, le client se l’admire dans la glace. Il est un peu pâlichon mais ravi.

– J’osais plus me montrer sur une plage, dit‑il, tandis que maintenant…

– Maintenant tu auras du succès! prophétisé‑je.

Jeannot lui fait un pansement avec de l’ouate cellulosique et, fouette cocher, le retatoué part à la conquête du monde, sa panthère et son boa au bras.

– Oh, marre! soupire Jeannot lorsque le copain nordaf a vidé les lieux.

Il ôte le bec‑de‑cane de la porte:

– J’ai pas arrêté de la nuit, je me suis fait trois soldats américains et le fils d’un diplomate; un petit révolté qui rapplique ici chaque fois que son father l’engueule. Il se fait tatouer un truc nouveau pour réagir contre son milieu, c’est sa façon de dire merde à ses vieux. Il choisit des motifs salés. Vous verriez son dos, on dirait des gogues de caserne. Le jour où madame sa mère va vouloir lui poser des ventouses, elle aura des vapeurs, moi je vous le dis…

Tout en parlant, il sort une bouteille de scotch et trois verres.

– Y a pas de glace, mais le cœur y est, fait généreusement Jeannot en nous votant des rasades de facteur. Alors, vous vouliez me causer?

– D’après les photos que j’ai pu admirer, l’attaqué‑je, il vous arrive de tatouer des femmes?

Il cligne de l’œil.

– Et comment! c’est même l’agrément de mon boulot. Il y en a qui se font décorer les seins, les meules, on même le cadre noir de Saumur, ça vaut la séance, croyez‑moi!

Il hoche la tête et ajoute:

– Pas toujours, notez bien. Il m’arrive de bricoler des tartes… Tiens, la semaine passée, j’ai été contacté téléphoniquement par une dame de la Haute, le secret professionnel auquel je ne suis pas astreint m’empêche de vous dire son nom… Elle voulait un traitement à domicile, la chère âme. Je me pointe, salon, musée avec portraits d’ancêtres… Sept cents mètres carrés d’appartement avenue Foch, faut les posséder! On m’introduit dans la chambre d’une mémée plissée‑soleil qui se morfondait dans un plumard à baldaquin. Non, son blaze, insistez pas, je vous le dirai pas, surtout à des poulardins, soit dit sans vous offenser, dans votre labeur, vous voyez trop de monde et vous picolez trop, les secrets des gentilshommes, c’est pas pour vos pieds. La douairière avait les yeux qui lui pendaient sur les joues à force d’avoir chialé. «Mon ami, qu’elle me dit, je suis au désespoir… chagrin d’amour.Je m’écarquille pour essayer de piger. Elle allait gaillardement sur ses quatre‑vingts piges, la vioque. Ça vous cisaille le souffle, des aveux pareils. Enfin, continue l’intarissable Jeannot, je m’économise la stupeur pour encaisser la suite. Voilà madame la mémé qui me sanglote: «J’avais un jeune amant, vingt‑deux ans, un marin…»

Entre nous, parenthèse‑t‑il, il y a guère qu’un mataf qui soye susceptible de faire étinceler une vieille peau aussi décharnée. Ah! merde, il devait drôlement être sevré, le môme, ou alors, la chair fraîche lui filait de l’urticaire. J’en avais des frissons à penser qu’un jeunot pouvait calcer cet épouvantail, même qu’elle lui aurait offert un contre‑torpilleur pour qu’il fasse joujou.

Il m’a quittée, l’ingrat, larmoie‑t‑elle; alors, en souvenir de lui, je voudrais que vous me tatouiez sur les fesses, la même ancre marine qu’il avait sur les siennes!

Jeannot vide son verre et se hâte de le remplir. Une telle évocation lui flétrit les muqueuses.

– Une séance pareille, j’en souhaite pas à mon pire ennemi, affirme‑t‑il. Ah! les miches en goutte d’huile de mémère, mes bons amis, son pauvre cuir flapi. J’avais l’impression de tatouer un accordéon!

