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Ïîëåçíîå:

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L’HÉRITAGE DE BÉRU





 

L’homme aux culottes de golf, c’est Me Collignier, le notaire!

Pas du tout le genre tabellion. Le mec énergique, bien planté sur ses jambes, sanguin, rieur, toujours prêt à vider un verre ou à se mettre à table.

Il enjambe la cousine et s’approche du Mastar.

– Me Collignier, dit‑il en tendant à Béru une main aux ongles carrés.

Il est pas le moins du monde offusqué de la tenue du Gros. Il connaît ses paroissiens, depuis plusieurs générations que les Collignier ont ouvert une étude à Saint‑Locdu, et il ne s’étonne plus de rien. Dans le patelin, on l’appelle monsieur Maître! Et quand il a un mouflet de plus, y a des vieux qui lui apportent un kilo de sucre, en hommage.

Béru se rajuste.

– Vous prendrez bien un saladier de vin chaud avec nous? demande‑t‑il en se plumant son dernier bouton de braguette.

– Pourquoi pas! fait le notaire.

Béru met le bouton dans sa poche et se colmate la brèche avec une épingle. Pendant ce temps, miss Laurentine revient à elle, sur le plancher au milieu de l’indifférence générale. Non‑assistance à personne en danger, c’est un article du code absolument ignoré des Saint‑Locduciens. Tout le monde est naze. La cousine se remet debout en soufflant de rage. Elle a la couleur du froid extérieur. Elle est blême et glacée. Elle vient à notre table en affûtant ses yeux.

– C’est scandaleux! fait‑elle à son cousin abhorré. Une chose aussi dégoûtante, un jour d’enterrement!

L’éclatante victoire du Gros a rendu ce dernier conciliant.

– Fais pas la fine bouche, Titine, sermonne mon compagnon. Des comme ça, t’en as jamais vu et t’en reverras jamais.

Viens plutôt boire un coup, ça te donnera des couleurs!

Elle refuse, sombrement drapée dans sa sobriété de momie!

– Alors, si tu picoles pas, mets les adjas, fillette! conclut le Gravos. Chez Valentin, c’est pas le Père‑Lachaise, les mausolées en marbre on les laisse dans la cour!

Au lieu de répondre, Laurentine prend une chaise et s’assied près de la porte, sombre et vigilante sentinelle. Elle se met à contempler la société avec un rare mépris.

– Qu’est‑ce qu’elle fout là, cette empaillée de noir? questionne Bérurier.

Le notaire s’arrache un poil du nez. Il en a toute une bath collection qui lui végète sur l’extrémité et qui doivent repousser sitôt qu’il les dépote.

– C’est à propos de l’héritage, dit‑il. Comme vous habitez loin d’ici, Laurentine a pensé qu’on pourrait l’ouvrir ce jourd’hui même pour vous éviter de revenir!

– Tu parles d’une petite attentionnée! gouaille le Béru. Miss Missel a hâte d’enfouiller sa part, v’là la vérité, monsieur Maître!

Puis, intéressé malgré tout:

– C’est vrai, il nous laisse de l’oseille, le vieux grigou?

Collignier redevient professionnel.

– Nous verrons cela dans mon étude.

Je touche mon ami d’un coude discret.

– Pourquoi attend‑elle dans le troquet, ta ravissante cousine, Gros?

Il vide son verre, puise à pleine louche dans le saladier, et déclare à haute et très intelligible voix:

– Parce que c’est une peau de bique qui s’imagine que tout le monde lui ressemble. Tel que tu vois ce vieux poireau sec, il a peur que je fromage un coup avec le notaire pour l’arnaquer.

L’attitude minutieuse et attentive de Mlle Grain‑de‑Courge confirme les amères paroles de Sa Majesté.

– A propos de quoi vous êtes‑vous brouillés, insisté‑je, car j’ai la curiosité des misères humaines poussée jusqu’au sublime.

Béru éructe sobrement dans le creux de sa main.

– Ça remonte à nos vieux, révèle‑t‑il. Son dabe, à cette gazelle endeuillée, il était encore plus requin qu’elle. Il avait le vice de déplacer, de nuit, les bornes de ses champs. Mon père s’en était aperçu, tu penses. Le jour, il remettait les limites officielles en place. Pendant des années, ils ont fait ce micmac. C’était devenu leur culture physique, le maniement des grosses pierres champêtres.