Je profite de ce qu’il reprend sa respiranche pour lui fulgurer ma botte secrète, à savoir – encore et une fois de plus – la photo de Fräulein Hildegarde.

– Dites, Jeannot, vous n’auriez pas eu ce petit lot parmi vos récentes clientes, des fois?

Il était en train de sourire. Ça lui fiche de l’incrédulité dans l’expressif.

– Bon Dieu, si! clame‑t‑il.

Pour le coup, j’ai le palpitant qui se déguise en pâquerette. Béru, quant à lui, libère une série d’exclamations presque mélodieuses.

– Cause! Cause! exhorte‑t‑il.

– Voilà quinze jours – trois semaines, j’ai rectifié une bricole à cette poupée, déclare Jeannot en redoublant de vivacité. Une môme, mes aïeux, comme je vous en souhaite tous les matins en guise de petit déjeuner!

– Vous lui avez déguisé une croix gammée en bouquet de fleurs, pas vrai?

Il me refile en expresse un regard complimenteur.

– Exaguete!

Béru est emporté par son enthousiasme. Il entrevoit des aurores toutes plus boréales les unes que les autres et, dans sa fougue, saute au cou de Jeannot pour lui plaquer deux bisouilles sur les râpeuses.

– Non, mais tu prends du rond en vieillissant, Béru! s’exclame le violé en s’époussetant les filaments. Qu’est‑ce qui te prend de me faire un coup de lèche‑vitrine à l’improviste, mon pote? T’as bouffé des hormones femelles ou si c’est le futur printemps qui te fait germer?

– S’cuse‑moi, soupire Sa Rondeur, mais on est après cette garcerie de n… de D… de s… de v… de m… de p… d’ordure[20] depuis belle lurette et on parvenait pas à se rencarder sur ses fesses et gestes. Ceux qui l’ont connue, ç’a été pour nous dire qu’ils savaient rien d’elle. Sachant qu’elle avait été tatouée, on est passés chez toi comme le pêcheur bredouille passe chez le poissonnier pour voir s’il a eu un arrivage de goujons. M’est avis, triomphe‑t‑il à mon endroit (lequel vaut l’envers de n’importe qui et de n’importe quelle), m’est avis que j’ai été bien aspiré.

– Comme le H du même nom, gars, approuvé‑je. Jeannot, vous allez tout nous dire sur cette gonzesse, depuis petit a jusqu’à Z majuscule. Je veux savoir ce qu’elle vous a dit, ce que vous savez d’elle, ce que vous pensez d’elle. Tout, m’entendez‑vous? Les histoires professionnelles que vous nous avez narrées avec tant de pittoresque me donnent à penser que vous allez nous régaler d’un récit détaillé.

Vous admirez ma technique, mes cadets? Ne jamais oublier de lubrifier un mec pour que ça tourne rond. Un gars, c’est comme une machine: mieux il est huilé, mieux il fonctionne.

Il rosit, Jeannot. La louange, ça lui bouscule l’afflux sanguin.

– Exagérons rien, dit‑il, c’est quand même pas les Mille et Une Nuits que je vais vous réaliser en 70 millimètres!

Il whiskyte à la ronde. On commence à avoir le couvercle qui trépide, le Gravos et moi, depuis le temps qu’on sirote des trucs alcoolisés. C’est pourtant réel, ce qu’il disait y a un instant, le copain tatoueur: dans la poulaille, c’est fou ce qu’on écluse par obligation et par nécessité. Pour embrasser cette profession à pleine bouche, il faut avoir la foi, avoir le foie blindé et ne pas avoir les foies.

Jeannot se recueille comme le pèlerin exténué devant le caillou sacré de La Mecque. Je sens qu’il veut, nonobstant son préambule, faire bien, nous bâtir une chouette pièce montée.