Et puis, une nuit que papa Bérurier s’en revenait d’un banquet, le voilà qui prend Félix sur le fait! Il s’appelait Félix, l’auteur du petit sujet que tu vois là. Son sang ne fait d’autant plus qu’un tour qu’il avait un peu lichtegorné, mon ancêtre. Quand il se lançait dans la partie de cul sec, fallait se rincer la gorge à l’esprit de sel si on aurait voulu y tenir tête! Un vrai petit pipeline dans son genre, mon dabe! Le voilà qui saute sur le paletot à Félix et qui lui file une rouste mémorable. L’autre en avait le naze qui jouait au problème des deux robinets. A la fin, mon père, quand il lui a eu bien souhaité la bonne année, il y a montré la borne, à son parent. «Ho, Félix, il lui a dit, puisque tu l’aimes tellement, ce caillou qui nous appartient de moitié, je te donne ma part. Alors tu vas l’emporter à la maison pour l’admirer tout à ton aise!»

Bérurier part d’un rire immense, généreux, abondant, hémorragique. Un rire qui est celui de sa terre retrouvée.

– A coups de pompe dans les noix, il a obligé le Félix à ramener la pierre chez lui. Un gravier qui pesait dans les quinze kilos! Notre brouille, c’est depuis lors.

A plusieurs reprises, la Laurentine, impatientée, vient relancer Collignier.

– Monsieur Maître, il se fait tard, on pourrait peut‑être?…

– Je suis à vous dans deux minutes, mademoiselle, assure le tabellion.

Mais il ne bronche pas de sa chaise. Quand la nuit tombe, c’est même lui qui suggère qu’on pourrait peut‑être saucissonner. Y a bientôt une tabagie féroce chez Valentin. Un remugle de vinasse, nuancé de fumier et de sueur, flotte dans l’air à la ronde. On a moulé le vin chaud pour le petit picrate frais sorti de la cave. Du moment que les estom’s sont réchauffés à présent et qu’on s’est remis la jauge à calories de niveau!

Avec le sauciflard, c’est le roulé de cochon, et puis les frometebocks du pays. Un délice! Je me dis qu’ici la vie coule autrement qu’ailleurs. Chaque seconde pèse son poids de temps. Elle apporte quelque chose. Les heures ne coulent pas sur nous, c’est nous qui glissons sur elles, cygnes noirs (oh! complètement noirs!) sur l’onde heureuse d’un lac! On ne cause plus de Prosper maintenant. On l’a rendu à la terre qui l’avait conçu. Il est parti pour la grande métamorphose, le tonton de Béru. Il va opérer sa reconversion. Ses composants chimiques sont appelés à d’autres tâches moins ingrates que celle consistant à faire un homme! Pissenlit, il devient! Humus! Glaise! Le grand repos mouvementé. Il est jeté dans le formidable pétrin des siècles. Et nous bientôt… Tous! Bon Dieu, où est‑ce qu’on les met, les macchabes? Dites, c’est vrai qu’ils clabotent tous sans exception, les hommes? Y a des moments, je doute. Je les vois dans les rues, dans les brasseries, au spectacle… Nombreux, bruyants, mobiles. Et je me mets à les imaginer clamsés. Je me dis que c’est pas possible qu’ils y aillent tous, dans le grand trou bordé de chrysanthèmes! Que ça créerait de la bousculade! Que les Pompes seraient débordées! Qu’y aurait pas suffisamment de boîtes à osselets pour tout le monde ni de corbillards en assez grande quantité! Que les fossoyeurs devraient piocher au bull, faire de grandes tranchées comme pour les hécatombes guerrières! Ce qui surprend, voyez‑vous, c’est combien ils meurent sagement, les hommes! En ordre, chacun son tour, dans un coin du monde différent! A croire qu’un mecton leur distribue en douce des tickets d’appel! Ça décarre en douce. M. Miche aujourd’hui, Mme Bizencoin demain! Un jour on se retourne, on regarde, on s’aperçoit que le cheptel a été changé, qu’on s’éternise dans un monde rénové! On se dit que ça va être son tour! Et puis ça l’est, bêtement! Du sans surprise! Vos éponges se collent, votre battant a des ratés! Terminé! A d’autres… Le torrent! Allez vous faire foutre, tous! Les condamnés d’avance, les raturés d’office, les assassinés au jour le jour! Oui, je les considère, souvent, très souvent. Tenez, sur les stades, quand ils se maillochent pour un ballon! Allez France! La furia française! Furia de mes choses, oui! La course au trou, voilà la vérité! Le ballon? Un rêve! C’est pas du cuir, c’est une bulle! Une illusion! Qu’est‑ce que je dis: le brouillon d’un projet d’illusion de bulle! Et les boxeurs! «Vas‑y, Marcel, tue‑le qu’ils glapissent, les autres squelettes en sursis! Moi, je pense aux gnons dérisoires! Des combinaisons chimiques qui s’envoient des chiquenaudes! La vérité vraie? Y a que l’amour! Alors là, oui, je la boucle, j’ose plus baver, je mets les pouces. L’amour, ça me déconcerte. C’est si vachement suprême, si en dehors du reste! L’amour, je cause pas de la partie de jambonneaux! Je parle de la vraie amour. De celle qui te fait regarder le plaftard de ta chambre, quand tu es seul et que tu penses à l’autre! De celle qui te fait chialer au milieu de la rue, parce que tu viens de sentir toute l’intensité d’une absence! Cette amour‑là, ça échappe à la physique, à la chimie, à toutes les sciences, à toutes les morales! C’est ça, l’homme, le vrai: un brin d’amour! Juste un soupir, rien qu’une larme tombée dans la gadoue de l’univers.

Après la tortore, c’est les chansons. Les plus vioques entonnent Sambre et Meuse, les un peu moins vioques y vont de La Madelon. Les autres se cantonnent dans le Tino Rossi de la grande époque. Voix de velours, regards qui bredouillent! Vinasse partout! On est en pleine séance de stupe! Le pinard est roi!

Elle tombe de sommeil, la Laurentine. Elle rancit sur sa chaise. Les poivrots lui balancent des vannes bien salées qu’elle feint de ne pas piger. Elle dodeline. Une stoïque dans son genre. Elle préférerait être violée plutôt que d’abandonner le notaire entre les mains de Béru. Elle soupçonne le monde entier d’être capable de l’arnaquer. Pour tromper le temps, elle se paie une tournanche de chapelet, dans la foulée. Ça lui entretient la patience, c’est sa pulvérisation‑vidange‑graissage. Bérurier a retrouvé l’ambiance de sa jeunesse, la terre de ses aïeux! Il est bien, il s’épanouit, il s’arrondit.

C’est sur les choses de minuit que la débandade s’effectue. Les prostatiques sortent pour lancequiner. Le froid intense leur file un coup de goumi sur la noix et ils décident de rentrer à la ferme où que leurs mémés les attendent, les pieds sur la bouillotte. L’atmosphère tombe. Les trop saouls causent plus. Les autres ont les ficelles vocales qui se distendent. Bref, on se casse.

Le notaire est blindé comme la ligne Maginot. Il fait une embardée en se levant et c’est la dévote Laurentine qui le cramponne par une aile.

– Eh ben, m’sieur Maître! l’interpelle familièrement le Gros, t’as ton centre de gravité qui a coulé une bielle, on dirait?

Le tabellion s’excuse, faut qu’il fasse pleurer le gosse! Le drame de ces soirées, ce sont les vessies surmenées. Faudrait avoir un wagon‑citerne pour les cas d’exception. Ça pèche au département stockage, comprenez‑vous? C’est bien joli d’emmagasiner, mais after, hein? Nous ne sommes au fond qu’une triste canalisation. Un simple conduit. Une voie de passage!

Il va s’appuyer au mur du bistrot. Le clair de lune est impeccable, bien plus bath que sur les cartes de Noël vendues à la succursale papeterie des établissements Valentin. Une lune ronde dont on voit le nez, les yeux, la bouche ironique. Dans la cambrousse givrée, doit y avoir des Pierrots avec leurs mandolines pour donner la sérénade blafarde aux chouettes engoncées dans leur houppelande de plumes.