– Voilà, commence‑t‑il en fixant le vague pour y lire des trucs, ça a démarré un soir… J’étais en train de tatouer un naufrage dans le dos d’un matelot pessimiste, lorsque Rita est entrée. Rita, que je vous précise, c’est un petit tapin de la Madeleine à qui j’ai rendu un foutu service. Son jules l’avait décoiffée avec un tesson de bouteille, lui scalpant un bon morceau de cuir chevelu, et je lui ai bricolé sa plaque au crâne de telle sorte qu’il faut maintenant mettre des lunettes pour s’apercevoir qu’il lui manque du gazon. Donc, v’là Rita qui rapplique et qui me dit: «Jeannot, j’ai une collègue qu’aurait besoin de ta machine à coudre. C’t’une fille un peu braque, du genre sauvage. J’y avais cloqué ton adresse, mais le jour qu’elle est venue, elle a vu ton cirque plein de trèpe et elle a pas osé rentrer; tu pourrais pas venir lui travailler la carrosserie dans mon appartement?

Qu’est‑ce qu’elle a, ton ingénue libertine? je lui demande.

La môme Rita baisse son registre:

C’est une Allemande, elle me répond. Figure‑toi que son vieux était un dignitaire nazi tellement maniaque d’Hitler qu’il a fait tatouer une croix gammée sous le bras de sa fille quand elle est née. De nos jours, ça fait un petit peu bizarre, surtout sur une personne de ma corporation qui passe son temps à se déloquer. Elle a beau essayer de cacher ce cadeau, y se trouve toujours un futé qui met le nez dessus. Y en a que ça fait rigoler, mais la plupart ronchonnent. Le patriotisme, faut pas croire que les bonshommes le collent dans le porte‑parapluies quand ils grimpent à l’hôtel; surtout que son vice, à ma potesse, c’est le génaire arrivé, donc le type qu’a vécu à l’époque du pas de l’oie. Il lui arrive de tomber sur des intraitables qui refusent de payer la course sous prétexte qu’y a duperie sur la marchandise. Allemande, ils veulent bien, ça les excite; mais compostée SS, ça les offusque. Ça serait une croix chrétienne, la religion tout le monde tolère… Une croix de Lorraine, même, à la grosse rigueur, ça peut tout juste faire dégoder un anti‑Charles acharné, mais une croix gammée, c’est le désastre.

Jeannot nous oblige à trinquer afin que nous nous humections le conduit en chœur. Il boit et reprend, passionné par son propre récit:

– Pas la peine d’en faire une fausse couche, Rita, je l’ai interrompue, je vais lui remanier sa dédicace, à ton Allemande. Sa croix gammée, quand j’aurai exercé mes talents, ça sera devenu une croix gommée!

Il guette nos sourires et, magnanimes, nous les lui distribuons à pleine denture. Satisfait, le cher Jeannot, Jeannot‑le‑disert, Jeannot‑la‑faconde, continue:

– On prend rendez‑vous pour le lendemain midi, chez Rita. Elle crèche dans un petit meublé, rue des Acacias. Bath immeuble avec ascenseur et marbre à profusion, il y en a même tellement, du marbre, qu’on se croirait au Père‑Lachaise, dans la travée des macchabées de luxe. Le métier de gagneuse, faut admettre que c’est lucratif; n’importe laquelle se fait au moins quarante papiers par jour, nets de toute taxe. Quand je pense à ma mère qui s’est échinée à faire des ménages pour m’élever…

– Autres temps, autres nurses, affirme Bérurier dont les conclusions s’inspirent toujours de clichés éprouvés.

– Donc reprend Jeannot, je me pointe chez Rita. Qu’avisé‑je dans son plus moelleux fauteuil? La gosse en question, termine‑t‑il, bien que nous l’eussions déjà deviné.

Il me reprend le cliché des pattes et l’examine d’un œil allumé.