On rejoint Collignier, Laurentine, Béru et moi. Je me contente de filer le train au Gros jusqu’à présent. C’est lui le pôle attractif. C’est son tonton, son deuil, son patelin! Le notaire revient en jurant comme douze charretiers dans un marécage. Il a oublié de se dégager le bec verseur pour souscrire aux exigences de la nature, comme on dit dans les bouquins sérieux. Il est obligé de se dégrafer le bas d’une jambe de son pantalon de golf pour faciliter l’évacuation. Ayant remis les choses en ordre, il prend Laurentine par la taille.

– Allons‑y, ma blanche colombe, il lui roucoule dans le pavillon des plats à barbe.

Elle se tortille comme une vipère dans une marmite d’eau bouillante.

– Monsieur Maître, proteste‑t‑elle, qu’est‑ce qui vous prend!

– Fais pas ta bêcheuse, eh, Sophia Loren! l’interpelle son cousin. Pour une fois qu’un homme porte la main sur la palissade qui te sert de hanches, tu devrais plutôt allumer les lampions.

Beurré comme il est, Collignier, il trouve la repartie de first quality. Il se met à jouer les amoureux transis (transis de froid) pour Laurentine. Il lui virgule des vannes comme quoi ça fait des années qu’il la regarde en soupirant comme une locomotive haut le pied!

Il en rêve la nuit, sa parole! Il la voit dans un décor tahitien, avec une feuille de bananier et un collier de fleurs pour tout vêtement. Ça lui fouette le sensuel, au notaire, alors il se rabat sur sa Madame, mais juste pour se mettre à jour la bourse aux idées.

Elle est tellement asphyxiée, la punaise, qu’elle ne maugrée plus. Il ne s’agirait pas du notaire, elle lui flanquerait une tarte, mais c’est pas au moment d’aller dépuceler un testament qu’on peut se permettre ce genre de fantaisie, hein?

– Si vous vouliez, Laurentine, il gazouille, diablotin tout plein, on partirait vivre notre vie sur une île déserte. On mangerait des noix de coc, ça rend viril, et on ferait des gamineries le reste du temps. Je vous imagine, nue sur la plage, avec la mer couleur d’émeraude qui viendrait vous lécher les pieds!

– Faudrait qu’elle aye de l’appétit, la mer, rigole l’Incorrigible.

La cousine avance comme un automate. Ulcérée à mourir! La colère la réchauffe. Une rogne pareille, ça vaut un vison à cinq briques! Elle a des pensées gestapistes dans son petit crâne hostile. C’est pas sur une plage déserte qu’elle se l’imagine, monsieur Maître, mais dans un haut‑fourneau en activité. Elle lui décerne l’enfer à l’unanimité du jury! Rôti, elle le souhaite, calciné comme du charbon de bois! Ce qui la soutient, ce qui la maintient, ce qui lui permet de subir, de tolérer si loin, c’est la perspective de l’héritage. Elle fait l’inventaire… Les champs de Clos‑Chenu… La vigne de Bonnegagne! La maison… Des actions, peut‑être? De l’or, ça sûrement. Prosper, il devait aimer le jonc. Toute sa foi, il l’avait foutue dans le brillant métal. Sa chaussette de louis d’or doit peser lourd!

On arrive enfin à l’étude. C’est à l’autre bout du pays, près de la bascule publique. Une jolie maison vieille et blanche, avec des colombages, des fenêtres à petits carreaux. Le panonceau du notaire brille à la lune, bien fourbi par sa vieille servante. On dirait déjà de l’or, ça promet!

Il nous fait entrer dans un grand hall meublé de vieux bahuts de noyer. C’est toute la province traditionnelle. Toute la France. Emouvant, je vous dis!

Collignier ouvre la porte de son cabinet.

– Entrez! propose‑t‑il, soudain sérieux.

Son étude, ça lui fait comme une reniflée d’ammoniaque. Il retrouve son ambiance de vieux dossiers, la solennité des ancêtres en suspens dans l’air douillet de la maison.

– Je vais vous attendre ici, dis‑je.

– Mais pas du tout! tranche Béru, y a rien de caché pour toi!

La Laurentine n’est pas du même avis. Elle prétend que les affaires de famille ne sauraient concerner un étranger qui n’est pas d’ici.