– Elle était nue sous un peignoir en tissu éponge noir qui mettait en valeur ses cheveux blonds et sa peau dorée. Un Tanagra! Ah, croyez‑moi, mes bons archers, mais je me suis senti un tigre dans le moteur. Et alors, quand elle a posé sa pelure pour me montrer l’objet du délit, j’ai cru que j’allais pouvoir marcher au plafond sans parachute à ventouse. Croix gammée ou pas, je lui aurais filé un aller‑retour pour Extase‑City sans me faire rembourser, tellement elle était appétissante, cette petite Germaine. C’était pas du sujet de cotillon, je vous le garantis. J’ai jamais pigé pourquoi des nières vous portent au sottisier et pas d’autres! A mon sens, voyez‑vous, philosophe ce brillant causeur, c’t’une question d’effluves. On se croit moins malins que les clebs, question pif, mais vous ne m’ôterez pas de l’idée – sans y mettre le prix – que notre odorat est aussi développé que çui des toutous, seulement il fonctionne dans notre subconscient.

Il doit lire sur mon glorieux visage une crispation d’impatience car il s’empresse d’ajouter «brefet de passer aux choses plus captivantes.

– Je lui ai camouflé sa croix gammée en pervenche, révèle‑t‑il. Les pétales de la pervenche, regardez‑les bien: c’est déjà une croix gammée. Un peu d’asparagus autour, pour que ça fasse plus printanier et le boulot était terminé. Pendant le travail, elle n’a pas bronché: pas une plainte, pas un soupir. Pourtant, mon passe‑lacet dans la chair tendre, c’est pas jouissif. Même pour une fille de nazi, c’est pas de la papouille homologuée!

– Tu lui as causé pendant la séance? interrompt Bérurier.

– Bien sûr. Je lui parlais de la «biautifoule Germany» où j’ai tiré quatre ans de vacances, tous frais payés. Au départ, elle en mouftait pas une broque, mais moi, comme facteur, vous me faites confiance?

Il rit.

– J’ai jamais connu un zig plus volubilis que toi, assure le Gros. Celle qui t’a coupé le fil de la menteuse, elle voyait pas la portée des conséquences, autrement sinon elle t’aurait plutôt collé de l’albuplast sur le diffuseur!

On re‑rit. L’ambiance s’est assouplie depuis que nous sommes chez Jeannot. Rien de plus communicatif que la bonne humeur. Un gars marrant, c’est un bienfaiteur de l’humanité. Il vit pour plusieurs personnes à la fois. J’adore les individus pittoresques, c’est toujours notre grande aventure, l’humain. Les plus baths safaris, on les fait pas dans la brousse on dans la jungle, mais en tête à tête avec des êtres nouveaux. C’est à cause de pourquoi, comme dirait Béru, je m’étends toujours sur mes rencontres pittoresques dans mes calembredaines, vous avez observé déjà? Je pense que lorsqu’on entreprend d’écrire – ne fût‑ce que des San‑Antoniaiseries – c’est avant tout pour raconter les autres: leurs gueules, leurs manies, leurs travers, leurs idées… Moi, chez un bipède‑à‑bretelles, je m’intéresse autant à ses défauts qu’à ses qualités. Les défauts, c’est les bulles de son âme, ils viennent de la misère qui stagne au fond de lui et que la vie remue avec une gaffe, comme on brasse la fosse à merde pour que le jus et le consistant se mélangent bien avant le pompage. Et puis qu’est‑ce que ça signifie, des qualités ou des défauts? Y a pas de vraiment bons, y a pas de vraiment méchants, y a que des pauvres vivants empêtrés en eux‑mêmes. Ceux qui ont vécu d’avoir tué et ceux qui sont morts d’avoir trop vécu, en fin de compte, ça donne le même humus.

Une belle rencontre, Jeannot. Il termine le boulot de Dieu en décorant les viandasses. La décalcomanie sur peau de dargif! La mosaïque ventrale! Le tatouage? Poésie ou bien besoin de s’affirmer?