– Ecoute, peau de sauterelle! Le monsieur que tu vois là, c’est mon chef, et qui plus z’est, mon ami intime, comme qui dirait les deux doigts de la main! Il a eu la mabilité de m’amener aux obsèques. S’il assisterait pas à la lecture du testament, je me taille! Et l’ouverture, elle se fera à une date ulcérée, compris?

C’est pas sa fête aujourd’hui, à Laurentine. Elle abdique. Nous entrons dans le cabinet du Maître. Ça chlingue le papelard mité. Partout, à terre, sur les meubles, sur le burlingue, des piles de dossiers attachés par des sangles de toile. On aperçoit les titres en ronde. Le mec qui a torché ça, il avait un drôle de coup de plume, moi je vous le dis! Il devait tirer une menteuse longue comme mon bras pour pas rater les pleins, les déliés, les petits poils agrémenteurs…

Derrière le bureau, dans un cadre doré, trône la photo de Me Collignier père. Le cliché est jaune, passé, pisseux, mais le modèle a conservé son entière dignité. Binocles sévères, moustaches affûtées au taille‑crayon, col de cellulo, cravate noire… Plus les médailles, œuf corse! Bien que le cliché ne soit pas en couleur, je repère, parmi les décorations du défunt notaire: l’ordre royal du Grand Canular, la rapière d’or d’Oufkir, le mérite Fromagesque de Saint‑Pourcin, la croix des Hippocampes, le cordon de l’Ombilic enflammé et la médaille des Grands Blennorragiques des deux guerres! C’est vous dire!

– Asseyez‑vous, invite Collignier en délourdant un vieux coffiot rouillé dont la combinaison ressemble à celle de Laurentine.

On se met à bivouaquer sur des sièges bancals. Le tabellion radine avec une enveloppe cachetée à la cire.

– Le brave Prosper devait sentir sa fin proche, dit‑il, en prenant place à son bureau, car il a testé voici quinze jours.

Bérurier qui est plein de vin jusqu’au ras du réservoir, en a le trop‑plein qui jaillit. Il torche une giclée de chagrin d’un revers de manche et se tourne vers Laurentine.

– C’était tout de même un sacré bonhomme, notre oncle, hein, Laurentine?

Elle s’emballe pas; elle réserve sa réponse! Elle attend d’avoir connaissance du document avant de laisser vagabonder ses glandes. Collignier découpe l’enveloppe avec un couteau corse sur lequel est gravé: «Che la mia ferita sia mortale». Maintenant le silence se fait. On met une sourdine à sa respiration; on évite de faire grincer sa chaise. C’est toujours émouvant, l’ouverture d’un testament, même comme, lorsque c’est mon cas, on n’est pas concerné. Ça radine de l’au‑delà, ce genre de message. D’accord, quand le testateur a testé, il était vivant, mais sa mort fait que le papier aussi est mort. Une surprenante métamorphose réussit à transformer les dernières volontés d’un vivant en premières volontés d’un défunt.

– Je soussigné, attaque le notaire, Prosper, Jules, Benoît Bérurier, domicilié à Saint‑Locdu‑le‑Vieux au lieu dit le Trou‑du‑Cru, sain de corps et d’esprit, déclare exprimer ci‑dessous mes ultimes volontés. La vie m’ayant enseigné que l’amitié des animaux est plus solide que celle des hommes, je lègue la totalité de ma fortune à Mongénéral, fidèle compagnon de mes derniers jours.

– Quoi! glapit Laurentine, dressée comme un fantôme sur une lande écossaise! Il a osé faire ça! Défier le Seigneur!

Béru se mord un bout d’ongle qu’il crache avec son adresse coutumière dans l’encrier de notre hôte.

– Calme‑toi, Laurentine, fait‑il. D’accord, il devait rouler sur la toile, tonton, ces derniers temps. Mais enfin brèfle, c’est son pognon à lui, après tout. Et si l’idée lui a chanté de le laisser à son clébard, il avait le droit!

La philosophie du Gros, encore que touchante, ne calme pas la vindicte de la vieille fille! Elle se lève, va, vient, jette l’anathème au loin! Un oncle pareil, c’est moins que rien. Une souillure de l’humanité! Un oubli du Bon Dieu! Un excrément de l’enfer! Il crache à la figure des lois, Prosper! Il déshonore la France! Il ruine deux mille ans de civilisation, d’un seul coup de plume! Il s’assied sur les Evangiles! Il fait voir son cul au clergé! C’est un mécréant! Un mercantile! Un manant! Un loustic! Un hérétique! Un excommuniable! Il sent le soufre! Elle sait qu’il est en train de rôtir dans la plus chaude marmite de Satan, à l’heure où nous mettons sous compresse! Il est banni! Honni! Vomi! Déjecté! Rejeté! Expulsé! Radié! Sorti! Evacué! Un homme qui teste en faveur d’un chien n’a plus sa place nulle part, dans aucune classification conçue ou à concevoir! Faudra effacer son nom du marbre de sa tombe! L’exhumer! Balancer sa dépouille dans un brasier. Déchirer les photos de lui, gommer son blaze de tous les registres d’état civil! Et brûler sa maison! Ses meubles! Tout ce qu’il a touché ou même approché!

– Un instant, mademoiselle! éclate Collignier dont la patience n’est pas la vertu cardinale, ni même épiscopale.

Elle se bloque une dernière invective dans les articulations de son dentier et défrime le tabellion à la sournoise.

– La lecture n’est pas terminée! dit Collignier.

– Tu vois, gentilise Bérurier, on a peut‑être droit à une prime de consolation: six petites cuillères ou un carillon vestimentaire. Attends, frénétique pas sans savoir…

– Comme Mongénéral est déjà âgé, reprend le notaire, et qu’il ne me survivra certainement pas très longtemps, j’entends qu’à sa mort les biens que je lui lègue aillent à mes neveux Alexandre‑Benoît Bérurier (bien qu’il exerce l’horrible métier de flic) et Laurentine Berlinguet (bien qu’elle soit la dernière des garces) à condition que l’un et l’autre prennent soin de l’animal. Ils en auront la garde alternativement, pendant des périodes d’un mois. Au décès de Mongénéral, le cadavre de celui‑ci devra être soumis au docteur Tifus, médecin vétérinaire à Saint‑Locdu, lequel devra procéder à l’autopsie de la bête afin de s’assurer qu’elle est bien morte de mort naturelle et qu’elle n’a subi aucun mauvais traitement. En outre, Mongénéral ne pouvant assurer la gestion des biens dont il hérite, j’entends que mes neveux aient l’usufruit de ceux‑ci. Charge à eux de les faire fructifier d’un commun accord. Dans l’hypothèse où la bête mourrait de façon suspecte, ou s’il était avéré qu’elle a subi de mauvais traitements, la totalité de mes biens iraient à la commune. La liste de mes biens est déjà déposée en l’étude de Me Collignier qui devra la communiquer aux ayants droit le moment venu!

Fait à Saint‑Locdu‑le‑Vieux, le 11 janvier 1967.

La qualité du silence n’est plus la même. Rassurée, miss Laurentine se permet une petite chialée de bon ton.

– Dans le fond, résume Béru, c’était un blagueur, tonton.

– J’en ai l’impression, avoué‑je. Plutôt pittoresque comme testament.

Béru se tourne vers Collignier qui bâille comme à une conférence sur le sous‑développement du tiers‑monde.

– Pendant qu’on vous tient, m’sieur Maître, les biens dont à propos il est question, ça consiste en quoi?

Le notaire déculotte un dossier verdâtre.

– Je vais vous le dire…

Il fait la brasse papillon dans un monceau de paperasses.

– N’entrons pas dans les détails, dit‑il. En bref, Prosper lègue ses propriétés de Saint‑Locdu, soit une quarantaine d’hectares avec ferme. Un millier de louis d’or… Pour quelque dix millions d’actions et obligations… Et enfin un immeuble de rapport à Paris, dans le quartier des Batignolles! Disons qu’il y en a au total pour une centaine de millions!

– Vache anglaise! tonitrue l’Héritier, mais c’est la grosse galette! Même partagée en deux, y a de quoi s’acheter des sandwiches aux rillettes jusqu’à la fin de ses jours, pas vrai, Titine!

Laurentine se fend d’un imperceptible sourire qui ressemble à une déchirure à sa culotte!

– Pour l’instant, conclut le notaire, le plus urgent est que vous récupériez l’animal en question.