L’automutilation rejoint la volonté de s’accomplir. Je louche sur deux photos représentant, grandeur nature, le même bonhomme en pied. Il est pavoisé des orteils à la naissance des tifs. Il a du lierre après une canne, des rosiers pompons le long de l’autre, le Vésuve sur le bide, la baie des Anges sur la cage à éponges, une dame sodomisée par un âne dans le dos, un coffre‑fort à deux portes sur les miches, une interminable arête de poisson sur le bras gauche, la carte du Chili sur le droit, un collier de perlouses (à trois rangs) au cou, des motifs égyptiens sur les joues et la Croix du Sud au front. Ce qui m’intéresserait, ce serait son cervelet; qu’est‑ce qu’il avait dedans, ce délirant de l’aiguille encreuse pour déguiser ainsi ce corps, que lui ont transmis les hommes, en première page de revue? Quel tourment le hantait? Quels désirs confus, lancinants? Hein, répondez? Vous croyez qu’il s’est assouvi au moins en engloutissant sa chair dans une marée de graffitis? J’espère pour lui. J’examine ses yeux, ils sont morts, ils sont blancs de tristesse… D’ailleurs matez bien les yeux d’une photo, vous y trouverez toujours, en surface ou en profondeur, la même tristesse tragique parce que organique. Le même appel informulé. Ça hurle au secours en silence. Tragédie de mes oignons, va! Foutaise ambulatoire! Masques dont les trous des yeux sont percés sur l’infini.

– Ainsi, je demande, vous êtes parvenu à la faire parler?

– Oh, c’était pas Floriot, se retranche notre ami, mais enfin, elle m’a consenti quelques monosyllabes, comme on dit… Vous causez de son patelin à une personne séjournant à l’étranger sur la pente savonnée du vague à l’âme. Elle m’a dit qu’elle était native des environs de Hambourg où j’ai construit de mes mains quelques abris pour sous‑marins pendant la dernière. Elle habitait un château, au bord de l’Elbe.

Je bois du petit‑lait, voilà enfin quelque chose d’important, de positif…

– Et puis? exigé‑je.

Mais il se gratte l’oreille.

– Et puis je crois bien que c’est tout, penaude‑t‑il, oui. Hambourg, l’Elbe‑tunnel… La propriété dont les pelouses descendaient jusqu’au bord de l’eau. Y avait des cygnes noirs, un kiosque d’amour où, dans les grands jours, son dabe donnait des concerts… C’était plein d’officiers dans le parc, avec leurs tuniques d’apparat à revers rouge et des dames couvertes de prises de guerre. Elle était toute petite fille en ce temps‑là.

– Vous lui avez demandé où elle habitait à Paris? risqué‑je.

– Oui, mais elle m’a répondu «en meublé», si sèchement que j’ai pas osé insister.

– Et son nom de famille? Vous vous êtes bien présentés?

Il réfléchit.

– C’est Rita qui a fait les présentations, et elle n’a rien d’un chef du protocole, cette chérie. Vous voyez le style? «Ma copine, mon copain», de toute façon, les putains sont comme les romanciers: elles travaillent sous un pseudonyme! Non, vous voyez, c’est tout ce que je peux vous apprendre sur elle.

Il achève de répartir le whisky.

– A propos, qu’est‑ce qu’elle a fait de grave, ma pervenche?

– Ce qu’elle a fait, gronde Béru, elle a enlevé ma femme, tout simplement.

Jeannot postillonne sa stupeur dans son verre. Puis il éclate de rire:

– Tu débloques, Alexandre!

– Demande un peu à mon supérieur hiéraldique si je débloque!

Je confirme du menton. Jeannot secoue la tête.

– Elle avait pourtant pas l’air de donner dans le gigot à l’ail, la petite boche…

– Qu’est‑ce t’imagines! regimbe le Valeureux, il s’agit pas d’une partie de langues persillées mais d’un kidnappinge, Jeannot.