– Où qu’il est? demande le Mahousse.

– Chez votre oncle, je suppose.

– Quelqu’un le soigne, j’espère? demande la jaunasse.

– Là, vous m’en demandez trop! dit Collignier. Bon, nous allons procéder au tirage au sort!

– Pour quoi faire? grince la girouette rouillée.

– Pour savoir lequel de vous deux aura en premier la garde de l’animal.

Il prend une pièce dans son gousset.

– Vous êtes la femme, Laurentine, à vous de choisir: pile ou face?

Elle fait la moue.

– Pile!

Le notaire me tend la pièce:

– Puisque nous avons un officier de police, profitons‑en; faites donc sauter la pièce, mon cher commissaire.

Je m’exécute, comme disait le bourreau qui en avait marre d’être en chômage.

Je lance la pièce et je sors face!

– Parfait, déclare le notaire. Nous sommes le 25 janvier, M. Bérurier gardera donc l’animal jusqu’au 25 février. Ensuite, ça sera au tour de Mlle Berlinguet.

– Ça va être gai, ces allées et venues, ronchonne déjà la vieille fille.

– Je t’en prie, un peu d’essence! rabroue le Dodu. L’oncle Prosper voulait que son toutou soye dorloté, il le sera. T’avise pas d’y faire des avanies, à ce cador, autrement sinon, l’héritage nous passe sous le pif, ma beauté.

A propos, c’est quoi t’est‑ce comme race?

Le notaire hausse les épaules.

– Aucune idée. Prosper vivait en reclus et j’ignorais même qu’il eût un chien. Là‑dessus, vous m’excuserez, mais il faut que j’aille me coucher car la journée de demain sera rude: je vais au banquet des Présidents Honoraires de Banquets…

Les ornières gelées sont dures comme la pierre. On se tord les pinceaux en marchant.

– C’était pas la peine que tu nous files le train, Laurentine, assure Béru, du moment que je suis de garde en premier…

– Tu permets, aigrise‑t‑elle. Je n’ai pas envie que tu déménages la maison de notre oncle à la cloche de bois. Elle m’appartient de moitié avec tout son contenu.

Le Gros s’arrête en pleine lune. Il prend de la gîte sous le poids de la colère.

– J’aurais pas l’onglée, que tu prendrais ma main sur la frite pour m’avoir suspicionné, espèce d’insolente! T’imagines que tous les gens sont comme toi, à écorcher les morpions pour s’en faire des manteaux! Ah! je te vois d’ici évacuer la masure! Tu parles d’un sauve‑qui‑peut! Les draps et les chandeliers d’abord! Par pleines chaloupes que tu sortirais la camelote, bougre de vieille pie borgne!

Il se plante devant elle, lourd, massif, falaise de viande et de colère.

– Mets‑toi bien une chose dans ton caberlot faisandé, Titine: l’héritage, il est pas à nous mais au clébard! On en a que le jus de fruit, comme a causé le notaire! Le jus de fruit et rien de plus. Suffirait que le médor se fasse scrafer par un autobus ou qu’il bouffe un truc avarié pour qu’on fasse tintin, tu piges?

La rancie grommelle des présages. On continue…

L’oncle Prosper, il créchait loin du patelin, en limite de bois. Sa ferme délabrée est piquée au fond d’un chemin creux dont les ronces non élaguées s’échevellent. Ma tire est à l’orée du chemin vicinal. Le pare‑brise est blanc de givre. On va se payer une sérieuse partie de frotti‑frotta avant de décarrer, moi je vous le dis!

Au fur et à mesure que nous avançons vers le logis du mort, nous sommes surpris d’apercevoir de la lumière à l’intérieur.

– Il avait du personnel, tonton? demande le Gros à sa cousine.

– Penses‑tu, à part la Mélie qui venait l’aider au ménage…

Laurentine hennit:

– Je parie que cette vieille chaussette est en train de piller la maison!

La voilà qui part en galopant, comme si on cherchait à lui enfoncer un tisonnier rougi dans sa boîte à suppositoires!

La peur d’être escroquée lui donne des ailes! Elle court à en perdre son haleine empanachée.

– Si jamais elle chope la Mélie en flagrant du lit, je te promets une bath corrida en vistavision! annonce mon ami.

Nous pressons le pas!

– Note bien, s’époumone Sa Majesté, que c’est nettement abominable de venir cambrioler la maison d’un mort. Si jamais c’est un bonhomme qui fait ça, je te lui joue Salut les Copains sur la margoulette jusqu’à ce qu’il eusse glavioté sa dernière dent!

Comme nous atteignons la cour de la ferme, nous percevons un grand cri. Une forme claire bondit à l’extérieur. Un bref instant, la silhouette m’est apparue en pleine lumière et j’ai cru rêver. Une fille blonde, grande, belle, sublime, dans un manteau de fourrure blanc. De grand cheveux blond doré sous une toque de même métal. Des gants blancs, des bottes blanches montant haut! Bref, la dernière, l’ultime personne qu’on peut s’attendre à trouver à une heure du matin dans une ferme délabrée au fond d’une province pétrifiée par l’hiver.

Le Gravos s’est arrêté. Lui aussi a vu. Lui aussi bave sur son menton… Mais le rêve n’est pas achevé. Voici qu’une voiture jaillit de sous le hangar. Une grosse guinde américaine, tous feux éteints. Elle stoppe au niveau de la blanche apparition. La fille blonde prend place à l’intérieur. Le temps qu’elle entrouvre la porte, la lumière du plafonnier s’est déclenchée, nous permettant de revoir la fabuleuse personne et d’en découvrir une autre, du même tonneau, installée au volant. L’auto fonce, passe à moins de dix centimètres de nous. Nous avons tout juste pu esquiver son rush, sinon on se retrouvait avec un cataplasme de Cadillac sur le poitrail, Béru et Bibi.

Pas mèche de bigler la plaque couverte de neige. L’auto tangue dans le chemin creux. Les ronces gémissent sur la carrosserie.

Mon premier réflexe a été d’aller jusqu’à ma voiture pour courser ces demoiselles. Mais je me retiens. Le temps d’atteindre mon véhicule, les deux filles blondes auront disparu. Sans compter que ma tire est froide, engivrée comme un sorbet et qu’il faut un bon quart d’heure avant de la rendre disponible.

– Non, mais t’as vu! bredouille l’usufruitier. Dis, t’as vu ou bien est‑ce que j’ai trop forcé sur le vin chaud?

Je ne réponds pas. J’ai déjà ressenti bien des surprises au cours de ma brillante carrière, mais des semblables, non, jamais! Cette fille, madame! Je ne l’ai aperçue qu’une fraction de seconde, mais elle avait tout ce qu’il fallait pour s’installer dans ma rétine et y passer ses vacances.

Quel châssis! Quelle allure! Quelle élégance! Quelle beauté! Oh! ces tifs d’or, madame! Oh! ces jambes bottées, monsieur! Une couverture de Lui, et les pages en couleur d’Elle! Ce que c’est idiot qu’elle n’ait pas songé à me laisser son numéro de téléphone avant de partir.

Je m’arrache à l’extase pour pousser une pointe de reconnaissance jusqu’à la maison du vieux Prosper.

La cousine Laurentine est agenouillée sur le mauvais carrelage. Elle a la figure dans ses deux mains. Elle pleure.

– Que s’est‑il passé? Je lui demande.

Ses mains retombent. Elle a le nez comme une tomate. Ça jute rouge par tous les bords.

– Une femme, bégaie‑t‑elle. Une femme en blanc. Elle descendait l’escalier. En m’apercevant, elle s’est précipitée sur moi et m’a lancé un coup de poing en plein visage. Elle devait tenir quelque chose de dur car j’ai cru que mon nez éclatait.

Je ne voudrais pas lui ôter des illusions qui, somme toute, ne lui coûtent pas cher, mais il a bel et bien explosé, son enjoliveur à huile goménolée.

Miss Manteau‑d’hermine devait avoir un coup de poing amerlock à l’intérieur de ses jolis gants.

Le maigre tarin de cousine Laurentine a pris du volume. Il a de l’ampleur, maintenant. Une fière allure! Le pif de Robert Dalban, à côté, c’est le mignon pif de Blanche‑Neige!

 

Date: 2015-12-13; view: 434; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ; Ïîìîùü â íàïèñàíèè ðàáîòû --> ÑÞÄÀ...



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