Lors il se dresse, beau, noble, puissant, habité. Nous nous demandons ce qu’il va décider car, au feu luisant dans sa prunelle, il est clair que cet homme est sur le point d’engager sa vie, son honneur ou ses économies dans quelque téméraire entreprise. Posément, il se débarrasse de son pardingue, puis de son veston, de sa chemise et de la chose noirâtre, loqueteuse et malodorante qu’il s’obstine à qualifier du beau nom composé de tricot de corps.

Un instant, je redoute de le voir se dénuder entièrement.

– Qu’est‑ce qui te prend, Bérurier? s’inquiète le tatoueur, tu vas entreprendre une battue à puces? Une chasse‑à‑corps à morpions?

Le Gros prend place dans le fauteuil réservé aux patients.

– Navré de te donner un surchoix de travail, Jeannot, déclare‑t‑il, mais tu vas tout de suite me tatouer sur la poitrine un cœur énorme, avec écrit dedans: A ma Berthe adorée, pour toujours, et tâche de pas faire de fautes d’orthographe, vu que je voudrais pas voir ricaner le toubib quand je passe une visite.

– Ecoute, Grosse Pomme, interviens‑je, tu ne vas pas déguiser ta poitrine en couronne mortuaire!

Mais il est inutile de vouloir le dissuader, beurré à bloc comme le voici.

– Je fais appel à ton amitié, Jeannot, dit‑il sombrement.

A nouveau les larmes! Jeannot remué, me regarde. Je lui adresse un signe négatif.

– Tu reviendras demain, essaie‑t‑il. Avec ce qu’on vient de biberonner, j’ai la paluche qui fait du vibrator et je m’en sens pas pour les pleins et les déliés.

– M’en fous! J’ai dit: tout de suite. Berthe, ç’aura z’été la déesse de ma vie, je veux l’hommager…

– Oh bon, si ça peut te soulager après tout, cède le tatoueur…

Il étudie l’anatomie de Béru et grimace.

– Comment veux‑tu que je rédige ta prose là‑dedans, proteste Jeannot en passant une main râteleuse dans les poils noirs et frisés de notre camarade, on écrit sur un tableau, pas sur un chargement de foin…

– Sur le bide, alors? suggère le Gros, m’est avis qu’il y a des clairières.

Il dégrafe son futal qui lui tombe sur les pieds comme deux bandonéons lâchés. Son œuf de Pâques, libéré, s’épanouit dans la lumière des loupiotes. C’est un truc énorme, velu, mais avec des cicatrices fulgurantes et rosées qui le ravinent, le zèbrent, le déforment. Cela plonge et ressort, cela sinue, s’insinue, se faufile, s’élargit sec et désert comme, en été, le lit aride d’un torrent italien. Le nombril, pourtant accusé, est perdu au milieu de ces fossés tourmentés; ça n’est plus qu’une orbite énucléée, un anus obstrué par un éboulis de graisse, une marque d’origine dépréciée par les ans.

– Là non plus c’est pas balisé, déplore Jeannot, lequel commence à se piquer au jeu. T’as le durillon de comptoir tellement ravaudé que je trouverais même pas la place pour te tatouer une fourmi adolescente! Montre un peu ton dos!

– Un cœur dans le dos! s’inquiète Béru.

– Et pourquoi pas! Un tatouage, c’est pas une médaille, ce qui compte, c’est l’intention; y te reste un emplacement possible juste en bas, au‑dessus de la fesse, de quoi te tracer un cœur large comme un tournesol; c’est à prendre on à laisser, mon pote, c’est quand même pas de ma faute si ta carcasse ressemble à un tronc de palmier!

Le Gros s’abstient de protester et se rend sans conditions:

– D’accord, vas‑y!

Jeannot assure en préparant ses instruments:

– Et encore te plains pas, amigo, ton cœur se trouvera sur la fesse gauche, comme ça, la tradition sera sauve!

 

Date: 2015-12-13; view: 396; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



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